Attention à ce calcul trompeur qui passe sous silence le rôle des émissions humaines de CO2 dans le réchauffement climatique


Attention à ce calcul trompeur qui passe sous silence le rôle des émissions humaines de CO2 dans le réchauffement climatique

Publié le jeudi 1 juin 2023 à 10:30

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Auteur(s)

Marie GENRIES / AFP Belgique

Depuis la révolution industrielle, le CO2 émis par les activités humaines s'est ajouté au CO2 produit naturellement par les écosystèmes, augmentant la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère et provoquant un réchauffement des températures, aujourd'hui largement reconnu par la communauté scientifique internationale. Des publications affirment pourtant que les émissions humaines sont si minimes qu'elles n'ont aucun impact: c'est faux, ont expliqué plusieurs experts à l'AFP, qui ont souligné que le calcul présenté par les internautes est trompeur.

"Xème rappel pour les durs d'oreilles. L'atmosphère comprend 0,04% de CO2. De ces 0,04% la nature en produit 96,775% et l'Homme 3,225%. Donc l'influence de l'Homme est de 0,001%", affirme l'auteur français de ce tweet, partagé près de 4 000 fois depuis le 14 mai 2023, selon lequel "même si l'Homme stoppait net toute production de CO2, cela ne changerait rien". Le texte est accompagné d'un schéma, montrant la composition de l'atmosphère. 

Une capture d'écran de ce tweet a également été partagée près de 2 000 fois sur Facebook depuis le 15 mai 2023 par un internaute belge.

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Capture d'écran réalisée le 30/05/2023 sur Twitter

 

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Capture d'écran réalisée le 30/05/2023 sur Facebook

 

Le CO2 est émis naturellement par les écosystèmes, mais il est également absorbé par la forêt (photosynthèse) et les océans. En revanche, les émissions humaines, même minimes, ne sont aujourd'hui pas compensées, malgré le développement de technologies de captation et de stockage du CO2. Or, cet apport additionnel de carbone  par l'Homme réchauffe l'atmosphère, provoquant le changement climatique, ont expliqué plusieurs experts à l'AFP, qui ont ajouté que l'arrêt total de ces émissions pourrait, à défaut de permettre de revenir aux températures de l'ère pré-industrielle, ralentir le réchauffement climatique, voire y mettre un terme. 

L'origine humaine du changement climatique est régulièrement remise en question sur les réseaux sociaux. L'AFP a à plusieurs reprises expliqué l'impact des émissions humaines de CO2 sur le changement climatique, ici par exemple. Un texte reprenant des chiffres similaires avait été relayé en anglais et vérifié par l'AFP ici

L'atmosphère contient 0,04% de CO2, une concentration qui a presque doublé depuis l'ère pré-industrielle

"L'atmosphère comprend 0,04% de CO2", affirme l'auteur de ce tweet, qui partage un schéma, en anglais, détaillant les différents gaz présents dans l'atmosphère terrestre. On peut retrouver ces chiffres sur le site de la NASA: l'atmosphère est en effet composée d'environ 20,946% d'oxygène, de 78,084% d'azote et de 0,934% d'argon. Le dioxyde de carbone (CO2) représente environ 0,04% de l'atmosphère terrestre. 

La concentration de CO2 dans l'air est mesurée en "partie par million" ou ppm. Cet indicateur permet de calculer le taux de pollution dans l'air et plus globalement dans l'environnement. Comme son nom l’indique, le ppm permet de savoir combien de molécules de polluants on trouve sur un million de molécules d’air.

Le CO2, contrairement aux autres gaz sur ce schéma, est un gaz à effet de serre, comme la vapeur d'eau et le méthane. Ces gaz représentent moins de 1% de l'atmosphère, "mais ce moins de 1% est déterminant car les gaz à effet de serre absorbent le rayonnement infrarouge émis par la Terre, et augmentent la température de surface", a expliqué à l'AFP Cathy Clerbaux, directrice de recherche au Laboratoire atmosphères et observations spatiales (IPSL). 

"Sans eux, il ferait -18°C sur Terre au lieu de 15°C en moyenne. Donc, sans gaz à effet de serre, pas de températures clémentes et pas de vie sur Terre", a-t-elle expliqué le 25 mai 2023. "Le problème, c'est qu'on augmente artificiellement les concentrations de CO2, méthane etc. La nature fait ce qu'elle peut pour absorber mais elle ne suit plus, du coup la température augmente". 

Ainsi, la concentration de CO2 est passée de 282 ppm en 1800 à 407 ppm en 2018, comme le montre ce graphique de l'Agence européenne pour l'environnement (lien archivé). 

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Capture d'écran réalisée le 25/05/2023 sur le site de l'Agence européenne pour l'environnement

 

"407 parties sur un million de parties, ça ne représente pas grand-chose, mais c’est ce qu’on appelle le forçage radiatif et ça suffit pour perturber l’équilibre du système climatique", expliquait déjà en août 2022 à l’AFP François Gemenne, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et professeur de géopolitique de l'environnement à Sciences Po.

