Au-delà des treize accusations de violences sexuelles relayées par Mediapart au printemps, la diffusion, jeudi 7 décembre, d’un Complément d’enquête dédié à la «chute de l’ogre» Depardieu semble avoir entériné une prise de conscience dans le milieu de la production cinématographique. Une scène, en particulier, a marqué les esprits : tirée d’un documentaire jamais diffusé de Yann Moix, elle montre l’acteur sexualiser et tenir des propos orduriers à l’adresse de nombreuses femmes, en Corée du Nord, et notamment d’une fillette.

Samedi, plusieurs publications portant notamment sur la position du groupe France Télévisions, diffuseur et coproducteur de certains films avec Gérard Depardieu, sont apparues sur les réseaux. «C’est [suffisamment] historique pour être souligné, relaye notamment un compte suivant l’actualité des médias, France Télévisions annonce suspendre les rediffusions de tous les films dans lesquels Gérard Depardieu apparaît. Le service public diffusait régulièrement les comédies la Chèvre, les Compères et les Fugitifs sur France 3, notamment. Manuel Alduy, directeur du pôle cinéma de France TV, annonce également s’opposer à toute future collaboration du service public avec des films dans lesquels Gérard Depardieu apparaîtrait.»

Ces posts font suite à un article diffusé sur le site de Jean-Marc Morandini intitulé «France Télévisions annonce suspendre la diffusion sur ses antennes de tous les films avec Gérard Depardieu après le Complément d’enquête de France 2». Et dans lequel on peut lire : «De son côté, le directeur du cinéma de France Télévisions, Manuel Alduy, annonce suspendre sur l’ensemble des chaînes du groupe la diffusion avec Gérard Depardieu et refuser toute nouvelle production dans laquelle pourrait figurer l’acteur.»

«Revoir complètement nos plans de diffusion»

Sur les réseaux sociaux, plusieurs membres de France Télévisions ont depuis réagi à ces publications, indiquant notamment qu’elles étaient fausses. Qu’en est-il vraiment ?

Manuel Alduy, directeur du cinéma et du développement international de France Télévisions, intervient dans Complément d’enquête. Il affirme alors : «La mise en accusation collective par une quinzaine de femmes au début 2023, elle a eu pour conséquence immédiate pour nous, c’est de revoir complètement nos plans de diffusion. Il ne faut pas qu’on célèbre Gérard Depardieu. Ce n’est juste pas possible. C’est la première chose. La deuxième, c’est qu’on a mis en pause les éventuels projets qu’on nous soumettrait avec Gérard Depardieu.»

Une intervention qui n’indique pas, mot pour mot, que les rediffusions de films avec Gérard Depardieu sont désormais bannies de l’antenne. Mais qui semble toutefois assez catégorique dans une volonté de prendre ses distances avec l’acteur.

«Un moment plus tranquille, plus opportun»

Force est de constater que la chaîne adopte depuis une position un peu plus nuancée. Auprès de CheckNews, Manuel Alduy détaille sa position : celle d’une «pause» alignée sur l’intensité de la polémique, plutôt que la cessation définitive de toute diffusion. «L’image de Depardieu est abîmée, tous les partenaires doivent se poser la question de savoir s’ils seront entachés ou pas» nous indique-t-il. «Quand les révélations de Mediapart sont sorties, nous avons suspendu la diffusion de deux films, en l’occurrence Robuste et Des hommes, des films coproduits par France Télés, qui devaient être diffusés dans le cadre d’un événement de célébration du cinéma. On a considéré, justement, qu’on ne voulait pas célébrer l’artiste. On nous aurait reproché, à juste titre, de [soutenir] Depardieu. Va-t-on diffuser ces films ensuite ? Bien sûr, à un moment plus tranquille, plus opportun.»

Manuel Alduy poursuit : «On ne veut pas rentrer dans un mouvement de censure collective. Pendant l’été, nous avons diffusé Mystère à Saint-Tropez par exemple, en dehors de toute programmation spéciale. Ce qu’on veut vraiment, c’est faire une pause dans la diffusion quand on est au plus haut de la polémique. Mais ça reviendra, on rediffusera le Dernier Métro par exemple.» A noter qu’Illusions perdues de Xavier Giannoli, dans lequel Depardieu a un second rôle, sera diffusé sur France 2 dimanche 17 décembre.

«Est-on à l’abri de nouvelles accusations ?»

Auprès de Complément d’enquête, Manuel Alduy parle également des projets soumis à France Télés en tant que coproducteur. Là-dessus, il ajoute : «Quant aux films à venir : pour l’instant, il n’y a pas d’urgence car depuis dix-huit mois, on ne nous a rien soumis avec Depardieu. Si un projet devait arriver, on demanderait au producteur : est-ce que vous pouvez nous garantir qu’il n’y aura pas de problèmes ? Est-on à l’abri de nouvelles accusations ?»

Une position nuancée qu’il résumait déjà la veille dans un autre article de Libé, où il déclarait : «Des films avec Gérard Depardieu continueront d’être achetés et diffusés, en tout cas sur France Télévisions. Nous avons d’ailleurs plusieurs chefs-d’œuvre à diffuser. On ne censure pas les œuvres. Mais monter un nouveau film “sur le nom” de Depardieu me paraît très difficile.»