Les jeunes plus perméables aux fake news : une peur infondée ?


Les jeunes plus perméables aux fake news : une peur infondée ?

Publié le lundi 16 octobre 2023 à 16:43

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Des adolescents utilisent leur smartphone à Marseille, dans le sud de la France, le 27 juin 2022

(Nicolas TUCAT / AFP)

Auteur(s)

Nathan Gallo

La jeunesse, classe d'âge la plus en danger face aux fake news en ligne ? C'est en tout cas ainsi qu'est souvent perçue cette nouvelle génération ultraconnectée aux réseaux sociaux, par la classe politique comme dans les médias. Un constat toutefois trompeur, alors que les jeunes générations ne sont pas celles qui partagent le plus de désinformation. 

 

Les jeunes en première ligne face à la désinformation en ligne ? Cette question a alimenté les débats dans les médias et la sphère politique au cours des dernières années. Une crainte exprimée vis-à-vis d'une jeunesse très connectée (94% des 15-29 ans possédaient un smartphone en France en 2021 selon l'Insee) et qui s'informe majoritairement sur les réseaux sociaux. 

Ces dernières années, cette inquiétude s'est retrouvée étayée par quelques sondages qui ont tenté de mettre en lumière la propension de cette génération à adhérer aux diverses théories complotistes qui foisonnent en ligne. "Génération Tiktok, génération 'toctoc' ?", s'est notamment inquiété l'institut de sondage Ifop, missionné pour enquêter sur la propagation de théories complotistes chez les 18-24 ans par la fondation Jean Jaurès et la fondation Reboot en janvier 2023. 

Les conclusions, très relayées dans les médias, apparaissent sans appel : 69 % des jeunes sondés auraient adhéré à au moins une des 12 contre-vérités qui leur avait été soumise. "Les adeptes des thèses conspirationnistes et plus généralement des croyances irrationnelles [sont] particulièrement nombreux chez les jeunes, notamment chez ceux qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux", décrit le rapport de la fondation Jean Jaurès. 

"[Cette enquête] confirme la corrélation déjà observée entre l’adhésion conspirationniste et des usages informationnels privilégiant les réseaux sociaux comme mode d’accès à l’information et à la connaissance", avait déploré de son côté Rudy Reichstadt, co-auteur de l'étude pour la fondation Jean-Jaurès et fondateur du site internet Conspiracy Watch.

Un adolescent présente un smartphone avec le logo du réseau social chinois Tik Tok, le 21 janvier 2021 à Nantes, dans l'ouest de la France (Loïc VENANCE / AFP)

Un adolescent montre un smartphone avec le logo du réseau social chinois Tik Tok, le 21 janvier 2021 à Nantes, dans l'ouest de la France (Loïc VENANCE / AFP)

D'où l'urgence d'agir, aux yeux d'Emmanuel Macron lui-même. Lors de ses vœux à la presse en janvier 2022, le Président de la République a exprimé le besoin de "former davantage nos enfants à l'esprit critique" face aux "transformations" du numérique, pour lutter contre le "relativisme, qui conduit au complotisme".

Election de Trump : les 18-29 sont ceux qui ont le moins partagé de désinformation

Pourtant, de nombreux travaux de recherche publiés ces dernières années remettent en perspective cette vision alarmiste d'une jeunesse particulièrement touchée par la désinformation et les thèses complotistes. 

Plusieurs études ont par exemple démontré que les jeunes électeurs n'ont pas été les plus gros pourvoyeurs de désinformation politique en ligne lors des dernières élections présidentielles américaines.

Une étude menée par les universitaires Andrew Guess et Andy Tucker, publiée en 2019 dans la prestigieuse revue Science, a par exemple révélé que les 18-29 ans avaient été en moyenne les moins enclins à partager de la désinformation sur Facebook lors de l'élection de Donald Trump en 2016, contrairement aux plus âgés : les personnes de plus de 65 ans avaient en effet partagé en moyenne sept fois plus de désinformation sur la plateforme que les jeunes électeurs.

