Est-il vrai, comme le dit Quatennens, qu’il «n’y a pas de lien entre le niveau d’indemnisation du chômage et le chômage lui-même» ?


Est-il vrai, comme le dit Quatennens, qu’il «n’y a pas de lien entre le niveau d’indemnisation du chômage et le chômage lui-même» ?

Publié le lundi 15 avril 2024 à 10:43

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Le député LFI Adrien Quatennens à l'Assemblée nationale, le 21 mars. 

(Xose Bouzas / Hans Lucas.AFP)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André

Des études suggèrent que le montant de l’allocation-chômage a peu d’influence sur le retour à l’emploi. Le député insoumis fait néanmoins référence aux années 70, une époque difficilement comparable à la période actuelle.

«Y a-t-il, selon vous, un lien entre le niveau d’indemnisation du chômage et le niveau du chômage lui-même ?» C’était l’une des questions soumises par le député insoumis Adrien Quatennens à Gabriel Attal ce mercredi 3 avril, lors de la séance de questions au Premier ministre organisée à l’Assemblée. Interrogation qui s’est révélée rhétorique lorsque l’élu LFI-Nupes a ensuite repris la parole, déroulant : «La bonne réponse était non. Il n’y a pas de lien entre le niveau d’indemnisation du chômage et le chômage lui-même. Le chômage était d’ailleurs le plus bas dans notre pays à l’époque où il était le plus indemnisé.»

Entre-temps, le chef du gouvernement lui avait répondu, non pas sur le montant d’indemnisation, mais sur sa durée : «Nous avions en France, avant la précédente réforme, un des modèles où la durée d’indemnisation était la plus longue, et pourtant nous avions le plus grand nombre de chômeurs, le taux de chômage le plus important.» Comme à plusieurs reprises au cours de la séance, Gabriel Attal se vantait aussi d’avoir atteint «le taux de chômage le plus bas depuis quarante ans» – un élément de langage déjà démenti par CheckNews il y a plus d’un an.

L’échange entre l’insoumis et le Premier ministre s’inscrit dans un contexte de crispations autour d’une potentielle réforme de l’assurance chômage. Lors de son intervention au 20 heures de TF1, la semaine dernière, Gabriel Attal a confirmé son intention de réformer les règles d’indemnisation courant 2024. «Une des pistes est de réduire la durée d’indemnisation de plusieurs mois», a-t-il précisé. Et non pas, à ce stade, de baisser le montant de l’allocation, une mesure qui «n’a pas [sa] préférence», comme il l’a rappelé dans sa réponse à Quatennens.

Une littérature scientifique nourrie

N’y a-t-il cependant aucun «lien entre le niveau d’indemnisation du chômage et le chômage lui-même», comme le soutient l’insoumis ? Difficile à dire, car «il existe assez peu d’études sur cet aspect, y compris à l’étranger», dans la mesure où «le niveau d’indemnisation dépend largement de la personne et sa carrière», pointe Philippe Askenazy, économiste du travail contacté par CheckNews. Celles menées en France ont plutôt porté sur le système d’allocation unique dégressive (AUD) en vigueur de 1992 à 1996, se traduisant par des baisses régulières du montant de l’allocation au cours de la période d’indemnisation. Selon l’étude de référence sur l’efficacité de cette mesure sur la reprise d’emploi, parue en 2001, «l’effet individuel ne se retrouve que pour les plus forts revenus, ce qui suggère que le montant influe peu pour la plupart des chômeurs», synthétise Philippe Askenazy. Les conclusions des auteurs laissent même apparaître que «la dégressivité, telle qu’elle a été mise en œuvre de 1992 à 1996, aurait ralenti le retour à l’emploi».

Plus récemment, des travaux menés en 2008 par le Centre d’étude des politiques économiques de l’université d’Evry se sont attachés à mesurer les liens entre indemnisation du chômage et retour à l’emploi à partir de modèles empiriques. «Nos résultats suggèrent qu’une réduction des montants d’indemnisation n’augmenterait guère le retour à l’emploi des chômeurs, écrivent les auteurs. Nous montrons toutefois qu’il est possible d’agir sur deux autres leviers [qui] semblent être des moyens efficaces pour augmenter les sorties du chômage» : les critères d’éligibilité à l’assurance chômage et la durée de l’indemnisation. La question de la durée a fait l’objet d’une littérature scientifique internationale nourrie, sur laquelle CheckNews est déjà revenu. Les études existantes s’accordent à observer que la réduction de la durée d’indemnisation s’accompagne certes d’un raccourcissement du temps passé au chômage, mais au prix d’une dégradation de la qualité de l’emploi retrouvé.