"Ce sont les techniques habituelles des climato-sceptiques", a commenté Cathy Clerbaux, "Prendre du vrai - ici les concentrations des gaz dans l'atmosphère - mais en donner une fausse interprétation - ici : faire comme si tous les gaz qui composent l'atmosphère jouaient le même rôle dans le réchauffement du climat". 

Les émissions de CO2 d'origine anthropiques, même infimes, perturbent l'écosystème qui ne peut pas les absorber

  • Les émissions nettes de carbone d'origine anthropique ne sont pas compensées

L'auteur du tweet affirme que, sur les 0,04% de CO2 présents dans l'atmosphère, "la nature en produit 96,775% et l'Homme 3,225. Donc l'influence de l'Homme est de 0,001%", conclut-il. 

L'internaute n'explique pas comment il a obtenu ces chiffres, mais l'AFP a retrouvé un article de blog, publié en octobre 2018 et reprenant une rhétorique et des chiffres similaires. Selon cet article, l'Homme serait responsable d'entre 3% et 3,6% des 0,003% du CO2 présent dans l'atmosphère. 

Dans cet article, l'auteur explique avoir additionné toutes les émissions de carbone d'origine naturelle et anthropique, puis avoir calculé le pourcentage de responsabilité humaine à partir de ce chiffre: "les données (du GIEC) de 2007 indiquent la quantité totale de CO2 rejetée dans l'atmosphère (29 + 439 + 332 = 800) et la part humaine est de 29. Divisez 29 par 800 et vous obtiendrez 3,63 %", explique cet article.

L'AFP a soumis les chiffres relayés dans le tweet que nous vérifions à plusieurs scientifiques, qui ont suggéré que l'auteur du tweet avait probablement réalisé le même calcul que celui explicité ci-dessus.

Mais ce calcul "n'a aucun sens scientifique", a commenté Pierre Regnier, professeur au département géosciences et environnement de l'Université Libre de Bruxelles (ULB), interrogé le 24 mai 2023. "L'auteur du calcul compare les flux naturels bruts, compensés naturellement, et  les flux bruts humains. Or, il faut regarder du côté des flux nets naturels". 

On peut par exemple réaliser un calcul similaire à partir de ce graphique publié dans le sixième rapport du GIEC en 2021.

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Capture d'écran de la figure 5.12 du sixième rapport d'évaluation du GIEC, publié en août 2021

 

Attention: sur ce schéma, les chiffres représentent les émissions de carbone (en gigatonnes) et non de dioxyde de carbone (CO2). 

Si on additionne les flux de carbone naturels (flèches jaunes vers le haut) et les flux d'origine anthropiques, issus des énergies fossiles (flèches roses), on obtient une influence humaine d'environ 5% dans les émissions de CO2, un chiffre proche de celui relayé sur les réseaux sociaux. 

Cependant, sur ce schéma, on observe que les émissions brutes naturelles de carbone sont entièrement compensées par la photosynthèse ("gross photosynthesis") et par l'absorption naturelle de CO2 par l'océan: "les émissions naturelles nettes sont donc essentiellement nulles", a commenté Pierre Regnier. A l'inverse, les flux humains ("fossil fuels" et "net land-use change") ne sont pas compensés. 

"En conditions naturelles, les écosystèmes étaient stables et ne contribuaient pas à un dérèglement du CO2 dans l'atmosphère . Maintenant, à cause des activités humaines, l'atmosphère reçoit environ 10 milliards de tonnes de carbone par an en plus, dont environ la moitié est captée par l'océan et par les écosystèmes terrestres", a expliqué Pierre Regnier. L'autre moitié se retrouve dans l'atmosphère.

Les émissions de CO2 d'origine anthropique perturbent donc bien l'équilibre naturel: "sur un kilo de CO2 émis, un quart va aller dans l'océan, un quart va être absorbé par la végétation et la moitié va rester dans l'atmosphère", a ajouté Cathy Clerbaux. 

Ce principe est également décrit sur le site de vérification des fausses informations autour du climat Skeptical Science : "Le CO2 d'origine humaine dans l'atmosphère a augmenté d'un tiers depuis l'ère préindustrielle, créant un forçage [une modification, NDLR] artificiel des températures mondiales qui réchauffe la planète. Bien que le CO2 dérivé des combustibles fossiles ne représente qu'une infime partie du cycle mondial du carbone, le CO2 supplémentaire est cumulatif car l'échange naturel de carbone ne peut absorber tout le CO2 supplémentaire". 

C'est également ce qu'expliquait Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS et chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement de Grenoble,  interrogé en décembre 2022: "si on compare les émissions humaines aux flux bruts naturels vers l'atmosphère depuis l'océan et depuis la surface terrestre, on a l'impression que les émissions naturelles sont beaucoup plus importantes que les émissions humaines", commentait Gerhard Krinner. Le problème, c'est que les émissions anthropiques de CO2 perturbent le cycle naturel en rajoutant des gaz à effet de serre.