Une autre étude menée sur Twitter par les chercheurs Nir Grinberg et David Lazer et publiée dans Science en 2019 a révélé que les personnes âgées de plus de 65 ans avaient été exposées deux fois plus à la désinformation politique que les 18-29 ans sur la même période.

Même constat lors de l'élection américaine de 2020, où de nouvelles études ont retrouvé une plus forte tendance des plus âgés à partager ou interagir avec les fausses informations.

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Le président américain Donald Trump, aux côtés du vice-président américain Mike Pence, parle de la signature de décrets sur les politiques commerciales dans le bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, DC, le 31 mars 2017 (Saul LOEB / AFP)

Une stigmatisation infondée d'une jeunesse "connectée" ? 

Pourquoi dès lors a-t-on tendance à considérer les jeunes, classe d'âge par ailleurs difficile à qualifier et à décrire dans sa globalité, comme la plus à risque face à la désinformation ?

"La jeunesse est à la fois la génération à l'avant garde des transformations sociales, la plus connectée et celle qui passe le plus de temps sur les réseaux sociaux", décrit Julien Boyadjian, maître de conférences en science politique à Sciences Po Lille, auprès de DE FACTO. "D'où une certaine crainte, car l'on retrouve beaucoup de désinformation sur ces plateformes".

"Il existe une corrélation entre pratiques informationnelles sur les réseaux sociaux et désinformation", explique de son côté Anne Cordier, professeure en Sciences de l'Information et Communication à l'Université de Lorraine à DE FACTO. "Mais cela ne veut pas dire causalité". 

Comme d'autres chercheurs, cette spécialiste des pratiques informationnelles regrette une "stigmatisation des publics jeunes", et se montre critique face aux résultats des sondages décrivant une appétence des jeunes pour les théories complotistes.

Outre celui de l'Ifop en 2023, un sondage de 2021 réalisé par l'institut CSA avec l'éditeur Milan Presse affirmait par exemple que 85% des 10-15 ans étaient séduits par des théories complotistes. 

Les critiques sont nombreuses, entre le mélange dans les questions entre croyances et opinion, le manque de transparence dans la méthodologie, et des résultats parfois extrapolés : "un sondage n'est pas une enquête. Ce que je trouve problématique, entre autres choses ici, c'est que l'on n'a pas la fabrique du questionnaire", exprime Anne Cordier.

En 2018, une autre étude de l'Ifop, qui concluait que près de 80% des Français adhèrent à au moins une théorie du complot, avait aussi été critiquée sur des critères similaires, ce qui avait suscité notamment des précisions de la part de l'Institut de sondage.

En réalité, les différents travaux de recherche décrivent une situation bien plus nuancée.

"Il n'y a pas de pic de sensibilité à la désinformation chez les jeunes", décrit Anne Cordier. "Ce qu'on observe scientifiquement, c'est une vigilance informationnelle chez les jeunes publics. Mais ce qui est vrai, c'est qu'il existe un écart entre leur vigilance informationnelle et les critères mobilisés pour évaluer une information".

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Une photo prise le 9 avril 2020 à Paris montre un client achetant un magazine dans un kiosque à journaux, au 24e jour d'un confinement visant à freiner la propagation du COVID-19 en France (Bertrand GUAY / AFP)

Une désinformation qui dépend surtout de "facteurs sociaux et politiques"

Apparence du site, popularité d'une vidéo ou de son auteur, etc. : des critères pragmatiques prennent souvent le pas sur d'autres indications, comme l'expertise de l'auteur ou la plausibilité du message.

Une attitude qui n'est pas propre aux nouvelles générations, mais à l'ensemble de la population, décrit Anne Cordier.

D'où le besoin de ne pas réduire l'enjeu de la désinformation à une question générationnelle. "La recherche montre que la propension à partager des fake news ne dépend pas seulement de l'âge, mais aussi de facteurs sociaux et politiques", précise Julien Boyadjian.

Du fait de leur biais partisan, militants et internautes politisés sont en réalité ceux qui partagent le plus de désinformation en ligne. Une des dernières études sur le sujet montre notamment que les classes les plus âgées partageraient plus de désinformation moins par illettrisme numérique que par polarisation politique.

