VRAI OU FAKE. L'activité humaine ne contribue-t-elle qu'à 5% de la quantité de CO2 dans l'atmosphère, comme le relaie Etienne Chouard ?
VRAI OU FAKE. L'activité humaine ne contribue-t-elle qu'à 5% de la quantité de CO2 dans l'atmosphère, comme le relaie Etienne Chouard ?
Publié le vendredi 28 avril 2023 à 13:58
(PAUL RATJE / AFP)
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Quang Pham
La statistique partagée sur Twitter par le militant controversé Etienne Chouard est une erreur d'interprétation des données sur les émissions de CO2, estime un expert du Giec.
Pour les climatosceptiques, l'argument paraît mathématiquement imparable pour nier la responsabilité de l'activité humaine dans le réchauffement climatique. "Le CO2 ne représente que 0,04% de l'atmosphère et l'activité humaine n'y contribue que pour 5%", assure un média complotiste dans un tweet relayé lundi 24 avril par le militant controversé Etienne Chouard, ancienne coqueluche des "gilets jaunes". Selon ce média, il serait donc "tout à fait absurde" de rendre les émissions humaines responsables "des niveaux apocalyptiques du changement climatique". Et Etienne Chouard de s'interroger : "Quelle est la réponse officielle à cet argument, svp ?"
Les émissions d'origine humaine ne représentent-elles vraiment que 5% du CO2 présent dans l'atmosphère ? Et quel est leur effet sur le réchauffement climatique ?
L'effet radiatif du CO2
Pour le déterminer, il faut d'abord revenir sur le phénomène à l'origine du réchauffement climatique : le renforcement de l'effet de serre. Comment cet effet fonctionne-t-il ? Le soleil, par son rayonnement, réchauffe la Terre. En retour, la Terre renvoie de la chaleur vers l'espace sous forme de rayonnement infrarouge. Une partie de cette énergie est piégée par les gaz à effet de serre, comme le CO2 ou la vapeur d'eau, ce qui augmente la température de la planète. L'effet de serre est en soi un phénomène naturel. Mais quand il est perturbé par des facteurs externes comme une hausse des émissions de gaz à effet de serre, un "forçage radiatif positif" se produit, c'est-à-dire un réchauffement du système climatique.
Quelle part le CO2 représente-t-il donc dans l'atmosphère ? Le CO2 constitue environ 0,04% de l'atmosphère, confirme un article de l'école du climat de l'Université de Columbia (en anglais). L'atmosphère est en effet composée à 99% d'oxygène et d'azote. Ces gaz n'ont pas l'effet radiatif du CO2, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas absorber le rayonnement infrarouge et conserver la chaleur de la Terre. C'est pourquoi, même si la part du CO2 semble infime, ce gaz n'en demeure pas moins l'un des principaux contributeurs au réchauffement climatique. "Si vous prenez de l'eau et que vous mettez 0,04% d'encre, elle deviendra noire", illustre Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS et coauteur du rapport du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat).
L'activité humaine bien responsable de la hausse du CO2
Contrairement à ce qu'affirme le tweet partagé par Etienne Chouard, l'activité humaine est bien responsable de la montée des niveaux de CO2 et donc du réchauffement climatique. "Il existe beaucoup de preuves pour justifier cela", soutient Gerhard Krinner. "L'étude des isotopes du CO2, le carbone 13 et le carbone 14, a révélé que le CO2 provient d'une végétation d'origine très ancienne qui s'est transformée il y a des millions d'années en pétrole et charbon. On a également mesuré une diminution de la concentration d'oxygène, ce qui correspond à une combustion à grande échelle. Nous avons aussi repéré une concentration plus élevée de CO2 dans l'hémisphère nord, énumère le chercheur du CNRS. C'est le portrait robot d'un CO2 produit par la combustion d'énergies fossiles comme le charbon et le pétrole."
L'augmentation du CO2 observée actuellement a commencé à l'époque de la révolution industrielle. Le CO2 atmosphérique est ainsi passé de 280 parties par millions (ppm) en 1850 à environ 420 ppm en 2021, rappelle cet article du CNRS. "On sait combien de CO2 est émis chaque année, parce qu'on connaît la quantité brûlée de charbon, de pétrole et de gaz, et combien de forêts sont coupées. La hausse du CO2 dans l'atmosphère correspond à environ la moitié de ces quantités, l'autre moitié étant absorbée par l'océan et la végétation, ajoute Gerhard Krinner. Ceux qui contestent l'origine humaine de l'augmentation du CO2 devraient expliquer comment tout ce carbone émis ferait pour magiquement disparaître."
Un calcul erroné
Enfin, le chiffre de 5% des émissions de CO2 dues aux activités humaines ressemble à une interprétation erronée des données du rapport du Giec (en anglais) paru en 2021. Le chapitre 5 du rapport présente un graphique faisant le bilan des contributions aux rejets de carbone. La nature et les activités humaines rejettent du carbone – un flux absolu d'émissions de CO2 – mais elles en absorbent aussi, ce qui permet de calculer, par une soustraction, un flux net des rejets. Ainsi par exemple, les océans émettent naturellement environ 54 gigatonnes (Gt) de CO2 par an vers l'atmosphère. Mais ce flux est presque entièrement compensé par une absorption de la même ampleur par l'océan, ce qui aboutit à un flux net d'émissions proche de zéro.
Or, il apparaît que les auteurs du calcul des 5% cités par Etienne Chouard ont pris en compte "les flux absolus et pas les flux nets des émissions", pointe Gerhard Krinner. Si l'on calcule la part des émissions d'origine humaine (11 Gt) par rapport au flux absolu des émissions (environ 225 Gt), on obtient un peu moins de 5%. Mais pour obtenir une évaluation correcte de l'impact des émissions humaines, il faut tenir compte des quantités de CO2 absorbées par les océans et les forêts. Et cela change tout : le solde net des émissions de carbone est, selon le Giec, d'environ 5 gigatonnes de CO2, attribuable en quasi-totalité à l'activité humaine. Ce qui confirme le rôle prépondérant de l'homme dans le réchauffement climatique.