La hausse de la vitesse entraîne-t-elle vraiment une forte hausse de la mortalité sur la route ?


Publié le mercredi 26 avril 2023 à 11:33

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A partir du 1er janvier 2024, les excès de vitesse de moins de 5 km/h ne seront plus sanctionnés par un retrait de points. 

(Nicolas Liponne / Hans Lucas . AFP)

Auteur(s)

Louise Llavori

Mercredi 19 avril, Gérald Darmanin a annoncé la fin du retrait de point pour les excès de vitesse inférieurs à 5 km /heure. En réponse, un internaute lui a opposé que «les chances de survie d’un piéton étaient de 53 % à 50 km/h et seulement 20 % à 60 km/h». Mais ces données sont datées.

Dans les tuyaux depuis au moins un an, la mesure est désormais officielle : à partir du 1er janvier 2024, les excès de vitesse de moins de 5 km/h ne seront plus sanctionnés par un retrait de points sur le permis de conduire. Seule demeure une amende de 150 euros.

L’annonce, faite par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, mercredi 19 avril 2023, a réjoui la Ligue de défense des conducteurs, qui compare dans un communiqué la nouvelle à «un ballon d’oxygène pour tous ceux qui voient leurs points de permis s’envoler les uns après les autres, pour des infractions mineures».

Elle a en revanche été accueillie froidement par les associations de prévention routière, qui martèlent que les petits excès de vitesse sont responsables d’une part importante des accidents mortels avec des piétons.

Sur Twitter, un internaute met en garde contre les conséquences que pourrait engendrer une telle mesure en ville. En dessous d’une vitesse de 100 km/h, la loi prévoit en effet une «marge technique», c’est-à-dire une tolérance de 5 km/h sur la vitesse contrôlée en faveur du conducteur.

Flashée à 60 km/h en ville, votre vitesse retenue est ainsi de 55 km/h sur les 50 autorisés. Si, aujourd’hui, une telle infraction entraîne le retrait d’un point sur le permis, dès janvier 2024, elle ne sera plus sanctionnée que d’une amende de 150 euros.

Cette mesure, en provoquant un relâchement de la vigilance des automobilistes, constituerait donc un risque pour la sécurité des piétons, selon l’internaute. Il avance cette statistique : «Les chances de survie d’un piéton sont de 95 % lors d’un choc à 30 km/h, 53 % à 50 km/h et seulement 20 % à 60 km/h.»

Ces chiffres sont diffusés largement sur Internet et dans la presse. Ce sont les organismes Assurance prévention et l’association Prévention routière qui les auraient extraits d’un Manuel de sécurité routière pour les décideurs et les intervenants parus en 2013, sous la direction de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

On peut y lire : «Des recherches menées dans les années 90 ont montré qu’en cas de choc, les chances de survie d’un piéton étaient de 90 % si le véhicule roulait à 30 km/h ou moins, mais de moins de 50 % si le véhicule roulait à 45 km/h.»

Nous avons consulté, dans les sources du document de l’OMS, les résultats de ces recherches. Comme évoqué dans le tweet, cette étude indique bien que les chances de survie d’un piéton sont d’environ 95 % lors d’un choc à 30 km/h et de 20 % à 60 km/h. A 50 km/h en revanche, les chances de survie indiquées sont plus proches de 60 % que de 50 %.

Données biaisées

Dans son rapport, l’OMS poursuit : «Après ajustement pour l’échantillonnage et le biais de l’analyse statistique, une étude plus récente montre qu’en cas de choc avec une voiture roulant à 60 km/h un piéton adulte a environ 20 % de probabilité de mourir.»

Selon ces recherches, les données sur lesquelles se base l’étude du chercheur finlandais Eero Pasanen biaiseraient en effet ses résultats, qui surestimeraient fortement la mortalité. D’après la même source de l’OMS, l’analyse de deux chercheurs, Erik Rosén et Ulrich Sander, fournirait des estimations de meilleure qualité à des vitesses d’impact inférieures à environ 60 km/h.

Datée de 2009, elle indique que les chances de survie d’un piéton seraient d’environ 98 % à 30 km/h, 92 % à 50 km/h et 80 % à 60 km/h. Ces chiffres concernent des piétons âgés de 15 ans ou plus, heurtés par l’avant d’une voiture.

Jean-Louis Martin, chercheur honoraire à l’université Gustave-Eiffel, et Dan Wu, statisticienne, ont consacré en 2017 une étude à ce sujet. Joint par CheckNews, Jean-Louis Martin rappelle le degré d’incertitude qui entoure toujours ce type de statistiques.

«La principale difficulté, c’est que les données sont assez rares. Pour connaître une vitesse d’impact, il faut expertiser le véhicule, les déformations qu’il a subies. Il faut aussi observer le lieu de l’accident, les traces de freinage notamment, explique-t-il. La forme du véhicule, la façon dont le piéton s’est présenté, la qualité du sol… Lorsqu’on donne une statistique générale, on moyenne tout ça. Dans notre étude, nous avons essayé d’isoler chacun de ces éléments, et y sommes plus ou moins parvenus selon la qualité des données.»

Ces recherches sont fondées sur les données d’accidentalité routière en France en 2011, et se concentrent sur les cas où un piéton a été heurté par l’avant d’une voiture. Les résultats de cette étude, à la méthodologie «plus rigoureuse» que celle de Rosén et Sander, selon Jean-Louis Martin, indiquent des chances de survie d’environ 99 % à 30 km/h, 95 % à 50 km/h et 85 % à 60 km/h. Bien loin donc des chiffres avancés par l’internaute.

A noter que toutes ces données concernent des vitesses d’impact, c’est-à-dire, la plupart du temps, des vitesses inférieures à celles de circulation, le conducteur ayant freiné en apercevant le danger. De plus, «si un piéton percuté par un véhicule a de bonnes chances de survie pour des vitesses d’impact relativement faibles, il ne faut pas oublier qu’il a des risques de blessures très importants», rappelle Jean-Louis Martin.

La limitation à 50 km/h moins respectée

Il est par ailleurs communément admis au sein de la communauté scientifique que les variations de vitesse, aussi petites soient-elles, ont un effet conséquent sur la survenue d’accidents mortels. D’après un rapport publié par l’OCDE en 2018, l’augmentation de la vitesse moyenne sur une route donnée conduit toujours à une augmentation du nombre d’accidents, avec cette particularité que la hausse est plus forte pour les accidents graves que pour les accidents légers.

L’organisme utilise le modèle de Nilsson, une relation empirique qui associe la variation de la vitesse moyenne constatée sur un réseau routier et celle de l’accidentalité sur ce réseau. Théorisé en 1982 par Goran Nilsson, un chercheur de l’Institut national suédois de recherche sur la route et les transports, ce rapport indique qu’un changement de 1 % de la vitesse moyenne résulte approximativement en un changement de 4 % de la fréquence d’accidents mortels.

En France, c’est l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière qui collecte les informations relatives aux accidents de la route et produit, à partir de ces données, les statistiques nationales. L’organisme les publie chaque année dans un bilan, dont l’édition 2021 mentionne que c’est en entrées et sorties d’agglomération moyenne, et sur les routes en traversée de petite agglomération, soit deux zones limitées à 50 km/h, que les excès de vitesse sont les plus fréquents.