Attention aux mauvaises interprétations d'une nouvelle loi locale américaine sur la protection des mineurs


Attention aux mauvaises interprétations d'une nouvelle loi locale américaine sur la protection des mineurs

Publié le vendredi 5 mai 2023 à 16:17

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Auteur(s)

Valentín DÌAZ / Berfin TOPAL / AFP Etats-Unis / AFP France

Une loi votée en avril 2023 dans l'État de Washington, aux États-Unis, apporte de nouvelles dispositions pour la protection des adolescents transgenres à la rue qui cherchent un abri ou des services de santé. Mais des publications très partagées sur les réseaux sociaux assurent que ce texte va permettre de "légalement retirer" les enfants de leurs parents, lorsqu'ils ne "consentent pas à leur transition de genre". Cette allégation est inexacte et repose sur une mauvaise interprétation de la loi, prévue pour protéger les mineurs victimes de maltraitances et/ou de discriminations, ont expliqué des experts à l'AFP.

Selon plusieurs publications sur Facebook et Twitter qui circulent ces dernières semaines, les Etats-Unis auraient voté une loi "permettant aux enfants d'être légalement retirés à leurs parents si les parents ne consentent pas à la transition de genre" et de "saper les droits parentaux en permettant aux refuges de fournir des services médicaux de transition de genre aux mineurs sans le consentement parental". 

Des messages similaires circulent également en anglais et en espagnol.

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Capture d'écran Facebook faite le 04 avril 2023.

 

Ces fausses affirmations font référence à la loi 5599 (archive) de l'Etat de Washington, intitulée "Soutenir les jeunes et les jeunes adultes en recherche de services de soins de santé protégés".  Adoptée par l'organe législatif local de l'Etat de Washington (sénat et chambre des représentants), elle est en cours de ratification par le gouverneur démocrate de l'Etat, Jay Inslee (archive).

A noter qu'il s'agit d'une loi locale, au niveau d'un Etat et non d'une loi fédérale qui concernerait tout le pays.

Cette loi permet aux adolescents qui ont quitté leur domicile suite à des situations de violence et de maltraitances et/ou parce qu'ils souhaitent avoir accès à certains services de santé, relatifs à l'affirmation de genre et  à la santé reproductive (contraception notamment) d'accéder plus facilement à un logement et à une série de services, comprenant éventuellement soins médicaux et psychologiques.

Les soins d'"affirmation de genre" ("gender affirming care") recouvrent tout un panel de services destinés à soutenir les personnes transgenres ou non binaires : médicaux, non médicaux, chirurgicaux, ou psychologiques. 

Il n'est fait aucune mention d'un retrait de garde

Le texte de loi (archive)(Section 2,b,i) dispose que "si un centre d'accueil de nuit agréé pour jeunes (...) accueille un mineur et sait (...) que le mineur se trouve hors d'un domicile ou d'un foyer (... ) sans autorisation parentale, il doit contacter les parents (...) dans les 72 heures, mais de préférence dans les 24 heures (...)". Cela s'applique également aux refuges non agréés, aux maisons des particuliers qui accueillent des jeunes en fugue et aux programmes pour adolescents sans abri.

La notification aux parents doit inclure l'emplacement et une description physique de l'adolescent. Les refuges sont tenus de vérifier auprès de la police d'État si l'enfant figure dans la base de données des personnes disparues.

Le texte précise que "s'il existe des raisons impérieuses de ne pas avertir les parents [de l'adolescent], le centre ou l'organisme d'accueil doit en aviser le Département de l'Enfance, de la Jeunesse et de la Famille [de l'Etat de Washington]" , qui s'efforcera de réunir la famille si possible. Il est précisé que ces raisons impérieuses "incluent, mais ne se limitent pas à, des circonstances qui indiquent que prévenir les parents ou le tuteur légal soumettra le mineur à des abus ou à de la négligence".

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La section 2 du texte de loi 5599 de l'Etat de Washington, capture faite le 05 mai 2023

AFP

 

Contacté par l'AFP le 19 avril 2023, le caucus (groupe) démocrate au sénat de Washington (archive) explique que "cette législation concerne simplement l'accès à un abri sûr et stable et la garantie que les mineurs ne se retrouvent pas sans abri dans la rue".

