20 Minutes n'a pas diffusé de vidéo accusant France 24 d'avoir créé une fausse enquête sur des graffitis anti-Zelensky
20 Minutes n'a pas diffusé de vidéo accusant France 24 d'avoir créé une fausse enquête sur des graffitis anti-Zelensky
Publié le mardi 19 septembre 2023 à 12:35
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Marion DAUTRY / Sarah KHORCHI / AFP Belgrade / AFP France
Une vidéo affichant le logo de "20 Minutes" et accusant France 24 de propagande anti-russe, circule depuis début septembre sur les réseaux sociaux. La vidéo prétend qu'une journaliste de France 24 a créé de toute pièce une fausse investigation sur des graffitis caricaturant Volodymyr Zelensky à travers plusieurs villes dans le monde. Selon cette vidéo, elle aurait engagé un peintre ukrainien réfugié en France pour réaliser les graffitis, pour ensuite accuser à tort la Russie de propagande contre l’Ukraine. C'est faux. 20 Minutes n'a jamais réalisé cette vidéo et l'AFP a déjà démontré que ces dessins anti-Zelensky n'existent pas.
"Les technologies des fake news ont atteint un nouveau niveau : la chaîne de télévision France 24 a commandé des graffitis anti-ukrainiens pour accuser la Russie », peut-on lire sur X (anciennement Twitter), dans un message publié le 9 septembre 2023, partagé depuis plus de 300 fois.
A ce texte est jointe une vidéo affichant le logo du journal 20 Minutes, également crédité à la fin de la vidéo. Les textes qui apparaissent sur les images affirment que la journaliste Catalina Marchant de Abreu, présentatrice de la chronique de vérification "Info ou Intox", de la chaîne France 24, a créé de toute pièce une fausse investigation sur des graffitis caricaturant Volodymyr Zelensky à travers plusieurs villes dans le monde.
Les graffitis, qui auraient été dessinés dans les rues de Paris, Madrid ou encore Varsovie, auraient représenté d'immenses caricatures du président ukrainien, grimé en parasite engloutissant l'Europe ou en ogre avalant des billets.
Toujours selon cette vidéo, France 24 et sa journaliste auraient proposé un mécénat à un artiste Ukrainien réfugié en France, en échange de son aide, afin d’accuser à tort la Russie de propagande contre l’Ukraine.
Sur X, de nombreux internautes ont partagé la vidéo ici et ici, le 9 septembre ou encore Perma%20|%20Canon78%20on%20X:%20"Les%20technologies%20des%20fake%20news%20ont%20atteint%20un%20nouveau%20niveau%20:%20la%20chaîne%20de%20télévision%20France%2024%20a%20commandé%20des%20graffitis%20anti-ukrainiens%20pour%20accuser%20la%20Russie.%20https://t.co/AfJIsP1cQI"%20/%20Xici le 10 septembre 2023.
Les mêmes images comprenant les mêmes descriptions ont également été relayées par plusieurs comptes Facebook comme ici, ou encore ici le 10 septembre 2023.
On le retrouve aussi sur Telegram, comme ici le 9 septembre, ou encore là à la même date. La vidéo a également été publiée sur Instagram le 10 septembre 2023.
L’AFP a trouvé des occurrences de la vidéo avec des descriptions similaires sur des comptes pro-russes en tchèque sur le réseau social russe VK et en français sur VK, Facebook et Telegram.
Mais comme nous allons le voir, ces accusations sont infondées et cette vidéo est un faux.
D'où vient cette vidéo ?
Pour remonter à son origine, l'AFP a tenté d'en trouver sa toute première publication en ligne.
Le premier message que nous avons trouvé est apparu sur VK le 9 septembre 2023 à 11H45 (UTC). Il est ensuite apparu sur Telegram à 12h03. Les deux comptes en russe sous le nom "Осташко! Важное" ("Ostashko! Important", en français) sont consacrés aux "principales nouvelles, commentaires et idées du journaliste de télévision Ruslan Ostashko", animateur pro-Kremlin d'un talk-show russe sur Channel One.
Un post Telegram ultérieur publié à 16h57, le 9 septembre à partir d'une chaîne dont la description indique: "Compte parodique personnel".
La vidéo ne vient pas de 20 Minutes
A la fin de la vidéo que nous examinons, la dernière image présente le crédit "20 Minutes" et son logo est affiché en haut à droite des images tout le long de la vidéo. Le texte qui défile sur les images imite le style typographique de "20 Minutes". Le journaliste Paul Kernivinen et la rédactrice en chef Brune Daudré sont également crédités sur la dernière image de la vidéo. Tous deux travaillent bien à 20 Minutes (ici et ici), mais la vidéo n'a pas été réalisée par le média.