Pour illustrer ce phénomène, Gerhard Krinner utilisait une analogie: "Imaginons que vous gagnez tous les mois 3 000 euros et vous les dépensez tout de suite. A côté, vous avez 10 000 euros sur votre compte et ça ne bouge pas parce que vos dépenses sont égales au revenu. Situation naturelle à l'équilibre donc. Maintenant, votre mère vous donne 100 euros par mois comme cadeau - ce sont nos émissions, plus faibles que les "émissions naturelles" - qui correspondent à nos revenus".

"De ces 100 euros mensuels en plus, vous dépensez 50 tous les mois - c'est l'absorption de la moitié de nos émissions par les océans et la végétation - et vous mettez 50 sur votre compte tous les mois - c'est l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère-. Au bout de 10 ans, avec ces 50 euros mensuels qui sont peu par rapport à votre salaire, vous aurez 6 000 euros de plus sur votre compte (120x50), donc 16 000 euros au lieu des 10 000 initiaux. Évidemment, ce genre d'analogie a ses limites, mais je pense qu'elle permet de saisir l'essentiel", expliquait ainsi le scientifique. 

Interrogé le 25 mai 2023 sur la publication que nous vérifions, Gerhard Krinner a qualifié ce raisonnement de "très vieille ânerie, qui revient périodiquement". 

  • Des émissions humaines qui perturbent le système 

"Même si l'Homme stoppait net toute production de CO2, cela ne changerait rien", prétend l'auteur de cette publication

"Si on retirait 10 gigatonnes d'émissions de carbone par an, la concentration atmosphérique de CO2 se stabiliserait", a expliqué Gerhard Krinner. "Elle pourrait diminuer un petit peu, mais on ne reviendrait pas aux 280 PPM naturels". La nature pourrait absorber une partie des molécules de CO2 émises par l'Homme, mais la concentration atmosphérique de CO2 a trop augmenté pour qu'elle puisse réellement diminuer, a ajouté le scientifique. 

Si les émissions d'origine  anthropiques cessaient brusquement, a précisé Cathy Clerbaux, "la température cesserait d'augmenter artificiellement comme c'est le cas actuellement. La question n'est pas d'enlever le CO2 dans l'atmosphère, mais de cesser d'en rajouter artificiellement, car la mer et la végétation ne parviennent pas à l'absorber. Du coup, la température augmente lentement mais sûrement". 

Un article publié en mai 2021 sur le site Carbon Brief (lien archivé), financé par la Fondation européenne pour le climat, explique que, dans un monde où les Hommes ne produiraient plus aucune émission de CO2, "on s’attend à ce que les températures restent stables plutôt que de baisser pendant quelques siècles après que les émissions auront atteint le niveau zéro, ce qui signifie que le changement climatique qui s’est déjà produit sera difficile à inverser en l’absence d’émissions négatives nettes à grande échelle". 

Le site fédéral belge climat.be, qui reprend les conclusions publiées dans le dernier rapport de synthèse du GIEC publié le 20 mars 2023, explique que"le niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre au cours de cette décennie déterminera en grande partie si le réchauffement peut être limité à 1,5 °C ou à 2 °C", comme le montre également le graphique ci-dessous. 

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Cinq scénarios d'évolution de la température à la surface de la Terre à l'échelle des générations qui se succèdent, selon le Giec

AFP

 

La responsabilité de l'humanité dans le réchauffement climatique est "sans équivoque", selon les experts du GIEC.

Les plantes se nourrissent bien de CO2, mais cet effet positif pourrait diminuer avec l'augmentation des températures

"Le CO2 c'est la vie et toute augmentation rend la Terre plus verte. Sans CO2 il n'y aurait plus de plantes", assure l'auteur du texte que nous vérifions.

L'utilisation par les plantes du CO2 pour produire des glucides et de l'oxygène par le biais de la photosynthèse est une réalité scientifique connue depuis longtemps. Grâce à ce processus, les plantes fixent le carbone de l'air dans leurs feuilles, leurs tiges et leurs racines, créant ainsi des puits de carbone naturels où le carbone est stocké. L'augmentation des niveaux de CO2 dans l'atmosphère peut donc bien, dans une certaine mesure, stimuler la croissance des plantes.

Mais selon une étude de 2016 ( archive ), si la Terre est devenue plus verte en raison de l'augmentation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère, l'effet fertilisant va diminuer avec le temps, les plantes étant confrontées à des limitations en nutriment.

Un article de la revue scientifique américaine Scientific American publié en janvier 2018 allait plus loin en estimant que les conséquences négatives des températures plus chaudes, telles que la sécheresse, étaient susceptibles de "supprimer tous les avantages directs que l'augmentation du CO2 pourrait offrir". Une étude de 2016 publiée dans Nature Climate Change révélait pour sa part que des températures plus élevées affecteraient négativement le rendement des cultures des aliments de base mondiaux tels que le blé.

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