Un bénéficiaire du RSA conditionné sur deux retrouve-t-il un emploi comme l'affirme Gabriel Attal ?


Publié le mercredi 13 mars 2024 à 08:53

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Le Premier ministre Gabriel Attal annonce l'extension de la réforme du RSA à 30 départements supplémentaires, lors d'un déplacement à Saint-Michel-sur-Meurthe (Vosges), le 1er mars 2024.

(SEBASTIEN BOZON / AFP)

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Linh-Lan Dao

Une formule choc. "Sans la réforme, en sept ans, un [bénéficiaire du RSA] sur dix a un emploi. Avec la réforme, en cinq mois, un sur deux a un emploi. C'est un progrès absolument colossal", s'est félicité Gabriel Attal, en déplacement vendredi 1er mars dans les Vosges pour promouvoir le nouveau dispositif France Travail, conditionnant l'obtention du revenu de solidarité active (RSA) à 15 heures d'activité hebdomadaires.

Des chiffres qu'il a repris sur le réseau social X, estimant que "les résultats sont là". Le Premier ministre a ensuite annoncé l'extension de ce dispositif expérimenté pour l'instant dans 18 départements à 47 territoires, avant une généralisation en 2025 dans le cadre de la loi "pour le plein-emploi".

Dans un communiqué de presse, Matignon précise qu'"en matière de retour à l'emploi : 40% des personnes accompagnées ont accédé à un emploi dans les cinq mois suivant leur entrée en parcours (49% pour les personnes orientées dans des parcours professionnels), dont 14% à un emploi durable". Mais ces résultats prometteurs sont-ils représentatifs ? Est-il pertinent de les comparer à d'anciennes statistiques, comme le fait le Premier ministre ? Franceinfo a décrypté ces chiffres avec des économistes spécialistes du RSA.

Le Travail est un droit et un devoir.

Derrière chaque emploi retrouvé, derrière chaque petit point de baisse de chômage, il y a des Français qui retrouvent fierté et dignité.

Et il faut regarder la réalité en face : sept ans après, seul un bénéficiaire du RSA sur dix a…— Gabriel Attal (@GabrielAttal) March 1, 2024

Contacté par franceinfo sur les résultats du nouveau dispositif, le cabinet du Premier ministre confirme que "les statistiques présentées [par Gabriel Attal] concernent bien l'ensemble des 18 départements qui ont démarré les expérimentations à compter de mars 2023". Concernant sa méthodologie, Matignon précise que les taux de retour à l'emploi sont "calculés sur le champ des personnes qui ont cinq mois d'accompagnement rénovés, et exclut donc toutes les personnes entrées en parcours récemment". A ce jour, près de 21 300 personnes ont commencé un parcours d'insertion, bénéficiant de trois types d'accompagnement : professionnel (46%), socio-professionnel (25%) et social (29%). Près de 5 000 étaient accompagnées depuis cinq mois en décembre 2023, selon le ministère du Travail. Ce sont ces personnes qui sont concernées par les chiffres évoqués par le Premier ministre. 

Plutôt un bénéficiaire sur trois

Franceinfo a contacté les 18 territoires concernés par cette expérimentation. La Somme, la Creuse, le Loiret et l'Aisne ont mesuré le taux de retour à l'emploi (mais pas à la même période, ce qui explique des différences au niveau national). Dans un communiqué, le conseil départemental de la Somme s'est félicité que "343 [des 962 allocataires entrés en accompagnement] ont retrouvé un emploi (soit 40% contre 30,7% au national) dont près de 14% un emploi durable de 6 mois et plus". De son côté, le bassin du Montargeois dans le Loiret fait état d'un taux d'accès à l'emploi de 32% (contre 30,8% au niveau national) dont 7% pour l'emploi durable (contre 8,8% au niveau national) sur un échantillon de près de 800 allocataires. Le département de la Creuse a calculé quant à lui un taux d'accès à l'emploi de 34,7% (contre 34,26% au niveau national), dont 9,43% pour l'emploi durable (contre 10,36%) sur près de 1 100 allocataires. Un tiers des près de 2 000 bénéficiaires du bassin de Laon, dans l'Aisne, ont aussi repris un emploi.

Ainsi, les documents fournis à franceinfo par ces quatre conseils départementaux laissent entendre qu'un peu moins d'un bénéficiaire sur trois retourne à l'emploi pour l'ensemble des 18 territoires pilotes, toutes durées d'accompagnement confondues. Un chiffre moins important que celui d'"un bénéficiaire sur deux" avancé par Gabriel Attal. "Ce delta s'explique par le fait que nous avons choisi une cohorte [population de sujets aux caractéristiques communes, qui sont suivis dans le temps] entrée dans le dispositif depuis cinq mois, afin d'avoir ces cinq mois de recul, pour que les données aient un sens", note le ministère du Travail. D'après le ministère, le chef du gouvernement faisait aussi référence au taux de retour à l'emploi d'allocataires ayant bénéficié d'un parcours professionnel (49%). Tous parcours confondus, ce taux descend à 40%.