"Je confirme que cette vidéo n'a pas été produite par les équipes de 20 Minutes", a affirmé Anne Baron, responsable communication du média dans un mail à l'AFP le 12 septembre 2023.
"Les crédits de fin ont été récupérés sur une autre de nos vidéos et ajoutés à la fausse vidéo", a indiqué Brune Daudré à l'AFP, dans un message à l'AFP datant du 14 septembre 2023.
"Je confirme que cette vidéo n'a pas été réalisée par nous. Elle n'est pas dans nos archives. La vidéo peut ressembler à une de nos vidéos, mais en regardant de plus près, la typographique utilisée est légèrement différente de la nôtre (qui est écrite en plus gras)", a-t-elle poursuivi.
Le journaliste Paul Blin Kernivinen a également ajouté dans un message adressé à l'AFP le 13 septembre 2023 qu'il n'avait "jamais travaillé sur ce sujet". Le journaliste a cependant reconnu la musique et les crédits utilisés de fin qui mentionnent "AFPTV, SIPA, donaldjtrump.com", ainsi que son nom et celui de Brune Daudré en tant que rédactrice en chef.
Ces informations ont été récupérées d'une autre vidéo, (archive ici) -quant à elle réellement diffusée par 20 Minutes-, au sujet de l'incarcération de Donald Trump, en août 2023, ce qui explique les crédits de fin mentionnant le site internet de la campagne de Donald Trump. Cette vidéo n'évoque pas de graffitis anti-Zelensky.
L'AFP n'a trouvé aucune trace de la vidéo que nous examinons sur les réseaux sociaux de 20 Minutes (Facebook, Instagram), ou sur leur site internet ( archives ici, ici et ici).
Un prétendu artiste ukrainien
Dans la vidéo, il est affirmé que la journaliste Catalina Marchant de Abreu de France 24 a engagé un "artiste ukrainien", pour "créer de faux graffitis" contre Volodymyr Zelensky, pour ensuite les utiliser pour "dénoncer vigoureusement les images, affirmant que la Russie était à l'origine des graffitis".
"Toutes ces allégations sont fausses. France 24 n'a jamais créé de faux graffitis", a indiqué Derek Thomson, rédacteur en chef des Observateurs de France 24 et du programme "Info ou Intox" ("Truth or Fake" en anglais), durant une conversation téléphonique avec l'AFP le 14 septembre. Derek Thomson a également nié le fait que France 24 ait accusé la Russie d'être à l'origine des graffitis.
"France 24 a simplement constaté que la fausse image de Paris avait été publiée par des comptes pro-russes dans des médias russes", a-t-il expliqué.
"C'est ridicule de dire que ces photos étaient un projet de Catalina Marchant de Abreu et de dire qu'elle a créé des fausses enquêtes. C'est ridicule de dire qu'elle a payé en mécénat un artiste ukrainien pour créer ces fausses images", a-t-il ajouté.
L'AFP a tenté de retrouver la trace de l'artiste ukrainien présenté dans la vidéo.
Dans la vidéo, on voit la photo d'un homme debout, le visage flouté. En dessous, est indiqué: "Evgueni Ivanchenko (nom modifié) a créé les images pour France 24".
En réalisant une recherche d'images inversée de la photo de l'homme présenté comme ukrainien dans la fausse vidéo, dans le moteur de recherche Yandex, on découvre la même photo postée en 2021 sur le réseau VK par un homme indiquant dans son profil, qu'il habite à Perm, en Russie.
Un vieux profil Facebook contenant le même nom et les même photos, montrent le même homme, indiquant également qu'il vit à Perm et travaille pour le ministère russe des Situations d'urgence.
Une recherche plus approfondie mène à une autre photo publiée en 2018 sur le réseau social russe VK, montrant le même homme en uniforme de pompier debout, entouré d'autres personnes dans la même tenue. Son nom, qui correspond à celui de Facebook et de VK, est visible sur l'uniforme, ainsi que sur le drapeau russe et le logo du ministère des Situations d'urgence.
En avril 2023, il a posté une célébration de la "Russian Fire Protection Day" [Journée de la protection contre l'incendie en Russie, ndlr]. En septembre 2023, il a partagé un post d'une boutique de vêtement située à Perm.
Il n'y a aucune indication sur le fait que l'homme présenté dans la vidéo soit ukrainien, artiste, ou réfugié en France.