"[L'ancienne loi prévoyait] que les centres d'hébergement agréés doivent informer les parents lorsqu'un mineur leur est confié, à moins qu'il n'y ait une raison impérieuse (comme des signes de maltraitance). Le projet de loi du Sénat 5599 permet [maintenant] aux refuges de contacter le Département de l'Enfance, de la Jeunesse et de la Famille de l'Etat de Washington (archive) au lieu des parents dans certains cas, par exemple lorsqu'un mineur est en demande des services de santé reproductive ou d'affirmation de genre".

La loi élargit donc les raisons impérieuses de prévenir d'abord le Département et non les parents.  Mais elle ne pas mention d'un "retrait" des enfants : le texte ne "permet pas aux enfants d'être légalement retirés à leurs parents", contrairement à ce qu'affirment les publications virales que nous examinons. Elle ne supprime pas non plus l'obligation de les informer, mais cette notification sera désormais effectuée par l'État de Washington, par l'intermédiaire d'un travailleur social des services de l'Enfance, et non plus directement par le refuge.

Pour Deirdre Bowen (archive), professeure de droit et directrice du Centre de droit de la famille de l'université de Seattle (archive), ces publications virales interprètent mal la nouvelle loi et ce, pour deux raisons.

D'une part, parce que "le [texte] n'autorise en aucun cas l'Etat à retirer des enfants à leurs parents" pour leur avoir refusé des soins d'affirmation de genre. Agir de la sorte sans respecter les procédures légales "serait inconstitutionnel", car cela violerait les principes d'autonomie familiale protégés par la Constitution des États-Unis et par celle de l'Etat de Washington.

D'autre part, il n'est pas vrai que "l'État offre des services de reproduction et d'affirmation du genre dans ce projet de loi", explique Deirdre Bowen. La loi "se limite à une population particulière (...): les jeunes sans-abri qui ont fugué ou ont été chassés de chez eux et qui se présentent dans un centre d'accueil agréé et bénéficient désormais de protections spécifiques".

Même si avec cette nouvelle loi, le refuge agréé peut décider de ne pas avertir les parents de l'enfant, "les parents vont quand même l'apprendre (...) C'est là que l'État intervient pour fournir un soutien et des services de regroupement familial".

"Il est essentiel de noter que les refuges ne fournissent pas de services médicaux et que, dans la plupart des cas, les soins liés à l'affirmation du genre ne sont pas chirurgicaux. Cela peut être aussi simple que de parler à un thérapeute, de porter des vêtements différents ou d'être appelé par un nouveau nom", explique à l'AFP le groupe démocrate de l'Etat de Washington. 

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Une personne participant à la marche pour l'autonomie des jeunes queer et trans à Washington DC en mars 2023

AFP

 

L'intervention des services sociaux, un processus très encadré

Deirdre Bowen rappelle qu'il existe par ailleurs des réglementations dans l'Etat de Washington concernant la garde des mineurs. "Il y a un article dans la loi de l'Etat de Washington qui dit qu'il y a des personnes qui sont tenues de signaler [des cas de maltraitances] (...) Ce sont des personnes qui travaillent dans le domaine de la santé, ou des enseignants, qui s'occupent directement des mineurs et les observent", explique-t-elle. Ces personnes doivent informer l'État de Washington si elles soupçonnent un abus ou une négligence, et l'État lancera un processus d'examen des cas. Cela ne signifie pas nécessairement que les parents perdront la garde, mais l'État est tenu d'ouvrir une enquête.

Les Services de protection de l'enfance du Département des services sociaux sont responsables de l'examen de ces processus. 

"Il doit y avoir des circonstances de préjudice grave et imminent qui affectent le développement du mineur, avec des preuves matérielles de ces faits. Cela doit être prouvé lors d'une audience et les parents ont le droit d'être représentés par un avocat."

"Il y a une exception très limitée ", explique la professeure. Ce sont les cas dans lesquels un policier, alors qu'il est en service, soupçonne un abus sur un enfant et estime que "[...] si l'enfant était laissé seul, il subirait des blessures". Dans ce cas, l'agent a un pouvoir, limité, pour le placer sous protection.

