Attention à ces publications affirmant que la vaccination anti-Covid pourrait causer des infections au VIH
Attention à ces publications affirmant que la vaccination anti-Covid pourrait causer des infections au VIH
Publié le mercredi 3 novembre 2021 à 15:08
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Juliette Mansour, AFP Brésil, AFP France
Depuis le lancement de la vaccination anti-Covid, plusieurs publications soutiennent que les injections utilisées en France pourraient "provoquer une infection au VIH", en s'appuyant sur une lettre publiée en octobre 2020 dans la revue scientifique The Lancet. Mais les chercheurs à l'origine de ce courrier mettaient en garde contre l'utilisation d'un type spécifique de vaccin à adénovirus, en citant des travaux qu'ils avaient conduits montrant que ces vaccins pourraient théoriquement accroître le risque d'infection pour des personnes exposées au VIH, comme a expliqué à l'AFP l'une de ses auteurs. Or, à ce jour, aucun vaccin contre le Covid de ce type n'est autorisé en France.
"Des chercheurs préviennent que les vaccins Covid-19 peuvent provoquer une infection par le VIH (SIDA)", avancent ces publications, qui circulent depuis le mois d'octobre 2020 sur Facebook (1, 2).
Silvano Trotta, l'une des figures de la sphère complotiste en France, a également relayé ce même message sur Twitter, avant d'être banni du réseau social pour avoir diffusé de fausses informations à plusieurs reprises.
Capture d'écran prise sur Facebook el 03/11/2021
Capture d'écran prise le 03/11/2021
Un an plus tard, l'affirmation selon laquelle les vaccins anti-Covid pourraient provoquer le développement d'un "syndrome d'immunodéficience acquise" continue de circuler dans des publications virales, qui prétendent que des données publiées par les autorités sanitaires anglaises en auraient apporté la preuve. Cette allégation, notamment reprise par le président brésilien Jair Bolsonaro, est pourtant fausse, comme l'a vérifié l'AFP dans cet article.
Les 24 et 30 octobre dernier, le site France médias numérique, déjà épinglé à plusieurs reprises par l'AFP pour avoir diffusé de fausses informations, s'appuyait ainsi sur les rapports britanniques pour publier deux articles titrés "Les personnes entièrement vaccinées développent un syndrome d'immunodéficience acquise beaucoup plus rapidement" et "Attention, les vaccins Covid-19 transmettent réellement le sida parmi la population humaine".
Capture d'écran prise sur le site Francemediasnumerique le 03/11/2021
Capture d'écran prise sur le site Francemediasnumerique le 03/11/2021
D'où vient cette rumeur?
Les inquiétudes autour de la vaccination anti-Covid et du sida qui ont commencé à circuler en octobre 2020 se sont répandues après la publication d'une lettre dans la revue scientifique The Lancet.
Dans ce courrier, quatre scientifiques se sont inquiétés du fait que certains vaccins contre le Covid-19 utilisent, afin de provoquer une réponse immunitaire contre le Sars-CoV-2, une méthode pouvant augmenter les risques d'infection au Virus de l'Immunodéficience Humaine (VIH), rétrovirus infectant l'humain et responsable du syndrome d'immunodéficience acquise (sida).
Capture d'écran prise le 03/11/2021
Car si les vaccins développés contre le Covid stimulent tous le système immunitaire pour induire une protection contre le virus du Covid, ils utilisent, pour y arriver, plusieurs techniques différentes.
Tandis que les produits de Pfizer/BioNTech ou Moderna s'appuient sur la technologie de l'ARN messager, d'autres comme AstraZeneca, Johnson & Johnson ou Spoutnik V sont des vaccins dits à "vecteur viral ou recombinants". Dans ce cas, ils prennent comme support un type de virus courant, appelé adénovirus, modifié pour être rendu inoffensif et transporter des informations génétiques permettant à l'organisme de combattre le virus visé.
Dans la lettre envoyée au Lancet, les chercheurs s'inquiètent qu'un certain type d'adénovirus, dit de "type 5," soit utilisé pour la vaccination anti-Covid, en s'appuyant sur des travaux qu'ils avaient réalisés en 2007, lorsque le géant pharmaceutique Merck cherchait à développer un vaccin anti-VIH en utilisant un adénovirus de type 5, qui semblait alors augmenter le risque d'infection.
Susan Buchbinder, l'une des auteurs de la lettre envoyée au magazine The Lancet, qui est également directrice de la recherche sur la prévention du VIH au département de santé publique de San Francisco, a expliqué à l'AFP : "Il y a plus d'une décennie, nous avons mené deux études sur un vaccin contre le VIH (utilisant un adénovirus de type 5 ou vecteur Ad5) qui semblait augmenter le risque d'infection par le VIH chez les personnes exposées par le biais de pratiques sexuelles. (...) Cette augmentation du risque était transitoire. Nous n'avons pas été en mesure de trouver le mécanisme exact par lequel cela s'est produit".