Une comparaison imprudente

Le Premier ministre a en revanche raison quand il affirme que seul un bénéficiaire du RSA sur dix retrouve un emploi durable, sept ans après être rentré dans le dispositif. Un rapport de 2022 de la Cour des comptes constate en effet que "l'accès à l'emploi reste difficile pour les bénéficiaires du RSA". "Au total, sept ans après l'entrée au RSA d'une cohorte d'allocataires, seuls 34% en sont sortis et sont en emploi – et parmi ceux-ci, seul un tiers est en emploi de façon stable", précise le rapport. Cela concerne "un peu plus de 10% des allocataires", confirme Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'université Gustave Eiffel et expert en matière d'emploi.

"Les sorties du RSA vers un emploi durable sont des événements assez rares, qui ne concernent qu'une faible proportion des allocataires, et principalement ceux qui sont les plus proches de l'emploi et qui ont le moins d'ancienneté dans le dispositif."Yannick L'Horty, économisteà franceinfo

Pour la Cour des comptes, ce faible niveau de retour à l'emploi illustre le fait que le RSA est davantage vu comme un "revenu minimum" par ses bénéficiaires et ceux qui les accompagnent qu'un "palier vers l'emploi".

Pour autant, il serait imprudent de mettre sur le même plan le chiffre de la Cour des comptes, comme le fait Gabriel Attal, et les premiers résultats constatés dans les départements expérimentant le RSA conditionné. Déjà parce qu'on ne peut pas comparer un taux de retour à l'emploi durable, forcément moins élevé, et un taux de retour à l'emploi global. Ni comparer des cohortes mesurées à l'échelle de la France et celles à l'échelle de 18 bassins d'emploi – la Creuse étant le seul département à appliquer le dispositif sur l'intégralité de son territoire. Fin 2022, la France comptait 2,1 millions de bénéficiaires du RSA, selon le service de statistiques du ministère du Travail, alors que seuls 21 300 bénéficiaires sont concernés par le RSA conditionné à ce jour, selon Matignon.

Le biais des populations choisies

Ensuite, "ces chiffres ne sont pas comparables, car ce n'est pas le même public. Le chiffre de la Cour des comptes représente tous les bénéficiaires confondus", pointe Rémi Le Gall, maître de conférences à l'IAE Nancy School of Management. Parmi ces bénéficiaires, "il y a ceux qui sont orientés vers les dispositifs d'accompagnement vers l'emploi et ceux qui sont accompagnés sur d'autres problématiques comme la santé, la garde des enfants, le logement, le social..."

"Les personnes qui sont accompagnées vers l'emploi sont les plus susceptibles d'y retourner."Rémi Le Gall, économisteà franceinfo

Gabriel Attal avait rappelé vendredi que la réforme du RSA devait permettre, grâce à 15 à 20 heures hebdomadaires de formation, de stage, d'insertion, en contrepartie de l'allocation, "d'être mieux guidé vers l'emploi". Les bénéficiaires du RSA conditionné sont automatiquement inscrits à France Travail, alors que dans l'ancien système, seuls 41% y étaient inscrits. Quant aux accompagnements des bénéficiaires, ceux-ci ont été renforcés dans les territoires pilotes, avec des rendez-vous plus fréquents et dans certains parcours, la collaboration de conseillers de France Travail, et d'assistantes sociales du département.

Des effets difficiles à mesurer

"Les bénéficiaires du RSA qui sont volontaires pour rentrer dans des programmes de formation et d'insertion [tels que ceux proposés par le nouveau dispositif] n'ont pas les mêmes caractéristiques que la moyenne des allocataires, estime Yannick L'Horty. Ils sont plus jeunes, ont moins d'ancienneté dans le dispositif, ont davantage d'expériences professionnelles dans les dernières années et ont une recherche d'emploi plus active, autant de caractéristiques individuelles qui les distinguent et qui vont contribuer à accélérer leur accès à l'emploi", relève l'économiste.

Comment mesurer correctement les effets de la réforme du RSA, très controversée, sur l'emploi des bénéficiaires ? "Il faudrait qu'on ait plus de recul", estime Rémi Le Gall, car une sortie du RSA n'est pas forcément définitive.

"On sait que les personnes au RSA y reviennent. Il y a du va-et-vient entre périodes d'activité et périodes au RSA."Rémi Le Gall, économisteà franceinfo

La qualité de l'emploi retrouvé est aussi à scruter : "Est-il précaire ? Est-ce de l'insertion par activité économique, ou associative ? Est-ce payé 2 000 euros par mois ?" s'interroge l'enseignant-chercheur nancéien.

Pour Yannick L'Horty, l'extension de l'expérimentation à 47 territoires risque de compliquer l'évaluation de l'efficacité du dispositif : "Il faut comparer des territoires qui expérimentent à d'autres qui n'expérimentent pas", suggère le chercheur. "Je sais qu'il y a un comité d'évaluation désigné, qui a un calendrier et qui va publier des rapports d'évaluation. Les choses vont être bien faites", anticipe toutefois l'économiste.