Cela pourrait par exemple concerner la consommation de méthamphétamine. Certains parents dépendants de cette substance "ne sont pas seulement incapables de prendre soin d'eux-mêmes, mais sont également incapables de subvenir aux besoins de base de leurs enfants, comme les nourrir, les laver, les emmener à l'école, laver leurs vêtements (... ) c'est là qu'on parle d'un scénario de changement de garde".

Il existe également des raisons liées à des violences psychologiques ou physiques.

Dans tous les cas, l'État cherchera d'abord des mécanismes de médiation, pour s'assurer que l'enfant "reçoive d'abord des soins de santé appropriés avant de changer de garde". L'Etat de Washington "a une politique claire qui favorise le soutien et le regroupement familial", explique Deirdre Brown. 

Une loi de protection dans un contexte restrictif pour les personnes LGBT

Danni Askini, directrice de la Gender and Justice League, une association de défense des droits des personnes issues de la communauté LGBTQ+, explique que cette loi 5599 est aussi un moyen de protéger les enfants des autres Etats qui se rendent dans celui de Washington, ainsi que leur famille. 

"Dans plusieurs États américains, le fait que les parents sachent que leurs enfants peuvent rechercher des soins d'affirmation du genre dans l'État de Washington peut servir de base à des poursuites pour 'facilitation des soins d'affirmation du genre' ou 'facilitation de l'avortement'. Par conséquent, la notification de la présence d'un mineur dans l'État de Washington et de sa demande de soins d'affirmation du genre peut exposer les parents ou le jeune à des poursuites si ce dernier retourne dans son État d'origine. Cette loi vise à permettre aux refuges de contacter d'abord l'État de Washington et d'engager des professionnels qualifiés de la protection de l'enfance dans ces cas avant d'impliquer les parents. [Ils] ont plus de temps pour faire face à la situation juridique de plus en plus complexe créée par les États qui cherchent à criminaliser l'avortement et les soins d'affirmation du genre", précise-t-elle. 

Depuis janvier 2023, 29 nouvelles lois restreignant les droits des personnes transgenres ont été adoptées dans 14 Etats américains, selon une analyse des données de la puissante association de droits civiques ACLU, publiée mi-avril par le Washington Post. 

Décriant les effets irréversibles de certains traitements d'affirmation de genre, les élus d'une douzaine d'Etats, dont l'Idaho, l'Indiana ou la Géorgie, ont adopté des lois pour les interdire, avec parfois des sanctions pour les médecins qui enfreindraient la règle.

Au-delà des lois sur les soins médicaux, ces Etats multiplient aussi les textes pour interdire aux élèves transgenres d'utiliser les toilettes du genre auxquels ils s'identifient ou encore pour exclure les jeunes filles transgenres des équipes sportives féminines. 

Selon un sondage réalisé par le Trevor Project, une associationqui œuvre auprès des jeunes LGBT+, 86% des jeunes transgenres ou non binaires disent que cette frénésie législative a eu un impact négatif sur leur santé mentale.

Plus de 56% des jeunes transgenres ont eu des idées suicidaires au cours de leur vie et 31% ont fait au moins une tentative de suicide, selon l'Académie américaine de pédiatrie. Ils sont également plus sujets à la dépression, à l'anxiété, aux troubles alimentaires, aux conduites à risque et aux mutilations que le reste des adolescents.

"Les études montrent que ces jeunes se sentent mieux quand ils ont les moyens d'exprimer le genre qu'ils perçoivent être le leur", avec des bloqueurs de puberté ou des traitements hormonaux, soulignait Jack Drescher, professeur de psychiatrie à l'université Columbia, dans une dépêche de l'AFP publiée le 7 avril 2023.

Joe Biden écrivait le 31 mars 2023, dans un communiqué marquant la Journée internationale de la visibilité transgenre, que les attaques contre les personnes transgenres "devaient cesser", dénonçant les restrictions mises en place par certains Etats conservateurs sur l'accès des mineurs à des procédures médicales de transition. "Personne ne devrait avoir besoin de courage pour être soi-même", ajoutait le président des Etats-Unis.

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