Attention aux articles qui recommandent l'argent colloïdal pour se soigner
Publié le mardi 23 novembre 2021 à 17:16
© AGENCE FRANCE-PRESSE | 2024 | Tous droits réservés.
- Auteur(s)
Marie Genries, François D'Astier, AFP Belgique
En Suisse, un patient a été hospitalisé mi-novembre après une intoxication à l'argent colloïdal. De nombreux articles de blogs et publications sur les réseaux sociaux recommandent l'ingestion de ce produit pour améliorer le système immunitaire, tuer les bactéries et soigner divers maux. Si l'argent colloïdal est efficace dans certains cas en usage externe, il n'existe pas à ce jour de preuve scientifique de son efficacité lorsqu'il est ingéré, une pratique qui peut d'ailleurs s'avérer dangereuse, ont expliqué plusieurs spécialistes à l'AFP.
Mi-novembre, un homme a été hospitalisé dans le canton du Jura, en Suisse, pour "de fortes douleurs abdominales" et le "cœur qui s'emballe", a rapporté la Radio Télévision Suisse (RTS) le 12 novembre 2021. Cet homme souffrait d'argyrisme, une intoxication aux particules d'argent qu'il avalait dans l'espoir de renforcer son système immunitaire.
L'argent colloïdal, une solution liquide composée de particules d'argent en suspension, est recommandé par plusieurs blogs comme traitement préventif ou curatif contre de nombreux maux. Certains internautes affirment qu'il pourrait compléter voire remplacer les antibiotiques, renforcer le système immunitaire, éradiquer les cellules cancéreuses, et même aider à combattre le Covid-19.
Captures d'écran réalisées le 23/11/2021
Ces articles sont partagés depuis des années et continuent d'être relayés sur les réseaux sociaux, comme ici début novembre ou ici en août. La plupart recommandent de prendre l'argent par voie orale, dilué dans des solutions liquides. Très facile à acheter en ligne, il est même recommandé par des "influenceuses" sur Youtube.
Si l'argent colloïdal peut, dans certains cas, avoir un effet bénéfique sur l'élimination des bactéries en usage externe, il n'y a à ce jour pas de preuves scientifiques de son efficacité lorsqu'il est ingéré, une pratique qui peut être dangereuse et causer des dommages irréversibles, ont expliqué plusieurs spécialistes à l'AFP. En Suisse et dans l'Union européenne, la vente d'argent colloïdal pour une utilisation par voie orale est d'ailleurs interdite.
Pas de preuve à ce jour de bienfaits liés à l'ingestion d'argent colloïdal
De nombreux internautes vantent les bénéfices de l'argent colloïdal, supposé soigner un grand nombre de maux.
La vente d'argent colloïdal pour un usage par voie orale est interdite en Suisse et en Europe et ce produit a été retiré en 2010 de la liste des compléments alimentaires autorisés par l'Union européenne. Il est permis, dans certains cas, de le vendre pour un usage externe, sous forme de crème ou de désinfectant, par exemple. Dans ce cas, il est présent en très petites quantités. Dans sa forme élémentaire (et non en solution liquide), l'argent peut être utilisé comme colorant pour la nourriture dans des cas extrêmement précis.
Sur leur site, les National Institutes of Health (NIH), chargés de la recherche médicale et biomédicale aux Etats-Unis, estiment que "les preuves scientifiques ne soutiennent pas l'utilisation de compléments alimentaires à base d'argent colloïdal pour quelque maladie ou affection que ce soit". L'argent "a des utilisations médicales appropriées" détaillent les instituts, citant notamment les bandages et pansements pour traiter les brûlures et les plaies cutanées, ou les médicaments destinés à prévenir la conjonctivite chez les nouveau-nés.
"L'argent a des propriétés désinfectantes", a confirmé à l'AFP Thierry Buclin, médecin-chef du service de pharmacologie clinique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), interrogé le 22 novembre 2021.
Mais son efficacité pour soigner des maladies comme la tuberculose ou le VIH n'a encore jamais été prouvée. "L'argent colloïdal est une solution qui a plus de 100 ans et qui a été abandonnée car elle provoque un grand nombre de phénomènes d’allergie et d’intolérance et qu’elle n’a aucune valeur scientifique démontrée", a déclaré à l'AFP François Chast, pharmacologue et président honoraire de l'Académie nationale de pharmacie en France.