Le chômage sous les 4 % au début des années 70

Concernant, ensuite, l’affirmation de Quatennens, sous forme de contre-exemple, selon laquelle le chômage n’a jamais été aussi bas que lorsque l’indemnisation était des plus élevées, le député insoumis explique à CheckNews parler des années 70 : «Chômage au plus bas, indemnisation au-delà du dernier salaire.» Avant de compléter sa réponse par de nouveaux éléments : «En octobre 1974, lors d’un licenciement économique, les chômeurs recevaient une indemnité supérieure à leur dernier salaire (102 %) ! Personne n’a pourtant arrêté de travailler pour profiter […] En 1979, en moyenne, les chômeurs étaient indemnisés à plus de 60 % de leur dernier salaire durant 36 mois. Aujourd’hui, ils sont indemnisés à 57 % pour une durée de 24 mois maximum. Cela a-t-il contribué à faire baisser le chômage ? Uniquement dans les chiffres ! En revanche, cela a accru la pauvreté chez les chômeurs.»

L’affirmation sur le «chômage au plus bas» ne fait aucun doute : dans la première moitié des années 70, le chômage se situait encore sous la barre des 4 % de la population active, puis a progressé sous l’effet des crises économiques provoquées par les chocs pétroliers, pour dépasser les 5 % à la fin des années 1970, d’après les statistiques de l’Insee. Présentées ici en moyenne annuelle, ces données prennent pour point de départ l’année 1975, soit le moment où «les caisses d’assurance chômage ont commencé à se généraliser», rappelle Henri Sterdyniak, ancien administrateur de l’Insee. Jusque-là, «le chômage était très mal enregistré», car le peu d’actifs en difficulté étaient «surtout aidés par l’assistance» et n’avaient pas «à se déclarer chômeurs pour être indemnisés», développe l’économiste.

Le taux de chômage a continué de progresser jusqu’à la fin des années 80, alternant ensuite entre des périodes de baisse et de hausse, marquées par deux pics au-delà du seuil de 10 % (entre 1993 et 1999, puis entre 2012 et 2016). Jusqu’à l’année dernière, une diminution du taux de chômage s’était enclenchée, mais il a fini par se stabiliser à 7,3 % des actifs en 2023 comme en 2022. La baisse ne permet pas, de fait, d’atteindre les niveaux connus durant les années 1970.

Un noyau de chômage durable

Pour autant, il paraît délicat de remonter jusqu’à cette période, dans le cadre d’une mise en perspective avec la situation actuelle. «C’est à partir de 1974, lorsque la croissance a chuté et le chômage a commencé à augmenter, qu’on a commencé à s’en préoccuper. Avant, ce n’était pas un sujet», résume Henri Sterdyniak. Comme le souligne l’Insee, les évolutions du taux de chômage en France ont été largement «liées au cycle économique». Or, tandis que dans les années 70, le pays sortait d’une époque d’expansion (les Trente Glorieuses), les décennies suivantes ont été marquées par des «périodes de récession ou de fort ralentissement économique», qui se sont «traduites par des augmentations durables du taux de chômage», note l’institut national de statistiques. Cette croissance ralentie s’est accompagnée de l’installation d’un noyau de chômage durable, moins sensible aux variations de la conjoncture économique, évalué à au moins 5 % de la population active par les économistes.

Quant à l’«indemnisation au-delà du dernier salaire», évoquée par Adrien Quatennens, elle semble faire référence à l’indemnité pour licenciement économique, plutôt qu’à l’assurance chômage, comme cela transparaît dans les compléments envoyés par l’Insoumis. Jusqu’à 1979, le système en vigueur résultait d’une convention conclue en 1958 entre les organisations syndicales d’employeurs et de salariés, et s’articulait autour de la coexistence de deux régimes, basés l’un sur l’assistance, l’autre sur l’assurance. L’Etat prenait en charge une aide publique correspondant à une somme forfaitaire et sans limite de durée, à laquelle s’ajoutaient les allocations versées par les Assédic, calculées pour leur part en fonction du salaire et n’excédant pas deux ans d’indemnisation. Leur montant total ne pouvait pas, en principe, dépasser le seuil de 90 % du salaire antérieur.