Autre facteur : la confiance aux institutions. "On observe que la crédulité aux fake news dépend de la confiance que l'on accorde aux médias traditionnels", décrit le chercheur de Sciences Po Lille.

Une confiance socialement ancrée et plus forte dans les milieux les plus intégrés, et à l'inverse moins développée chez les classes populaires, explique Julien Boyadjian. 

"Les jeunes socialement intégrés vont avoir une connaissance plus fine du champ informationnel et de l'actualité politique par rapport aux classes populaires", décrit le chercheur de Sciences Po Lille, qui rappelle que ces différences s'observent dans l'ensemble de la société. 

Des jeunes désinformés, moins informés…ou informés différemment ? 

Il est en tout cas indéniable que les nouvelles générations, nées à la fin des années 90, ont un rapport nouveau à l'information. En plus de s'informer majoritairement sur les réseaux sociaux, cette classe d'âge consomme des contenus nouveaux, nés avec le numérique. 

Formats plus courts et en vidéo, attrait pour des contenus dits plus viraux, hiérarchie de l'actualité différente de celle définie par les médias : "pour certains publics, l'actualité, c'est ce dont on parle sur les réseaux sociaux, et pas forcément l'actualité comme celle définie par les professionnels de l'information", décrit Julien Boyadjian.

"On continue de plaquer de vieux schémas sur ce que signifie s'informer sur l'actualité à une génération qui a des conceptions et des manières très différentes", explique de son côté Anne Cordier. 

Dans leurs travaux, les deux chercheurs ont observé que les jeunes s'informent, mais moins sur l'actualité dite politique ou internationale, privilégiée par les médias traditionnels, et plus sur une actualité souvent moins valorisée, comme le sport, la mode, mais aussi les questions de société.

Avec encore ici des différences socio-culturelles fortes, entre des jeunes issus de milieux populaires qui auront tendance à moins s'informer que les étudiants issus de milieux plus aisés sur l'actualité politique. 

Ce nouveau rapport à l'information induit mécaniquement "une moindre exposition aux médias traditionnels et à l'actualité, mais donc aussi à la désinformation politique", explique Julien Boyadjian.

"On parle beaucoup des bulles de filtre, mais avant de se demander si l'algorithme propose des contenus de gauche ou de droite, l'algorithme ne va pas vous proposer des sujets en rapport avec la politique", souligne-t-il. 

Des sujets qui "échappent complètement au regard des adultes, qui les considèrent comme non-sérieux, alors que se jouent les mêmes capacités en termes d'évaluation de l'information", souligne Anne Cordier.

Se pose dès lors la question de la désinformation sur d'autres actualités, notamment sanitaires, pour ces nouvelles générations. Mais aussi pour les autres générations. "Pour moi, on a un problème qui est beaucoup trop cristallisé autour d'un public, alors que le problème est global", conclut Anne Cordier.










 

https://www.sudouest.fr/france/de-plus-en-plus-seduits-par-l-occulte-et-les-fake-news-les-jeunes-sont-nombreux-a-se-mefier-de-la-science-13650717.php

De plus en plus séduits par l’occulte et les fake news, les jeunes sont nombreux à se méfier de la science

https://www.jean-jaures.org/publication/la-mesinformation-scientifique-des-jeunes-a-lheure-des-reseaux-sociaux/

Mésinformation scientifique à l'heure des réseaux sociaux

https://www.elle.fr/Societe/News/Fake-news-les-adolescents-sont-de-plus-en-plus-nombreux-a-croire-aux-fausses-informations-4046404

Julien Boyadjian : https://www.telerama.fr/enfants/les-jeunes-qui-s-informent-uniquement-sur-les-reseaux-sociaux-sont-en-realite-peu-nombreux-7014204.php

Anne Cordier

Articles de recherche à lire : 

Evaluating the fake news problem at the scale of the information ecosystem : https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.aay3539

A digital media literacy intervention for older adults improves resilience to fake news : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35397631/ 

Aging in an Era of Fake News

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32968336/ 

Less than you think: Prevalence and predictors of fake news dissemination on Facebook

https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.aau4586

Ce fact-check a été également publié par Grand angle DE FACTO.

Ce fact-check a été publié par DE FACTO.