Les bébés prématurés de l’hôpital Al-Shifa sont-ils «tous morts», comme le prétendent des publications pro-Hamas ?


Publié le vendredi 24 novembre 2023 à 11:38

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Lors du transfert des bébés prématurés en Egypte lundi 20 novembre.

(AFP)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André

Sur les 39 nouveau-nés qui étaient en couveuse à Al-Shifa avant que l’électricité ne soit coupée dans l’hôpital gazaoui, huit sont morts à ce jour. La quasi-totalité des survivants ont été transportés en Egypte pour y être soignés, trois autres ont été transférés dans d’autres hôpitaux.

Le sort des bébés prématurés d’Al-Shifa captive l’opinion internationale depuis que, samedi 11 novembre, l’hôpital gazaoui avait rapporté que leurs couveuses avaient arrêté de fonctionner, faute de carburant pour faire tourner les générateurs électriques. L’hôpital indiquait alors que 39 bébés prématurés se trouvaient à Al-Shifa et que des infirmiers procédaient à des «massages respiratoires à la main» pour les maintenir en vie. Le décès de «sept bébés prématurés» avait ensuite été annoncé le 13 novembre par le vice-ministre de la Santé du gouvernement du Hamas, présent sur place. Mais l’organisation Médecins sans frontières, contactée par CheckNews le même jour, ne nous confirmait alors la mort que de deux des bébés qui étaient en couveuse. La presse américaine, et notamment l’agence Reuters, évoquait pour sa part «trois bébés morts». Les jours suivants, les réseaux sociaux se remplissaient de dessins de couveuses transformés en tombe (comme celui-ci).

Dès le 14 novembre, l’armée israélienne faisait affichage de sa volonté «de permettre l’évacuation en toute sécurité des nouveau-nés». Ce jour-là, Reuters faisait ainsi état d’un transfert de couveuses opéré par Tsahal. «D’après nos informations, Al-Shifa ne dispose pas des couveuses de transport nécessaires» pour assurer une évacuation, expliquait un responsable israélien auprès de l’agence de presse.

Une annonce abondamment relayée

Le 17 novembre, le directeur d’Al-Shifa faisait savoir à Sky News Arabia qu’en raison du siège de l’armée israélienne, tous les patients du service de soins intensifs de l’hôpital étaient décédés. Soit, d’après le directeur, un total de 54 personnes. Dans son échange avec l’antenne arabe du groupe de télévision britannique Sky News, il ajoutait, s’agissant des bébés prématurés : «Si les enfants ne reçoivent pas de traitement et d’aide médicale, ils seront déclarés morts les uns après les autres.»

Le même jour, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux, émanant de comptes pro-Hamas, affirment que tous les nourrissons d’Al-Shifa ont officiellement été déclarés morts. La Danoise Anastasia Maria Loupis, aux prises de position ouvertement anti-israéliennes, et coutumière des fake news, affirme dans un tweet consulté plus de 6 millions de fois : «On vient d’annoncer que tous les bébés prématurés de l’unité de soins intensifs de l’hôpital Al-Shifa sont morts à cause de la pénurie de carburant et du blocus sioniste.»

L’annonce est abondamment relayée, dans différentes langues (en espagnol ici, par exemple). Elle a même été reprise par un diplomate intervenant au sein de l’ONU. Dans une publication, vue par plusieurs millions de personnes avant d’être supprimée (plusieurs archives restent visibles sur la Wayback Machine), Mohamad Safa, dirigeant de Patriotic Vision, une ONG dotée d’un statut consultatif spécial auprès des Nations unies, annonçait à ses abonnés que «tous les bébés prématurés de l’hôpital Al-Shifa sont maintenant morts». La rumeur a continué de circuler en France le 19 novembre, via notamment un tweet de l’entrepreneur Bertrand Scholler, complotiste notoire.

«Des plans pour l’évacuation immédiate des patients restants, du personnel et de leurs familles»

En réalité, la majorité de ces bébés prématurés sont encore en vie. Lors de sa venue à l’hôpital, le 18 novembre, «une équipe d’évaluation humanitaire conjointe des Nations unies» dirigée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a constaté que «parmi les patients, on compte 32 bébés dans un état extrêmement critique», comme elle l’indique dans un communiqué. L’OMS disait s’être lancée d’urgence, avec ses partenaires, dans l’élaboration «de plans pour l’évacuation immédiate des patients restants, du personnel et de leurs familles».

