Attention à ces recettes mettant en avant des "solutions radicales" contre le psoriasis


Attention à ces recettes mettant en avant des "solutions radicales" contre le psoriasis

Publié le mercredi 26 juillet 2023 à 15:11

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Claire-Line NASS / AFP France

Le psoriasis, maladie inflammatoire chronique de la peau, touche plusieurs millions de Français. Des vidéos prétendant mettre en avant des "solutions radicales" et des "remèdes" pour "soigner" voire "guérir" le psoriasis, à base d'huile de nigelle et d'huile d'olive circulent largement sur les réseaux sociaux. Attention : les spécialistes interrogés par l'AFP rappellent que ces "recettes" ne peuvent pas "guérir" cette affection, ne peuvent remplacer ni l'expertise de dermatologues, ni les traitements et médicaments existants. S'il n'existe aujourd'hui pas de solution permettant de "guérir" entièrement du psoriasis, de nombreux traitements permettent de mieux vivre avec la maladie. Et l'huile de nigelle peut par ailleurs provoquer des allergies.

"Solution radical [sic] contre le psoriasis", affirme le titre d'une vidéo TikTok relayée plus de 30.000 fois depuis le 8 juillet. "Le mélange est simple, il y a deux ingrédients (...) vous prenez 40% d'huile de nigelle, et le reste c'est de l'huile d'olive", "vous mélangez bien et vous badigeonnez toute la tête", enchaîne la femme qui s'y exprime, se filmant en train d'effectuer les gestes mentionnés sur le crâne d'une personne atteinte, selon elle, de psoriasis.

Une demande de vérification des propos tenus dans cette vidéo nous a été transmise sur WhatsApp.

Un mélange semblable est mis en avant dans d'autres vidéos TikTok suggérant qu'il peut "soulager" le psoriasis, et dans des publications Facebook renvoyant vers des sites commercialisant une "cure psoriasis" à base d'huile de nigelle.

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Capture d'écran prise sur TikTok, le 24/07/2023

 

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Capture d'écran du site "L'Officine du monde", prise le 24/07/2023

 

Attention à ces vidéos et publications : les recettes mentionnées ne sont pas recommandées par des dermatologues, et ne sauraient remplacer un suivi médical, certains traitements permettant aujourd'hui de soigner efficacement le psoriasis, ont souligné plusieurs spécialistes auprès de l'AFP.

Il n'existe aujourd'hui pas de remède "miracle" ou "radical" permettant de guérir de cette maladie inflammatoire, mais de nombreuses options, vers lesquelles peuvent aiguiller les dermatologues après un diagnostic, permettent de la soigner.

Qu'est-ce que le psoriasis ?

Le psoriasis (lien archivé) est une maladie inflammatoire chronique de la peau, non transmissible. Elle est "caractérisée sur le plan clinique par l'apparition de plaques rouges recouvertes de petits fragments de peau blanchâtres, qui se détachent, que l'on appelle squames. Les lésions peuvent se localiser sur plusieurs endroits, les 'zones bastions' : les coudes, les genoux, la zone lombaire, le cuir chevelu, les ongles, les zones génitales...", explique le docteur Inès Zaraa, dermatologue à l'hôpital Paris Saint-Joseph et membre de Resopso (lien archivé), une organisation qui met en lien des ressources et professionnels travaillant sur le psoriasis, le 22 juillet auprès de l'AFP.

Le psoriasis touche près de 2 à 3% de la population en France, dont la majorité est atteinte par une forme peu étendue et peu sévère, estiment les spécialistes interrogés par l'AFP.

Outre cette "forme commune", d'autres présentations cliniques "plus rares" sont rapportées, comme le "rhumatisme psoriasique, où l'atteinte des articulations s'associe parfois à celle de la peau", précise le Dr Inès Zaraa.