"Dès lors qu’il y a le mot argent, cela fait briller les yeux et la notion de 'colloïdal' donne le sentiment que c’est un produit naturel. Mais cela n’a aucun intérêt sur le plan thérapeutique et je n’ai pas lu de publications scientifiques qui puissent justifier son utilisation", a-t-il ajouté, précisant que l'argent "a été suffisamment mal toléré, y compris en application locale, pour pouvoir dire qu’il faut urgemment se passer de cette substance n’ayant aucun bienfait potentiel".
Il n'y a pas non plus d'étude prouvant que l'argent a un effet positif dans la prévention ou le traitement du Covid-19, a expliqué Thierry Buclin: "Des essais en laboratoire ont montré une efficacité de l’argent colloïdal comme désinfectant sur le SARS-Cov-2, au même titre que l’alcool, la chlorhexidine, la solution iodée ou l’eau de Javel", a-t-il expliqué, citant également un essai clinique indiquant que des rinçages de bouche et de nez pourraient être utiles pour prévenir la dissémination du virus chez le personnel de santé exposé à des patients infectés par le Sars-Cov-2.
Mais "encore une fois, il s’agit là d’applications locales et pas d’ingestion", a-t-il ajouté.
Des affirmations selon lesquelles l'argent colloïdal pourrait prévenir, voire traiter le Covid-19, circulent depuis le début de la pandémie et avaient déjà été vérifiées par l'AFP.
"En temps de pandémie, les gens cherchent n'importe quel produit qui pourrait potentiellement aider", a commenté Dominique Vandijck, directeur général adjoint du Centre Antipoisons belge, conseillant de "toujours demander l'avis d'un professionnel de santé" avant de prendre un produit.
Dans un rapport publié le 5 mars 2015, l'Agence nationale française de sécurité sanitaire de l'alimentation, l'ANSES, a conclu que les recherches "sur les effets sanitaires et environnementaux potentiels des nanoparticules d'argent" était insuffisantes "pour permettre une évaluation des risques sanitaires".
Tout en rappelant que l'argent ne figure pas dans la liste des minéraux pouvant être utilisés pour la fabrication des compléments alimentaires, l'agence recommandait également, "compte tenu de la présence de nano-argent dans des compléments alimentaires distribués notamment par le biais du commerce en ligne", de "renforcer l’information des consommateurs et le contrôle de la distribution de ces produits qui contiendraient des nanoparticules d’argent".
Des effets secondaires potentiellement graves et irréversibles
Aux Etats-Unis, les NIH expliquent qu'"il n'existe pas de médicaments sur ordonnance ou en vente libre légalement commercialisés contenant de l'argent colloïdal et pouvant être pris par voie orale".
Ils rappellent également quel'argent colloïdal "peutcauser des effets secondaires graves" et "une mauvaise absorption de certains médicaments, comme certains antibiotiques et la thyroxine (utilisée pour traiter les déficiences thyroïdiennes)". Il n'est donc pas conseillé de prendre de l'argent colloïdal pour renforcer l'action des antibiotiques, contrairement à ce que prônent certains articles de blogs.
La FDA, chargée de l'évaluation de la sécurité des denrées alimentaires et des médicaments aux Etats-Unis, estime que "les produits pharmaceutiques vendus sans ordonnance (OTC) et contenant des ingrédients d'argent colloïdal ou des sels d'argent pour un usage interne ou externe ne sont pas généralement reconnus comme sûrs et efficaces".
En mars 2018, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui évalue et fournit des conseils scientifiques sur les risques dans le domaine des denrées alimentaires, a pour sa part émis un avis non concluant sur la sécurité de l'hydrosol d'argent (une des formes que peut prendre l'argent colloïdal) dans les compléments alimentaires. Les scientifiques de l'EFSA ont conclu que les données n'étaient pas suffisantes pour évaluer "la sécurité de l'hydrosol d'argent en tant que source d'argent ajoutée à des fins nutritionnelles à des compléments alimentaires".