C’est ainsi que le lendemain, «une deuxième mission conjointe des Nations unies, dirigée par l’OMS et travaillant en collaboration avec le Croissant-Rouge palestinien, a évacué 31 bébés de l’hôpital Al-Shifa, dans le nord de la bande de Gaza, vers un hôpital du sud de la bande de Gaza». Plus précisément vers l’unité de soins intensifs néonatals de la maternité Al-Helal Al-Emarati, à Rafah, comme Libération le rapportait dimanche. Et ce «pour y recevoir un traitement d’urgence», précise l’agence onusienne, sollicitée par CheckNews.

Entre-temps, l’OMS avait rectifié les chiffres précédemment communiqués, mentionnant désormais 33 bébés encore «pris en charge» à Al-Shifa en date de samedi, après avoir «été déplacés de l’unité néonatale d’Al-Shifa vers une zone plus sûre de l’hôpital». Deux d’entre eux étant morts dans la nuit «avant que l’évacuation n’ait pu avoir lieu», ce sont bien 31 nourrissons qui ont été transportés dimanche «dans six ambulances fournies par le Croissant-Rouge palestinien» et, complète un communiqué de l’Unicef«dans des couveuses à température contrôlée» (aucune source ne nous a précisé s’il s’agit de celles fournies par Israël). Avant leur évacuation, ajoute l’Unicef, «l’état des nouveau-nés se détériorait rapidement, alors que plusieurs autres bébés ont connu une mort tragique à la suite de l’effondrement de tous les services médicaux à Al-Shifa». Ainsi, sur les 39 bébés qui se trouvaient en couveuse avant d’en être sortis le 11 novembre, huit sont depuis décédés.

«Tous les bébés luttent contre de graves infections et continuent à avoir besoin de soins de santé»

La première opération de transfert de Gaza à Rafah a été suivie d’une seconde, lundi 20 novembre, vers des établissements de santé égyptiens. «Aujourd’hui, 28 des 31 bébés prématurés évacués hier de l’hôpital Al-Shifa ont été transférés en toute sécurité à Al-Arish pour recevoir un traitement médical en Egypte», avait tweeté le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Le transport des bébés a, cette fois encore, été assuré par le Croissant-Rouge palestinien, un convoi d’ambulances s’étant ainsi déplacé jusqu’en Egypte, en passant par le poste-frontière de Rafah. Des équipes médicales égyptiennes les y attendaient avec des couveuses pour les prendre en charge, comme le montrent des images partagées notamment par l’association humanitaire. Douze des bébés ont ensuite été transportés par avion au Caire.

«Les 28 bébés sont maintenant arrivés sains et saufs en Egypte», confirme l’OMS à CheckNews ce mercredi 22 novembre. Douze sont soignés à l’hôpital du Caire, les autres sont pris en charge à l’hôpital général d’El-Arish, dans la péninsule du Sinaï. «Trois bébés sont toujours à l’hôpital Al-Helal Al-Emarati et continuent de recevoir un traitement», poursuit l’OMS. Globalement, «tous les bébés luttent contre de graves infections et continuent à avoir besoin de soins de santé». De fait, s’ils sont 31 à avoir pour l’instant survécu, leurs jours ne sont toujours pas hors de danger. «Sur ces 31 enfants, 11 ou 12 sont dans un état critique et tous les autres sont gravement malades», a déclaré le médecin de l’OMS Rick Brennan, lors d’une interview accordée à Reuters au Caire.

Une source gouvernementale égyptienne a confié à CNN que lors du transport de 28 bébés en Egypte, «quatre des mères ont voyagé avec leurs enfants […] mais le statut et le lieu de séjour des autres parents ne sont pas connus». Une publication de Quds News Network, l’agence de presse palestinienne affiliée au Hamas, comprend des photos d’un de ces bébés, dont les documents (bracelet au pied, étiquette sur la couveuse, etc.) indiqueraient qu’il est de sexe féminin et qu’«elle a quitté Gaza pour l’Egypte sans «personne», car «tous les membres de sa famille ont été tués» lors d’une frappe aérienne israélienne».

Parmi les trois bébés restés à Rafah, deux se trouvent dans l’unité de soins intensifs de la maternité, parce que leur état de santé le nécessitait, et un troisième n’a pas été transféré en Egypte car ses parents se trouvent actuellement dans le nord de la bande de Gaza. «Anas est l’un des trois seuls des 31 prématurés sauvés de l’hôpital Al-Shifa à être restés dans la bande de Gaza», explique Reuters, qui a publié des images des retrouvailles du bébé avec sa mère, mardi, après quarante-cinq jours de séparation.