D'autres maladies, "dites comorbidités", comme le syndrome métabolique (perturbation du bilan lipidique, glycémique, surpoids...) ou la dépression peuvent s'associer au psoriasis. "D'ailleurs, actuellement on préfère parler plutôt de 'maladie psoriasique'", ajoute-t-elle, précisant que "d'autres maladies inflammatoires chroniques peuvent s'associer au psoriasis (maladies inflammatoires de l'intestin, maladie de Verneuil (lien archivé)…), qu'il faut rechercher systématiquement".

Ces dernières "débordent de la spécialité 'dermatologie'" et nécessitent d'être suivies par des des spécialistes, souligne Laurence Coiffardprofesseure de pharmacie industrielle à l'université de Nantes, le 24 juillet à l'AFP.

Elle ajoute que même en cas de "psoriasis en plaques", "la qualité de vie" peut être "inégalement affectée", notamment du fait de l'aspect "inesthétique" des lésions.

Le psoriasis associe "une anomalie de la barrière cutanée qui est l'épiderme, pour lequel on a une accélération du renouvellement", qui va mener à la production des squames, et une "inflammation" plus globale, responsable des rougeurs, détaille le professeur Brigitte Drénodermatologue et vice-présidente et déléguée "sciences et société" à l'université de Nantes, et chercheuse Inserm au laboratoire "Immunologie et nouveaux concepts en immunothérapie", le 24 juillet à l'AFP.

Le psoriasis est dû à un "trouble de l'immunité", ou "dysrégulation", explique le Dr Inès Zaraa.

De façon simplifiée, "un facteur déclenchant (infectieux, stress, … ) va stimuler le système immunitaire et plus particulièrement certaines cellules, les lymphocytes, qui sont comme les soldats du corps. Ces cellules vont inter-réagir avec les cellules de la peau, les kératinocytes, et s'en suit une cascade inflammatoire au cours de laquelle plusieurs acteurs du système immunitaire sont impliqués avec la sécrétion de substances inflammatoires telles que les interleukines, mais aussi l'activation de plusieurs cellules de l'immunité, ce qui va pérenniser l'inflammation et être à l'origine de l'accélération du renouvellement cutané et de l'apparition des plaques", détaille-t-elle.

La maladie "évolue par poussées", qui peuvent être déclenchées par des facteurs comme une infection, le stress, l'anxiété, la consommation excessive d'alcool et de tabac, la prise de certains médicaments... 

Il est important de rappeler que le psoriasis survient chez "des personnes génétiquement prédisposées", mais tous les facteurs déclencheurs sont encore mal connus, rappelle le Dr Inès Zaraa, soulignant par ailleurs que "les plaques cutanées ne sont que la partie apparente de l'iceberg" et qu'il "s'agit d'une inflammation beaucoup plus générale, 'systémique'", qui doit ainsi être traitée comme telle.

Les traitements existants

Avant de pouvoir traiter le psoriasis, la première étape est de "poser le bon diagnostic" et pour cela, il est "extrêmement important de consulter un spécialiste" afin de faire une "un état des lieux de la maladie" et de sa "sévérité", précise le Dr Inès Zaraa.

"Il y a souvent une confusion entre le psoriasis, qui se manifeste par des plaques bien limitées, rouges, qui desquament, et les pellicules sur le cuir chevelu", note aussi Laurent Miserychef du service de dermatologie du CHU de Brest, le 24 juillet auprès de l'AFP.

Une fois le diagnostic réalisé, le dermatologue peut proposer un traitement adapté. "Il y a plus d'une vingtaine de traitements possibles, donc le choix dépendra de plusieurs facteurs, dont l'âge et la présentation de la maladie, et de sa sévérité et résulte d'une discussion avec le patient", développe-t-il.

Dans la majeure partie des cas, si le psoriasis est présent sur moins de 10% du corps (s'il se concentre par exemple sur les mains, les genoux, le cuir chevelu, ...), des traitements locaux peuvent être prescrits. Ces derniers sont à base de corticoïdes, seuls ou associés à de la vitamine D, et se présentent sous forme "de pommades, de gels, de mousses" suivant le type et la localisation des lésions. 