L'AFP a essayé de le contacter par message sur VK, mais il n'a pas répondu au moment de la publication.
Faux graffitis anti-Zelensky
De plus, les graffitis eux-mêmes n'existent pas.
"La journaliste Catalina Marchant de Abreu a trouvé un artiste ukrainien naïf qui a accepté de peindre des graffitis avec un affreux Zelensky dans le monde entier pour trois centimes", indique la description du post Telegram publié le 9 septembre.
Comme on peut le voir ici, (version archivée ici) Catalina Marchant de Abreu avait bien évoqué les faux graffitis lors d'un sujet de vérification pour France 24, montrant que ces graffittis n'avaient pas existé.
L’une des images censées montrer l'une des caricatures anti-Zelensky à Paris avait été vérifiée sur place par Les Observateurs de France 24. La rédaction a publié une version écrite de ce sujet le 2 décembre 2022, (archivée ici).
D'autres organisations de fact-checking, dont l'AFP, Euronews et France 24, avaient démontré que les graffitis avaient été générés de manière artificielle. Dans cet article, l'AFP a montré que les graffitis prétendument réalisés dans des villes comme Varsovie, Paris, Londres et Rome étaient en réalité des photos truquées. Les graffitis n’ont jamais été repérés aux endroits indiqués.
Par exemple, des publications ont allégué qu’un graffiti insultant avait été fait à Londres mais montrait en réalité une place devant un musée du chocolat Lindt à Zurich, en Suisse. Un représentant du musée a confirmé qu’une telle oeuvre n’avait jamais été réalisée devant le bâtiment.
D’autres messages auraient montré un autre graffiti réalisé à Berlin. Mais la photo montrait de nouveau une rue de Zurich. Un journaliste de l’AFP s’était entretenu avec un responsable d'un stand de marrons chauds visible sur la photo. Le gérant avait affirmé se souvenir du jour où "un homme s’est assis et a dessiné quelques lignes sur le sol, mais rien de tel que le dessin sur la photo [postée sur les réseaux sociaux, ndlr] ".
"Ce dessin n’a jamais existé ici ", avait-il conclu.
La première image sur laquelle l’AFP avait enquêté aurait été prise à Varsovie. Apparue pour la première fois sur un compte Instagram, elle avait ensuite été supprimée puis partagée le 3 novembre 2022 par un autre journaliste russe éminent et pro-Kremlin, Vladimir Solovyov.
Les commerçants, les employés de banque et les habitants présents sur le site ont tous confirmé à l’AFP qu’ils n’avaient jamais vu le graffiti.
Opérations de désinformation
La fausse vidéo attribuée à 20 Minutes, n'est pas un cas isolé.
L'AFP en Pologne a récemment démystifié un faux reportage de Reuters selon lequel un artiste ukrainien aurait placé de la viande crue dans des coffres-forts dans plusieurs banques polonaises pour attirer l’attention sur la guerre.
"Il s’agit d’une sorte de 'typosquatting' dans la lignée d’opérations de désinformation comme 'Doppelgänger' dont nous avons déjà été victimes en juin dernier et à la suite desquelles nous avons porté plainte", a déclaré Anne Baron, responsable communication de 20 Minutes.
En juin 2023, la France a accusé la Russie de mener une vaste opération d’interférence numérique en publiant de faux articles de grands quotidiens français à la tonalité hostile à l’Ukraine, a rapporté l’AFP (lien archivé ici). Parmi les cibles, figurait 20 Minutes, qui a déposé une plainte pour "vol d’identité" (lien archivé ici).
Au moins quatre quotidiens français, Le Parisien, Le Figaro, Le Monde et 20 Minutes ont été victimes de l’opération, mais d’autres grands médias étrangers ont également été visés, notamment en Allemagne (FAZ, Der Spiegel, Bild, Die Welt...), a rapporté l’AFP.
En 2022, une opération similaire documentée par l’organisation européenne EU Disinfo Lab et par Meta, maison-mère de Facebook, qui a annoncé la suppression d’un "réseau tentaculaire", usurpant l’identité de vrais médias pour diffuser des messages pro-russes.
Les articles sont apparus sur des sites qui ressemblaient à ceux des médias grand public authentiques, avec un nom de domaine similaire. Des publicités payantes ou de faux comptes de médias sociaux diffusent ensuite les articles, notamment sur Facebook, Instagram, Telegram et Twitter, a rapporté l’AFP (lien archivé ici).
L’AFP a démystifié d’autres fausses informations ciblant par exemple Euronews et Al-Jazeera.
Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article
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