Attention à ces propos trompeurs sur la procédure de destitution du président


Attention à ces propos trompeurs sur la procédure de destitution du président

Publié le mercredi 6 mars 2024 à 12:01

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Théo MARIE-COURTOIS / AFP France

Le 26 février, Emmanuel Macron a affirmé que l'envoi de troupes occidentales en Ukraine ne pouvait "être exclu" à l'avenir. Une déclaration vivement critiquée par une large partie de la classe politique française et qui a conduit certains internautes à demander la destitution du président, assurant que l'action de 58 députés suffirait à acter cette révocation. Mais c'est faux ont souligné deux constitutionnalistes à l'AFP, rappelant que le processus de destitution nécessite de passer par plusieurs étapes cruciales, notamment des votes du Parlement.

"LE saviez-vous: il faut 58 députés pour signer la destitution de Emmanuel Macron. Le RN a exactement 87 députés. Marine L Pen fait quoi? Dépêchez-vous!", "Ils attendent quoi les députés pour voter la destitution de #Macron ? Il en faut juste 58 pour le dégager !" : sur X (ici et ici) et Facebook, des internautes prétendent depuis le 26 février qu'il suffirait d'une soixantaine de députés pour destituer le président de la République.

Certains n'hésitent pas à interpeller directement des responsables politiques du Rassemblement national et de la France insoumise pour leur demander de destituer le chef de l'Etat grâce à leurs députés.

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Capture d'écran réalisée sur X le 1er mars 2024

 

Ces messages ont été partagés après les propos d'Emmanuel Macron sur la possibilité d'envoyer des troupes occidentales en Ukraine. "Il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre", avait expliqué le président français à l'issue d'une conférence internationale de soutien à l'Ukraine (lien archivé ici).

Ces propos ont provoqué un tollé en France, où les oppositions ont unanimement considéré qu'il s'agissait d'une "folie", et suscité un fort rejet parmi les soutiens de Kiev (liens archivés ici et ici).

En décembre déjà, alors que le Parlement débattait sur le projet de loi immigration du gouvernement, des internautes assuraient déjà qu'avec 58 députés, la destitution d'Emmanuel Macron pouvait être actée.

Mais il s'agit ici d'un raccourci très trompeur sur une procédure en réalité beaucoup plus complexe, soulignent auprès de l'AFP deux constitutionnalistes.

Processus "lourd et contraignant"

L'article 68 de la Constitution, introduit lors de la réforme constitutionnelle de 2007 et mis an application depuis novembre 2014, indique que "le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour" (liens archivés ici et ici).

Pour arriver à cette décision, un certain nombre d'étapes cruciales doit être franchi.

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Capture d'écran de l'article 68 de la Constitution

 

La procédure "peut être initiée par 58 députés ou 35 sénateurs", soit un dixième des membres de chaque chambre parlementaire, explique à l'AFP Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l'université de Lille. "Ils doivent déposer une proposition de résolution tendant à la convocation de la Haute Cour", ce qui constitue "l'amorce de la procédure", précise le spécialiste.

"Cette proposition de résolution doit être examinée par le bureau de l'assemblée concernée pour savoir si elle est recevable", complète auprès de l'AFP Julien Bonnet, professeur de droit public à l'université de Montpellier et président de l'Association française de droit constitutionnel.

Le Bureau de l'Assemblée nationale, plus haute autorité collégiale de la chambre basse, est composé de 22 membres : "outre la Présidente de l'Assemblée nationale qui le préside, il comprend les six vice-présidents, les trois questeurs et les douze secrétaires" (lien archivé ici). Le Bureau du Sénat est lui constitué de 26 membres, sur le même modèle (lien archivé ici). 

Si la proposition est jugée recevable, "elle est renvoyée à la commission des lois qui désigne un rapporteur. Celui-ci doit ensuite l'examiner et une fois que cela est fait, la valider et la transmettre à l'assemblée plénière pour adoption en séance publique à l'Assemblée nationale ou au Sénat", indique Jean-Philippe Derosier. La proposition adoptée "est transmise à l'autre assemblée qui doit également l'adopter dans un délai de quinze jours."

"Il faut que la proposition soit votée à la majorité des deux tiers des membres de chacune des deux assemblées, donc c'est très lourd et très contraignant", relève Julien Bonnet.