Contactée le 22 novembre 2021 par l'AFP, l'EFSA a rappelé que "les informations à destination des consommateurs sur une denrée alimentaire ne doivent pas attribuer à ce produit la propriété de prévenir, traiter ou guérir une maladie humaine, ni évoquer de telles propriétés", conformément à la résolution législative du Parlement européen du 16 juin 2010.
L'AFP a contacté le 18 novembre 2021 Olivier Lebeau, médecin-chef du service de médecine interne de l'Hôpital du Jura, qui a accueilli le patient suisse atteint d'argyrisme. Ce patient "buvait du sel d'argent (contenu dans certaines préparations d'argent colloïdal, ndlr) avec du lait dans l'optique de renforcer son système immunitaire", a expliqué Olivier Lebeau, "il a admis de lui-même en avoir un peu trop bu".
Or, "l'organisme n'est pas fait pour stocker autant de métaux et ils s'accumulent dans les organes. On retrouve la même chose avec des intoxications au plomb et au cuivre", a expliqué Olivier Lebeau. Le patient souffre aujourd'hui de lésions irréversibles.
L'un des symptômes les plus spectaculaires de l'argyrisme est le changement de couleur de la peau, qui se teinte petit à petit en bleu. L'exemple le plus marquant de cet effet est l'américain Paul Karason, depuis décédé, qui avait appliqué durant des années de l'argent colloïdal directement sur sa peau et en avait ingéré une grande quantité, comme il l'expliquait à la chaîne américaine NBC en 2008:
"Lorsqu'on absorbe l'argent, cet élément s'accumule dans les cellules et se fixe à des protéines et à des constituants cellulaires", a expliqué Thierry Buclin. "Pour s'en débarrasser, l'organisme essaie de stocker cet argent à l'intérieur des cellules, notamment dans la peau. Or, le soleil le fait réapparaître sous forme métallique", donnant à la peau ce teint bleuâtre, a expliqué le médecin, comparant ce phénomène à celui des plaques photographiques.
L'AFP a contacté le 19 novembre 2021 Colette Degrandi, toxicologue au centre antipoisons suisse, Tox Info Suisse. Elle a expliqué qu'une prise trop importante d'argent colloïdal provoque le stockage de sels d'argent "dans les vaisseaux et les organes tels que le foie, les reins, la rate et le système nerveux central et peut provoquer, entre autres, des douleurs chroniques de l'abdomen supérieur et des troubles du système nerveux central tels que des troubles du goût et de la démarche ou des étourdissements".
A doses minimes, l'argent ne semble pas être dangereux pour l'organisme. Si les études sur le sujet manquent, Thierry Buclin relève que "dans la littérature de référence, on trouve des doses maximales admissibles jusqu’à 0,3 mg par jour. Une alimentation habituelle en apporte plutôt 0,05 à 0,1 mg par jour. Au-delà, un danger de toxicité chronique commence à exister".
Sur Internet, la plupart des sites vendant de l'argent colloïdal présentent des solutions contenant des concentrations de 5 à 50 PPM , soit 5 à 50 milligrammes d'argent par litre de solution, certaines allant même jusqu'à 100.
"La dose fait le poison", a confirmé Dominique Vandijck: "si vous en consommez un tout petit peu, vous n'aurez pas de gros problèmes", a-t-il expliqué, précisant tout de même que "boire de l'argent colloïdal n'est pas recommandé du tout".
Pour améliorer son système immunitaire, les médecins interrogés conseillent d'avoir une alimentation équilibrée, de pratiquer une activité physique régulière et de dormir assez. "On n'a jamais démontré qu'une molécule spécifique puisse de façon incroyable améliorer le système immunitaire. Dans le contexte actuel, je rappelle toujours que le meilleur 'booster' du système immunitaire, ce sont les vaccins", a déclaré Olivier Lebeau.
Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article
© AGENCE FRANCE-PRESSE | 2024 | Tous droits réservés. L’accès aux contenus de l'AFP publiés sur ce site et, le cas échéant, leur utilisation sont soumis aux conditions générales d'utilisation disponibles sur : https://www.afp.com/fr/cgu. Par conséquent, en accédant aux contenus de l’AFP publiés sur ce site, et en les utilisant, le cas échéant, vous acceptez d'être lié par les conditions générales d'utilisation susmentionnées. L’utilisation de contenus de l'AFP se fait sous votre seule et entière responsabilité.