Le gouvernement actuel est-il le premier à «utiliser le mot inceste», comme l’affirme Charlotte Caubel ?


Le gouvernement actuel est-il le premier à «utiliser le mot inceste», comme l’affirme Charlotte Caubel ?

Publié le vendredi 22 décembre 2023 à 18:11

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Charlotte Caubel au Sénat le 22 novembre 2023.

(Daniel Pier / NurPhoto / NurPhoto via AFP)

Auteur(s)

Anaïs Condomines

A l’Assemblée nationale pour défendre son bilan de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, la secrétaire d’Etat a assuré «qu’aucun gouvernement» avant l’exécutif actuel «n’avait utilisé le mot inceste».

Lors de la séance de questions au gouvernement mercredi 20 décembre, la secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, a tenu à défendre la nouvelle composition de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Créée en mars 2021 dans le sillage de #MeTooInceste et de la parution du livre de Camille Kouchner la Familia grande, la Ciivise fait actuellement l’objet d’une polémique. La non-reconduction du juge Edouard Durand à sa tête laissant craindre, comme l’a déjà écrit Libération, un «changement de doctrine».

A la députée écolo Sandrine Rousseau qui lui demande alors : «Est-ce parce que le juge Durand pointait l’ampleur des violences faites aux enfants et la faiblesse de votre réponse politique en face, que vous l’avez évincé ?», la secrétaire d’Etat a valorisé le profil pourtant controversé de ses successeurs et a notamment répondu : «Permettez-moi aussi de penser que la reconnaissance de la parole des victimes, que l’engagement auprès des victimes, n’a pas de monopole. Cette parole, elle ne se réduit pas au plébiscite apparent d’un homme, au travail d’une ministre ou même d’un gouvernement. C’est un combat, je l’ai dit, qui doit être mené par tout le monde, qui a été mené largement et qui continue d’être mené par cette majorité et ce gouvernement. Aucun gouvernement avant nous n’avait utilisé le mot inceste.»

Cette dernière précision – visant à mettre en exergue l’action de l’actuel gouvernement en matière de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants – n’est pas passée inaperçue. Sur le Twitter (renommé X), la fondatrice de l’association Mémoire traumatique et victimologie (et membre démissionnaire de la Ciivise), Muriel Salmona, s’est étonnée : «Bah bien sûr que si pour l’inceste ! Il y a eu des lois et en 2017 la ministre Laurence Rossignol a fait du renforcement des connaissances de l’inceste une des priorités du premier plan interministériel triennal de lutte contre les violences faites aux enfants.»

Débats, travaux et évolutions législatives avant Macron

En 2021, Emmanuel Macron est bien le premier président à avoir promulgué une loi qui crée de nouvelles infractions spécifiquement sur l’inceste, en instaurant un seuil de non-consentement. Avec ce texte, «aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 18 ans en cas d’inceste».

Mais bien qu’elle demeure un tabou lourd à faire évoluer politiquement, la problématique de l’inceste n’a pas attendu la majorité actuelle pour faire l’objet de débats, de travaux et d’évolutions législatives – et donc pour être spécifiquement mentionnée et mise sur la table par les gouvernements. Comme le note Muriel Salmona, la lutte contre l’inceste faisait en effet partie des priorités du plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, sur la période 2017-2019.

Ce plan, porté par Laurence Rossignol alors ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, comportait, dès la mesure numéro 3, l’objectif de «renforcer les connaissances sur l’inceste», lui-même intégré dans l’axe 1 qui se donnait notamment pour mission de «comprendre les mécanismes des violences». Cette mesure avait donné lieu à un rapport collectif du CNRS, commandé par Laurence Rossignol, sur la question de l’inceste.

La même Laurence Rossignol avait également porté une loi sur la protection de l’enfance dès 2016 sous François Hollande, afin d’inscrire le terme d’inceste dans le Code pénal. Jusque-là, il n’y figurait pas. Concrètement, il s’agit alors d’une surqualification d’infractions existantes (agression sexuelle, viol) et non de la création d’un crime spécifique d’inceste.

Avant elle, des précédents gouvernements avaient eux aussi débattu et œuvré dans le sens de l’inscription de l’inceste dans le Code pénal. Une première tentative infructueuse avait eu lieu avec la loi du 8 février 2010, portée par la députée UMP Marie-Louise Fort, sous Nicolas Sarkozy, et soutenue par le gouvernement, tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux. Un article censuré (puis abrogé) par le Conseil constitutionnel qui a estimé trop imprécise la définition retenue.

«La modestie, première vertu des ministres»

Auprès de CheckNews, Laurence Rossignol appelle à la «modestie, première vertu des ministres» «L’entrée du terme inceste dans le Code pénal, en 2016, ce n’est pas totalement anodin comme affaire. Mais en fait, ce n’est ni eux ni moi qui en avons le plus fait : c’est la société civile, et ça, l’actuel gouvernement à tendance à l’oublier. C’est vrai qu’ils ont fait davantage sur l’inceste, mais c’est parce qu’il y a eu #MeTooInceste à ce moment-là et une mobilisation féministe inédite sans laquelle il n’y aurait rien. Ce sont les victimes qui poussent les gouvernements à agir.»

De son côté, le cabinet de Charlotte Caubel précise auprès de CheckNews : «L’idée n’est absolument pas de dire qu’avant nous, aucun gouvernement n’a jamais employé le mot inceste. Pour qu’on puisse l’intégrer dans une campagne publique, il faut bien que ce mot ait une histoire, et nous ne remettons pas en cause ce qu’a fait Laurence Rossignol auparavant dans le cadre d’un plan d’actions, et d’autres avant elle. Mais jamais un gouvernement ne s’est engagé aussi fort et avait utilisé le terme d’inceste dans une campagne publique diffusée dans tous les médias [un spot du gouvernement, ndlr], y compris aux heures de grande écoute. Ce gouvernement a osé mettre ce mot en avant et le positionner dans le débat public.»