Place ensuite à la Haute Cour, composée de l'intégralité des élus de l'Assemblée nationale et du Sénat et dont l'unique rôle est de se prononcer sur la destitution du président.

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Capture d'écran réalisée sur le site Vie publique le 1er mars 2024

 

"Lorsqu'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour a été adoptée par chacune des assemblées, le Bureau de la Haute Cour se réunit aussitôt", indique la loi organique de l'article 68 de la Constitution (lien archivé ici).

"Le Bureau de la Haute Cour est composé de vingt-deux membres désignés, en leur sein et en nombre égal, par le Bureau de l'Assemblée nationale et par celui du Sénat, en s'efforçant de reproduire la configuration politique de chaque assemblée. Il est présidé par le Président de la Haute Cour", précise le document.

Au sein de la Haute Cour, "une commission se réunit, constituée de six vice-présidents de l'Assemblée et de six vice-présidents du Sénat. Elle va instruire ce qui est reproché au Président de la République et l'entendre", explique Jean-Philippe Derosier.

Des débats sont ensuite organisés au sein de la Haute Cour. La juridiction a un mois pour rendre son verdict, et là encore, pour que la destitution soit validée, il faut que les deux tiers des parlementaires votent pour.

En résumé, c'est une procédure "qui est très lourde, très complexe et qui, de l'avis des constitutionnalistes, a quand même assez peu de chance d'aboutir", pointe Julien Bonnet. 

Un seul exemple

Depuis la mise en application de l'article 68 de la Constitution, une seule proposition de destitution du Président de la République a été déposée, en 2016. Initiée par le député Les Républicains Pierre Lellouche, et signée par 79 députés du parti, dont le chef de file de l'époque Christian Jacob et François Fillon, elle visait la divulgation par François Hollande de "confidences concernant la défense nationale, révélées dans l’ouvrage intitulé 'Un président ne devrait pas dire ça'(lien archivé ici). Elle avait été rejetée par le bureau de l'Assemblée nationale le 23 novembre 2016 au motif que ces déclarations ne constituaient pas "un manquement" aux devoirs du Président de la République "manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat".

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Le président français François Hollande à l'entrée du palais présidentiel de l'Elysée après une rencontre avec son homologue slovaque à Paris le 22 novembre 2016. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

AFP

 

Cette notion, qui peut paraître large, a succédé à l'idée de "haute trahison" en vigueur auparavant. En 2002, une commission sur le statut pénal du chef de l'Etat présidée par le juriste Pierre Avril concluait que l'expression "haute trahison" est soit "trop restrictive" lorsque interprétée seulement comme une trahison au profit d'une puissance étrangère, soit "trop large [...] si l’on y englobe tout agissement politique pouvant être regardé comme un cas de violation de la Constitution par omission ou par action" (lien archivé ici).

Le rapport remis par la commission préconisait donc de passer à la rédaction actuelle de l'article 68 de la Constitution, centrée autour de "manquement [...] manifestement incompatible" avec les fonctions de président de la République.

Le document esquissait ensuite les raisons pouvant mener à la destitution du chef de l'Etat, citant le "meurtre ou autre crime grave ou d’autres comportements contraires à la dignité de la fonction ; l’utilisation manifestement abusive de prérogatives constitutionnelles aboutissant au blocage des institutions comme les refus cumulés de promulguer les lois, de convoquer le Conseil des ministres, de signer les décrets en Conseil des ministres, de ratifier les traités, voire la décision de mettre en œuvre l’article 16 alors que les conditions n’en seraient pas réunies, etc."

"L’idée n’est certes pas d’introduire une sorte de responsabilité politique, à l’image de celle à laquelle est assujetti le Gouvernement. Elle est, au contraire, de prévoir une procédure exceptionnelle qui permette, à l’instar de ce qui existe dans des démocraties incontestables, de faire face à une situation elle-même exceptionnelle", continue la commission.

"Politique, la procédure de destitution ne constitue pas une condamnation de l’homme, mais une mesure de protection de la fonction dont celui-ci a mis la dignité en cause", assure-t-elle dans son rapport.

La destitution du président de la République est "une procédure de nature politique et parlementaire, pas pénale", souligne Julien Bonnet.

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Capture d'écran du rapport de la commission Avril

 

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    Le RN a exactement 87 députés.
    Marine L Pen fait quoi? Dépéchez-vous!

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