Si ces traitements locaux ne fonctionnent pas, ne semblent pas adaptés au regard des antécédents du patient ou si le psoriasis est plus étendu, le dermatologue peut proposer un traitement par photothérapie (par rayons UV) ou un "traitement général, dit systémique", détaille le docteur Zaraa.

Ce dernier peut être "classique/conventionnel", utilisant des molécules qui vont inhiber le système immunitaire de façon non sélective et/ou agir sur le renouvellement cutané. Depuis une vingtaine d'années, les "traitements biologiques", qui ciblent un ou plusieurs mécanismes impliqués dans le psoriasis sont disponibles. 

Dans tous les cas, c'est au spécialiste de déterminer quel traitement est plus adapté à chaque psoriasis, et d'assurer un suivi régulier pour évaluer son efficacité et sa tolérance, soulignent tous les experts interrogés par l'AFP.

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Dans un cabinet médical en France en 2023

AFP

 

Mais dans tous les cas, "à l'état actuel des choses, on ne peut pas guérir définitivement du psoriasis mais on peut parfaitement le contrôler et 'blanchir les lésions'", explique le Dr Inès Zaraa.

"Avec les traitements biologiques, en moins de six mois, on pourra avoir un taux de 80% de réduction des lésions. Mais aujourd'hui, on ne peut pas dire qu'on peut guérir complètement du psoriasis. On va plutôt de réduire le nombre d'injections", illustre Brigitte Dréno, qui rappelle aussi l'importance du suivi des patients qui utilisent ces traitements, pour évaluer leur efficacité mais également des possibles effets secondaires. 

Puisque le psoriasis est "une maladie inflammatoire chronique, il faut garder en tête que quand vous arrêtez le traitement, il y a toujours un risque de rechute", ajoute-t-elle.

En plus des traitements, le dermatologue pourra également conseiller au patient d'adapter son mode de vie pour limiter les facteurs pouvant déclencher des poussées de psoriasis.

"Si le patient est très stressé, on pourra conseiller d'aller vers des sports comme le yoga", et il est aussi important de surveiller "les autres facteurs de comorbidités", en contrôlant l'alimentation et restreignant la consommation d'alcool ou de tabac, développe le professeur Dréno.

D'où l'importance de l'"éducation thérapeutique", et l'intérêt de tenir compte des "alternatives douces" en cas de pathologies chroniques, dont des crèmes pouvant soulager le psoriasis ou hydrater la peau, ajoute sa consoeur dermatologue Marie Jourdan le 23 juillet à l'AFP.

Les recettes à base d'huiles

Dans ce cadre, recommander d'utiliser de l'huile d'olive ou de nigelle, qui peut avoir "des vertus anti-inflammatoires", "n'est pas forcément toujours un mauvais conseil, mais en-dehors d'un contexte particulier, ça n'a pas de sens", ajoute-t-elle.

"Il faut ajouter que pour ces produits, la traçabilité n'est pas toujours bonne : il n'y a pas toujours la même chose dans les flacons, suivant la marque, la partie de la plante utilisée, la période de l'année de la récolte...", souligne-t-elle, rappelant que "les cosmétiques ne sont pas des médicaments" et qu'appliquer de l'huile de nigelle sur une lésion "peut apaiser des poussées temporairement mais ne peut pas guérir le psoriasis qui reste une pathologie chronique nécessitant un suivi dermatologique spécialisé".

Dans tous les cas, elle rappelle que de telles recettes ne pourraient remplacer des traitements médicaux prescrits par un spécialiste. "En cas de poussée sévère, il faut retourner consulter le dermatologue", conclut-elle.

