Non, cette vidéo ne montre pas deux Américains victimes d’autochtones cannibales


Non, cette vidéo ne montre pas deux Américains victimes d’autochtones cannibales

Publié le jeudi 17 août 2023 à 10:58

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Une plage au Vanuatu

(Eric Lafforgue / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP )

Auteur(s)

Alix Garcia

Une vidéo publiée sur TikTok est censée montrer les derniers instants de deux jeunes ayant fait la rencontre d’une tribu autochtone. Cette séquence, trompeuse, est le fruit d’un montage.

Des Américains ayant fait office de «repas du soir» pour les habitants de «l’île aux cannibales». C’est ce que prétend dévoiler une vidéo virale publiée le 21 juillet sur TikTok. Vue plus de 5 millions de fois, cette séquence est censée montrer deux «frères jumeaux» qui arrivent sur une île et font la rencontre d’une tribu autochtone. Laquelle semble accueillir les jeunes hommes avec enthousiasme, en les prenant par la main et en dansant autour d’eux. D’après l’auteur de la vidéo, la joie de la tribu à la vue des deux visiteurs s’expliquerait par leurs coutumes anthropophages.

Sur le réseau social, cette publication a suscité nombre d’interrogations et de moqueries de la part d’utilisateurs, notamment concernant la récupération et la publication des images, les deux touristes étant censés être morts. «Si c’est leurs derniers instants, comment avez-vous fait pour avoir les images ?», demande un commentaire posté sous la vidéo.

CheckNews a retrouvé la vidéo originale, publiée par la chaîne YouTube YBS Youngbloods en novembre. Elle met en scène l’influenceur australien Brodie Moss en train d’explorer une île appartenant aux Vanuatu, dans le sud de l’océan Pacifique. La vidéo, qui comptabilise 10 millions de vues, présente le lieu de vie d’une tribu pas du tout hostile au visiteur, le faisant allègrement participer aux festivités traditionnelles.

Confusion entretenue avec l’île des Sentinelles

Si le montage TikTok est faux, et s’appuie sur une vidéo sortie de son contexte, la vidéo originale elle-même est aussi mensongère à certains égards. En effet, le youtubeur y affirme que les locaux «n’ont pas vraiment vu des personnes comme nous auparavant, hormis Brett», qu’il présente comme son ami. Sauf que Brett, que l’on voit sur la vidéo arborer un tee-shirt «Kwakea Island», est le propriétaire de l’île de Kwakea sur laquelle il organise un circuit touristique, qui comprend notamment une rencontre avec une tribu locale. Sur certaines vidéos de son compte Instagram, on peut même voir certains autochtones vêtus du tee-shirt de l’agence touristique. Ce qui va à l’encontre de l’idée que cette tribu vit en autarcie.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un contenu reprend cette vidéo pour en transformer le scénario. La page web WeLikeIt avait déjà raconté l’histoire, un mois après la sortie de la vidéo, en affirmant que le youtubeur aurait «failli mourir» durant l’excursion. Avant de mentionner à la toute fin de l’article la possibilité d’une «petite mise en scène».

Si le détournement de cette vidéo est certain, le succès viral rencontré peut s’expliquer par la confusion entretenue avec une autre île, qui a fait les gros titres il y a quelques années. En novembre 2018, la mort d’un Américain de 27 ans, alors qu’il tentait d’approcher l’île indienne des Sentinelles, avait défrayé la chronique. John Chau s’était donné pour but d’évangéliser les habitants de cette île du golfe du Bengale. Mais alors qu’il s’approchait du rivage, il a été atteint par des flèches. Son corps a été retrouvé le matin suivant par des pêcheurs. Le cas de la tribu des Sentinelles, qui vit en complète autarcie et est particulièrement hostile au monde moderne, est unique en son genre (d’où l’intérêt qu’elle suscite chez les anthropologues). Toutefois, aucun fait de cannibalisme n’est recensé la concernant.

Cannibalisme qui relève souvent du fantasme

Une des images utilisées dans la vidéo TikTok atteste d’une volonté de jouer de cette confusion avec l’île des Sentinelles. Au milieu de la séquence, apparaît ainsi une photo d’un membre de la tribu insulaire brandissant un bâton. Ce cliché, daté de 2004, a été pris depuis un hélicoptère des gardes-côtes indiens, qui souhaitaient s’assurer de la survie des Sentinellois à la suite d’un tsunami qui avait frappé l’océan Indien.

Le cannibalisme des peuples autochtones vivant sur ces îles relève souvent du fantasme. Selon plusieurs témoignages, dont celui d’Herman Melville (l’auteur du célèbre Moby Dick), certains cas ont bien été recensés. Mais cette pratique, qui a notamment existé sur les îles Marquises, a disparu à compter du XXe siècle, comme le relate un article du Point.