Israël-Palestine : une bataille informationnelle pour "l'opinion publique mondiale"


Israël-Palestine : une bataille informationnelle pour "l'opinion publique mondiale"

Publié le lundi 13 novembre 2023 à 10:32

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Un journaliste observe le coucher de soleil sur la bande de Gaza depuis une position située de l'autre côté de la frontière, dans le sud d'Israël, le 8 novembre 2023

(Jack Guez / AFP)

Auteur(s)

Nathan Gallo

Depuis le début du conflit le 7 octobre, autorités israéliennes et palestiniennes se livrent une guerre informationnelle d'une intensité rarement observée, sur les réseaux sociaux comme dans les médias. Retour sur ce conflit parallèle entre deux récits et cette lutte d'influence en ligne "mondialisée".

Montrer l'horreur. Le 23 octobre, l'armée israélienne a convié la presse internationale présente en Israël à une conférence de presse d'un genre particulier. Pendant 40 minutes, les quelque 150 journalistes présents ont assisté au visionnage de photos et vidéos prises lors de l'attaque du Hamas, qui a fait plus de 1400 morts sur le territoire israélien entre le 7 et le 9 octobre 2023. 

Ces scènes d'une violence inouïe, captées par les assaillants comme par les victimes, montraient pêle-mêle des séquences de décapitations, des vidéos d'assassinats captées par l'organisation palestinienne ou encore des photos de corps brûlés. 

"Je viens de voir des scènes indescriptibles, brutes, du massacre du Hamas", racontait quelques minutes plus tard le journaliste danois Jotam Confino, présent lors de la conférence, sur X (ex-Twitter). 

Un sentiment directement recherché par les autorités israéliennes, pour "éviter ce qui s'apparente à un phénomène de négationnisme en direct", comme l'a justifié un porte-parole du gouvernement. 

"Ne pas perdre la bataille de l'opinion publique mondiale"

Depuis, les conférences de presse similaires à l'international s'enchaînent, en France comme aux Etats-Unis pour continuer à dénoncer l'horreur des attaques du Hamas.

Depuis le 7 octobre, Israël a mis en place une campagne de communication de crise intense et agressive, sur les réseaux sociaux et à destination des médias internationaux. Une stratégie qui a un nom : la "hasbara", ou explication en hébreu, désignant les tentatives pour convaincre à l'étranger.

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Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'exprime lors d'une conférence de presse sur la base militaire de Kirya à Tel Aviv, le 28 octobre 2023 (Abir SULTAN / POOL / AFP)

"L'objectif pour Israël est de ne pas perdre la bataille de l'opinion publique mondiale face à la doctrine victimaire du Hamas", décrit David Colon, historien à Sciences Po et auteur du livre paru en septembre 2023 La guerre de l'information (Editions Tallandier).

Depuis le 7 octobre, les différents comptes officiels d'Israël sur X (ex-Twitter) diffusent à longueur de journée vidéos et images des attaques du Hamas et des 224 otages toujours en captivité. 

Ces dernières semaines, le pays a même fait insérer des vidéos diffusées sous la forme de publicités rappelant la présence des otages à Gaza et le besoin pour Israël de "prendr[e] toutes les mesures nécessaires' face aux "barbares terroristes", à destination des internautes occidentaux. 

"Chaque camp cherche à démontrer la dépravation et le côté sanguinaire de l'ennemi", souligne Moustafa Ayad, directeur général à l'Institute for Strategic dialogue (ISD) pour la région Afrique-Asie-Moyen-Orient.

Au Hamas, du "message de puissance" aux appels aux victimes

Car en face, le Hamas n'a cessé aussi d'interpeller ces dernières semaines l'opinion publique mondiale sur les bombardements des forces armées israéliennes sur Gaza et les victimes civiles palestiniennes.

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Des personnes se tiennent près de corps de victimes devant la morgue de l'hôpital al-Shifa dans la ville de Gaza, le 12 octobre 2023 (Mohammed ABED / AFP)

Une communication diamétralement opposée à celle initiée par l'organisation palestinienne lors des premiers jours du conflit : le 7 octobre, le Hamas venait de lancer son opération "Déluge d'Al-Aqsa". 

"Plus de 5 000 roquettes" étaient tirées vers Israël, selon le commandant de sa branche armée Mohammad Deif, qui entendait "mettre un terme à tous les crimes de l’occupation israélienne". Plus de 2000 soldats du Hamas entraient sur le territoire israélien, filmant leurs exactions massivement retransmises ensuite par l'ensemble des médias internationaux.

"Au début du conflit, le Hamas a voulu adresser un message de puissance à destination de ses alliés dans le monde musulman et mobiliser de nouveaux soutiens, comme Daech avait su le faire en 2014 et 2015 par la médiatisation de ses actes de violence", explique David Colon. 

Mais depuis, l'organisation a effectué un virage à 180 degrés, niant la réalité-même de ces images. 

L'organisation communique désormais massivement sur les morts civils de Gaza sous les bombes israéliennes - plus de 10.000 morts au 6 novembre selon le Ministère de la santé gazaoui géré par le Hamas.

L'organisation a aussi diffusé les vidéos de libération de deux otages américaines, transportées jusqu’à la frontière entre Gaza et Israël et prises en charge par le personnel du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). 