La chercheuse a cependant bien précisé que les inquiétudes ne portaient que sur ce type bien spécifique de vaccin :"Notre recommandation ne s'applique qu'aux vaccins Ad5 (tels que Spoutnik V et CanSinoBio), et ce n'est qu'un risque théorique : si une personne recevait ce vaccin et était ensuite exposée au VIH, elle pourrait avoir un risque accru d'infection au VIH. Cela ne s'applique pas à la grande majorité des vaccins utilisés à l'échelle internationale", a-t-elle ajouté.
Or, en France, les vaccins russe Spoutnik V et chinois CanSino utilisant ces adénovirus de type 5 ne sont pas utilisés, car ils n'ont pas été autorisés par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ni par l'Agence européenne des médicaments (AEM).
Capture d'écran prise sur le site MesVaccins.net le 04/11/2021
Capture d'écran prise sur le site MesVaccins.net le 04/11/2021
Des captures d'écran d'articles reprenant le courrier des chercheurs avec des titres déformés ont néanmoins été partagées en français, comme sur le site GreagameIndia, qui a titré en anglais "des chercheurs alertent sur le risque que les vaccins contre le Covid-19 puissent causer des infections au HIV".
Les sites d'Exame et de Forbes, dont les articles circulaient sous forme de capture d'écran, ont modifié leurs titres et textes pour ajouter la date de leurs publications et le contexte de l'étude qui a donné lieu à la lettre envoyée au magazine The Lancet.
20 Minutes a également consacré un article de vérification à ce sujet.
"On ne peut contracter le VIH que si la personne est exposée au virus"
Rafael Larocca , immunologue au Centre de virologie et de vaccination d'Harvard, qui a publié en 2017 un article sur les réponses engendrées par les adénovirus de type 5, a expliqué avoir observé que cet adénovirus "induit un phénotype dans les cellules T CD4 (cible cellules du VIH)" en augmentant certains récepteurs, "ce qui aiderait le virus à entrer" .
C'est également une hypothèse avancée sur le site de l'OMS qui note que, si "la raison de ce risque observé pour le VIH demeure incertaine", "plusieurs études de suivi semblent indiquer une interférence possible dans la réponse vaccinale spécifique au VIH ou dans la sensibilité des lymphocytes T CD4 à l’infection par le VIH induite par ce type de vaccin". "Cependant, ce résultat n’est pas apparu dans une troisième étude menée plus récemment avec un autre vaccin à vecteur adénoviral", note l'organisation, qui concluait en juillet que "des études des vaccins contre l[e] Covid-19 portant spécifiquement sur ce point s’imposent".
Rafael Larocca souligne également que rien ne permet d'affirmer aujourd'hui que la présence de cet adénovirus dans les vaccins contre le Covid-19 "augmente le risque qu'une personne développe le sida", contrairement à ce qu'on expliqué les articles de France médias numérique ou comme l'a suggéré le président brésilien : "Ce n'est qu'une possibilité, car ces données n'ont jamais été confirmées" . De plus, "on ne peut contracter le VIH que si la personne est exposée au virus, un vaccin ne provoquerait jamais ça", a rappelé l'expert.
Un volontaire allume des bougies lors d'un événement de sensibilisation à la veille de la Journée mondiale du sida, à Katmandou, le 30 novembre 2020. ( AFP / PRAKASH MATHEMA)
Au vu des allégations portées par Jair Bolsonaro, la Société brésilienne d'immunologie (SBI) a réagi sur son site internet, le 25 octobre 2021, rappelant qu'"aucun vaccin développé contre le Covid-19 ne peut provoquer le sida" ou "n'a le potentiel de transmission du virus VIH". La SBI a souligné que les vaccins "protègent contre les formes graves de la maladie, y compris pour les patients immunodéprimés et ceux séropositifs".
En juillet 2021, l'Organisation mondiale de la santé a recommandé aux personnes vivant avec le VIH de se faire vacciner contre le Covid-19 avec les vaccins d'AstraZeneca, Johnson & Johnson, Moderna, Pfizer/BioNTech, Sinopharm ou Sinovac. En effet, être infecté par le VIH (le virus du sida) augmente le risque de forme grave de Covid-19, voire de décès si on est à l'hôpital, selon une étude de l'OMS publiée en juillet portant sur 15.500 personnes infectées par le VIH et hospitalisées pour le Covid dans 24 pays.
Selon les chiffres de l'Onusida, l'agence spécialisée de l'ONU, 37,6 millions de personnes vivaient avec le VIH dans le monde en 2020, dont 27,4 millions étaient sous traitement. Les traitements antirétroviraux permettent de contrôler l'infection jusqu'à rendre le virus indétectable.
Pour autant, les autorités sanitaires mondiales mettent en garde contre le coup d'arrêt que pourrait connaître la lutte contre le sida à cause de la pandémie de Covid, qui freine les diagnostics et l'accès aux traitements.
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