"Les recherches réalisées sur l'huile de nigelle sont réalisées à très petite échelle, c'est pourquoi un médecin ne va pas avoir un discours pour la recommander à grande échelle : il n'y a pas preuve scientifique" attestant de leur innocuité et de leur efficacité, explique Marie Jourdan.

Par ailleurs, il existe des "cas d'allergies, qui peuvent être graves" à l'huile de nigelle, rappelle Laurent Misery. 

"Quand on parle d'huiles, il y en a deux grands types. Les huiles fixes végétales, produites par des plantes oléagineuses comme le tournesol, l'olive, le colza... Et les huiles essentielles, issues de plantes aromatiques. En principe, c'est très séparé, sauf dans le cas précis de l'huile de nigelle, qui est les deux", développe Laurence Coiffard.

Or, "les huiles essentielles peuvent provoquer des allergies. Et dans la littérature scientifique, des cas d'allergie à l'huile de nigelle ont été rapportées", ajoute-t-elle. C'est pourquoi "d'autres huiles n'ont pas forcément d'intérêt par rapport à une crème qui peut être prescrite, et qui est un bon émollient".

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De l'huile d'olives récemment pressées dans une exploitation en Afrique du Sud en mai 2023

AFP

 

"Rien ne sert de payer cher pour ces remèdes sur internet alors qu'il y a des médicaments qui existent sur le marché", abonde aussi Brigitte Dréno.

Si "les facteurs psychologiques" sont importants et peuvent contribuer à ce que l'application d'huiles puisse sembler soulager des lésions, il n'y a "aucun rationnel scientifique" ni "aucune preuve" qui attesterait de l'efficacité de ces huiles contre le psoriasis, souligne-t-elle.

Par ailleurs, appliquer des huiles sur le corps peut augmenter "le risque d'allergie et de sensitivité au soleil", particulièrement en été, note-elle.

"Appliquer un produit local peut retarder la mise en place d'un traitement efficace et rajouter un autre problème", conclut aussi le Dr Inès Zaraa.

Le psoriasis, "cible des escrocs"

Depuis des années, des remèdes circulent sur les internet prétendant soigner ou guérir des maladies dermatologiques. 

"Avec toute affection dermatologique, la qualité de vie peut être affectée", ce qui rend les personnes atteintes "vulnérables" et possiblement prêtes à tester des remèdes présentés comme "miracles", analyse Laurence Coiffard.

Ces derniers n'existent pourtant pas, particulièrement pour le psoriasis dont les poussées peuvent être déclenchées par divers facteurs, souligne aussi Marie Jourdan.

"Le psoriasis a toujours été la cible des escrocs pour soulager un patient qui a toujours entendu qu'il n'y avait rien pour lui. Que ce soit le tourisme médical, les pilules à base de poudre chinoise ou les régimes de tous genres : les propositions sont nombreuses. Et les difficultés d'accès aux innovations thérapeutiques renforce ce genre de commerce", déplore par ailleurs le Syndicat des dermatologues le 21 juillet auprès de l'AFP, dénonçant "ces pratiques douteuses" mises en avant dans les vidéos sur les réseaux sociaux. 

En 2021, l'Inserm avait dédié une analyse (lien archivé) aux prétendus remèdes miracles contre le psoriasis, à laquelle Brigitte Dréno avait contribué.

D'autres recettes, à base de yaourt et de bicarbonate associés à de l'huile d'olive, sont aussi relayées. Mais "elles sont sans effet sur le psoriasis" : "c'est folklorique", assure Laurence Coiffard, déplorant que l'on "est dans la tromperie de la personne qui visionnera cette vidéo".

"En aucun cas, une personne qui n'est ni médecin ni pharmacien ne devrait s'octroyer le droit de détourner les patients d'un réel interlocuteur", conclut-elle.

"Il ne faut pas perdre son temps avec des pseudos-traitements parce que des traitements efficaces, de plus en plus efficaces, existent", résume aussi Laurent Misery.

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