"Le Hamas prétend à la face du monde avoir relâché ces femmes qu'il avait prises en otage pour des raisons humanitaires, alors qu'il s'agit d'une organisation terroriste meurtrière qui retient actuellement en otage des nourrissons, des enfants, des femmes et des personnes âgées", avait dénoncé Daniel Hagari, le porte-parole de l'armée israélienne.

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Des personnes passent devant des affiches d'enlèvements et de disparitions, montrant des Israéliens récemment enlevés ou disparus, suite aux attaques du Hamas contre Israël, dans le centre de Paris, le 17 octobre 2023 (Kiran RIDLEY / AFP)

Dans cette bataille d'images, les autorités israéliennes sont allés de leur côté jusqu'à faire visiter à des journalistes étrangers la morgue recueillant les centaines de personnes assassinées lors de l'attaque du Hamas. Un récit glaçant raconté par plusieurs journalistes sur place.

"Israël s'adresse à l'opinion publique mondiale à travers les journalistes internationaux sur place, avec une préoccupation majeure qui a été jusque là de faire connaître et reconnaître les crimes particulièrement barbares commis le 7 octobre 2023", décrit David Colon.

Une bataille informationnelle "d'une ampleur inédite"

"On observe ce type de stratégie lors de chaque conflit, note Moustafa Ayad. Mais le conflit israélo-palestinien atteint ici des sommets, étant chargé d'émotions intimement liées à des aspects religieux et géopolitiques". 

La bataille informationnelle entre les deux camps semble en effet avoir atteint cette fois-ci "une ampleur inédite", souligne David Colon. 

Une intensité liée à la centralité de cette guerre à l'échelle internationale : "Autant le conflit en lui-même est aujourd'hui circonscrit à la bande de Gaza, autant le conflit informationnel a un impact mondial", indique l'historien, qui parle de "mondialisation instantanée" du conflit. 

Mais tous les observateurs pointent aussi le manque de responsabilité des plateformes en ligne, de X à TikTok, alors que les volumes de communication ont atteint des niveaux exceptionnels, "encore plus importants que lors du déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022" juge David Colon. 

Les réseaux sociaux sont dès lors critiqués pour leurs politiques de modération très insuffisantes, alors qu'images violentes et désinformation pullulent sur leur plateforme. Une situation particulièrement visible sur X, qui depuis la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk en octobre 2022, a coupé massivement dans ses équipes de modération.

"Les outils de modération de contenu, qui depuis 2015 avaient permis d'enrayer la diffusion de contenus terroristes ou violents, se montrent aujourd'hui inefficaces pour faire face à l'ampleur de ces contenus", pointe David Colon. 

Des failles exploitées massivement par chaque acteur dans cette guerre informationnelle : dans un rapport publié le 11 octobre, l'entreprise de veille en ligne israélienne Cyabra avait indiqué que 25% des profils qui ont participé aux conversations en ligne sur la guerre étaient des faux comptes pro-Hamas.

Des stratégies de désinformation omniprésentes

Les autorités israéliennes s'engouffrent elles aussi dans des tactiques agressives en ligne et de désinformation sur la situation à Gaza. Sur X, les comptes officiels israéliens ont notamment remis sur le devant de la scène la théorie du Pallywood, contraction entre Palestine et Hollywood, accusant le Hamas de simuler ses morts.

"Nous avons déjà vu des Etats propager des fake news, comme en Ukraine ou en Afghanistan, décrit Moustafa Ayad. Mais le problème aujourd'hui, c'est qu'il y a moins de mécanismes de modération et que les plateformes censées corriger ces problèmes ne tiennent pas le choc".

Le compte officiel d'Israël sur X a été épinglé à plusieurs reprises pour de fausses accusations de mises en scène de personnes palestiniennes. 

"Ce n'est pas nouveau. Dès 2002, Israël répondait à la diffusion de vidéos de victimes palestiniennes publiées par le Hamas par l'affirmation de leur fausseté", souligne David Colon. Mais ce qui est nouveau, c'est qu'une vidéo de ce type peut toucher des centaines de millions de personnes en quelques heures à peine". 

Le Hamas est de son côté décrédibilisé après avoir accusé Israël d'avoir causé la mort de plus de 500 personnes lors d'une explosion à l'hôpital d'Al-Ahli en plein cœur de Gaza. Une information reprise par l'ensemble des médias internationaux dans les premières heures, puis infirmée au fil des jours alors que l'origine de l'attaque et le nombre de morts est encore à ce jour indéterminée.

Une situation de flou liée en grande partie au blackout informationnel inédit qui touche Gaza, causé par le blocus de la zone et la fermeture de la frontière au sud par l'Egypte et empêche les médias internationaux d'avoir des correspondants sur place. D'où des zones d'ombre régulières, qui laissent le champ libre à la prolifération de fausses informations. 

"La bataille des récits et des images, vraies ou fausses, est une bataille qui a pour théâtre nos propres esprits", décrit David Colon. "La grande différence entre ce que l'on pouvait constater il y a dix ans et aujourd'hui, c'est le fait qu'il est devenu impossible d'échapper à ces images de violence ou manipulatoires, diffusées de part et d'autre". 

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Des journalistes, des parents et des amis prient devant le corps du journaliste de la télévision palestinienne Mohamed Abu Hatab et de onze membres de sa famille, le lendemain du jour où ils ont été tués lorsque leur maison a été touchée lors du bombardement israélien de Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 3 novembre 2023 (Mahmud HAMS / AFP)
Ce fact-check a été également publié par Grand angle DE FACTO.

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