VRAI OU FAKE. Peut-on interdire les grèves dans les transports pendant les vacances scolaires, comme le proposent plusieurs élus ?


VRAI OU FAKE. Peut-on interdire les grèves dans les transports pendant les vacances scolaires, comme le proposent plusieurs élus ?

Publié le vendredi 17 février 2023 à 16:52

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Un panneau d'information, à la gare Montparnasse à Paris, le 7 février 2023.

(MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)

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Quang Pham

Proscrire les débrayages durant les vacances, comme le propose par exemple la députée Véronique Besse, est inconstitutionnel. En revanche, selon les experts interrogés par franceinfo, un service minimum pourrait être envisagé les jours de grands départs et de retours.

Une trêve des grèves pendant les vacances ? Alors que la mobilisation contre la réforme des retraites se poursuit en ce début des vacances de février pour une partie de la France (zone A), Véronique Besse, députée non-inscrite de Vendée, souhaite déposer une proposition de loi afin que "toute grève soit interdite dans le secteur des transports, les veilles de vacances scolaires, durant les vacances scolaires et les jours fériés", précise le texte consulté par RMC.

Une mesure également reprise dans une autre proposition de loi, annoncée ce dimanche par une dizaine de sénateurs LR dénonçant une "gréviculture française", révèle l'AFP. "Les Français doivent avoir la possibilité de circuler sans contrainte", justifie quant à elle l'élue vendéenne sur BFMTV, tout en précisant ne pas vouloir remettre en cause le droit de grève. Il s'agit selon elle d'apporter des "modalités" à la loi actuelle.

Mais peut-on vraiment interdire les grèves dans le secteur des transports pour préserver les vacances des usagers ? Franceinfo a sollicité l'avis de juristes spécialisés.

Une mesure anticonstitutionnelle

"Une interdiction pure et simple des grèves pour les vacances scolaires est impossible", prévient d'emblée Michel Verpeaux, professeur émérite de droit à la Sorbonne. Le droit de grève en France étant protégé par "le préambule de la Constitution de 1946", rappelle le professeur, il a donc le statut de "droit constitutionnel".

Bien que le préambule de la Constitution de 1946 précise que ce droit peut être "limité par le cadre des lois qui le réglemente", une interdiction des grèves au motif des vacances scolaires sera considérée par le Conseil constitutionnel comme "une atteinte disproportionnée", complète Dominique Rousseau, professeur de droit public à l'université Panthéon-Sorbonne.

"Cela reviendrait à interdire les grèves pendant deux mois en été, puis durant deux semaines pour chaque période de vacances."

Dominique Rousseau, juriste

à franceinfo

Une période beaucoup trop longue. Proscrire les grèves durant la totalité des vacances scolaires est donc constitutionnellement impossible.

Un droit qui peut être restreint

Mais selon la législation, le droit de grève peut être cependant limité si des circonstances particulières sont invoquées. En effet, "le droit de grève n'est pas absolu dans la mesure où il doit être concilié avec d'autres droits qui ont valeur constitutionnelle, comme le principe de continuité des services publics", complète Laurent Gamet, professeur à l'université Paris-Est Créteil et doyen de la faculté de droit. Ainsi, au nom de cette obligation de continuité de service public, "certains agents publics n'ont pas le droit de grève", assure le site Vie-publique.fr, citant par exemple le cas des policiers, des magistrats, ou des surveillants de prison. Et s'ils le font, comme les magistrats récemment, ils bravent l'interdiction. 

Le pouvoir exécutif peut également restreindre le droit de grève au titre de l'article L1111-2 du Code de la défense, "en cas de menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population". Selon l'article L2215-1 du Code général des collectivités territoriales, les préfets ont aussi le pouvoir de procéder à des "réquisitions de personnes pour le fonctionnement de services en cas d'urgence portant atteinte à l'ordre ou la sécurité publique".

Enfin, toujours pour assurer une continuité des services publics, un "service minimum" peut être imposé dans certains secteurs. C'est le cas pour les "organismes de radio et de télévision, les contrôleurs aériens et les établissements qui détiennent des matières nucléaires", illustre Laurent Gamet.

Un service minimum possible

Pour les transports, puisque c'est le sujet évoqué par la députée Véronique Besse dans sa proposition de loi, le service minimum y est encadré par une loi votée en 2007 par Nicolas Sarkozy. Celle-ci impose aux organisations syndicales de respecter une durée de préavis de cinq jours ouvrés et aux grévistes de se déclarer 48 heures à l'avance. Le texte de loi ne fixe cependant pas d'obligation de circulation minimale des trains.

L'obligation de service minimum est en effet définie contractuellement au niveau des entreprises de transports. La RATP (PDF, page 255) et la SNCF (PDF, page 47) se sont ainsi engagées auprès d'Ile-de-France Mobilités à assurer un niveau de service d'au moins 50% aux heures de pointe. A la condition toutefois de disposer d'un nombre suffisant de conducteurs de réserve.

Techniquement, la notion de service minimum pourrait ainsi être invoquée pour limiter les débrayages durant les vacances, comme le souhaite Véronique Besse. Mais pour avoir une chance d'être recevable par le Conseil constitutionnel, une limitation des grèves devra être restreinte "afin de respecter le principe de proportionnalité d'atteinte au droit de grève", avertit Laurent Gamet.

"Eventuellement, on pourrait imaginer une restriction appliquée aux seuls jours de départs et de retours."

Michel Verpeaux, professeur de droit

à franceinfo

Finalement, les syndicats du secteur ferroviaire ont décidé de ne pas appeler à la grève samedi 11 février, premier jour des congés scolaires de la zone B. "Le gouvernement commence déjà à fustiger les grèves et les blocages, pointant le chassé-croisé des vacanciers de février en espérant 'retourner' l'opinion publique", écrivent la CGT-Cheminots, l'Unsa-Ferroviaire, SUD-Rail et la CFDT-Cheminots dans un communiqué commun (PDF). "C'est peine perdue et c'est un mauvais calcul !" Le Conseil constitutionnel n'aura peut-être même pas à se pencher sur la question.