Attention aux soi-disants liens entre vaccination Covid et cancers, ou avec la maladie de Creutzfeldt-Jacob
Attention aux soi-disants liens entre vaccination Covid et cancers, ou avec la maladie de Creutzfeldt-Jacob
Publié le jeudi 8 février 2024 à 16:33
(Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP)
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AFP France
Les vaccins à ARN messager contre le Covid, dont des milliards de doses ont été administrées dans le monde, font l'objet d'une surveillance pharmacologique sans égal. A ce stade, aucun lien n'a été prouvé scientifiquement entre ces vaccins et la survenue de cancers. Pourtant, le Pr Didier Raoult assure que des protéines accidentelles récemment découvertes après la vaccination pourraient être des "agents de cancer", voire provoquer des cas de maladie de Creutzfeldt-Jacob. Les experts interrogés par l'AFP dénoncent une "extrapolation" sans fondement scientifique.
"Des protéines inconnues qui se baladent dans le corps" après une vaccination contre le Covid, dont certaines pourraient être "des agents de cancer", ou encore être à l'origine de "la survenue imprévue d'encéphalopathie de type Creutzfeldt-Jacob liée aux prions".
Ces allégations en apparence très inquiétantes ont été émises par le Pr Didier Raoult, à la fois sur Cnews le 12 janvier (archive) puis sur X sur le compte de l'ancien directeur de l'IHU Méditerranée Infection, le 17 janvier.
Cette dernière publication a été partagée plus de 10.000 fois quelques jours plus tard, au 25 janvier.
Aussitôt, des personnes affichant régulièrement des positions hostiles aux vaccins Covid ont relayé la "découverte" de Didier Raoult, comme ici sur X le 17 janvier, dans une publication partagée près de 3.000 fois : "Boum! Déclaration à l’instant de @raoult_didier 'dans la prochaine étape, je vous détaillerai comment les ARN injectés ont produit des protéines inconnues qui expliquent, peut-être, la survenue imprévue d’ encéphalopathie de type Creutzfeld-Jacob liées aux prions fabriqués à cette occasion, ce que prédisait le Pr Montagnier'".
Cette publication sur X a elle-même été partagée par le rappeur Booba, qui écrit sur X le 18 janvier: "Je prend le risque... Je sais qu'il dit la vérité et vous le savez aussi. Beaucoup trop de gens sont dans son cas. Ouvrez les yeux c'est maintenant ou jamais". 3.000 reprises en quelques jours.
Louis Fouché, médecin anesthésiste-réanimateur à l'hôpital de la Conception à Marseille qui multiplie les affirmations erronées, assurant notamment que les vaccins ARN pourraient rendre infertiles, reprend lui aussi la thèse de Didier Raoult, lors d'une émission de Radio Courtoisie rediffusée sur X le 24 janvier.
Lui aussi insiste sur le prétendu danger de contracter la maladie de Creutzfeldt-Jacob, se demandant "est-ce un hasard si on a 10 fois plus de Creutzfeldt-Jacob en deux ans qu’en 10 ans ?".
Pourtant, comme nous allons le voir, dans l'état actuel des connaissances, rien ne prouve que les protéines induites par la vaccination Covid sont dangereuses pour la santé humaine, et encore moins qu'elles peuvent générer des cancers ou des cas de maladies de Creutzfeldt-Jacob.
Les vaccins à ARN plus "purs" que les autres
Pour développer son raisonnement, Didier Raoult s'appuie sur une étude récemment parue dans la revue Nature, en décembre 2023, intitulée "N1-methylpseudouridylation of mRNA causes +1 ribosomal frameshifting", (lien archivé ici).
L'étude, qui a examiné les effets du vaccin à ARN messager de Pfizer sur 21 personnes, a observé qu'un tiers des participants produisaient par la suite ce qu'ils nomment des "protéines involontaires" ("inintended proteins") et donc des réponses immunitaires à ces protéines.
Pour pouvoir fonctionner, les cellules du corps humain ont besoin de différentes protéines, qui ont une multitude de fonctions essentielles. Pour fabriquer la protéine dont elle a besoin, la cellule a besoin des informations - la recette de la protéine, ou son plan de construction - contenues dans nos gènes, comme l'explique l'Inserm ici sur son site internet.
Pour pouvoir transmettre ce plan, notre ADN en crée une de copie à usage unique : ce duplicata s'appelle l'"ARN messager", une molécule chimiquement très proche de l'ADN. Ce processus de copie a pour nom scientifique la "transcription" car l'ADN est "transcrit" en ARN.
Toute une machinerie - les ribosomes- se met alors en place pour lire le plan situé sur l'ARN messager et fabriquer la protéine demandée.
Sur X le 17 janvier, Didier Raoult assure que "ces vaccins, contrairement à leurs indications et à toutes les règles pharmaceutiques, contiennent des quantités considérables (100.000 copies par ml) d’ADN, alors qu’elles ne devaient en contenir que des traces".
Contacté par l'AFP, un des principaux auteurs de l'étude britannique, Lance Turtle, infectiologue à l'Université de Liverpool (archive), nous répond le 25 janvier qu'il n'est "pas d'accord avec l'interprétation de Didier Raoult". Pour Lance Turtle, "il n'y a pas, ou très peu d'ADN dans les vaccins à ARNm".
La position de Didier Raoult, qui a longtemps soutenu la vaccination contre le Covid, a beaucoup surpris l'épidémiologiste Antoine Flahaut, qui sur X répond le 18 janvier: "Réflexions étranges de Didier Raoult dans un post d’hier dont on peut se demander s’il aurait été piraté tellement il est erroné sur le plan scientifique ? De nombreux vaccins vivants atténués sont constitués purement d’ADN : le BCG, les vaccins de la variole et de la varicelle !"
C'est aussi ce qu'assure Steve Pascolo, professeur au sein de l'hôpital universitaire et de l'Université de Zurich, directeur de la plateforme ARN messager, qui a répondu à l'AFP le 25 janvier (archive). "Avec les vaccins à ARN messager, les gens cherchent l'aiguille dans la botte de foin. Si vous regardez le vaccin contre la grippe par exemple il y a des virus entiers, donc beaucoup de protéines, il y a des contaminants de protéines d'œufs…", rappelle-t-il, "tous les vaccins sur le marché depuis des dizaines d’années contiennent des contaminants et les vaccins à ARN aussi".
En termes de contaminants, les vaccins à ARN messagers sont même "plus purs", selon M. Pascolo, "ils contiennent certes des contaminants (...) mais c’est quantifié : pour chaque lot, on quantifie ces contaminants". Selon le type de vaccin créé, le "contaminant" peut être une infime partie du virus lui-même, des micro-organismes, voire un morceau d'ADN.
Même s'il y a des protéïnes, pas forcément de danger
La nouveauté de l'étude britannique citée par Didier Raoult, c'est qu'on apprend "que la m1pseudoUridine [utilisée dans les vaccins à ARN pour améliorer leur efficacité, NDLR] donne une espèce de glissement du ribosome, donc un peu moins de 8% des protéines produites à partir de cet ARN ne sont pas les bonnes protéines".
Cette découverte, assure le Pr Pascolo, va permettre d'améliorer les vaccins à ARN messager, pour autant, "à priori ce contaminant n’a pas d’influence sur l'efficacité et la sécurité des vaccins ARNm".
L'auteur principal de l'étude, James Thaventhiran (archive ici), immunologue à l'université de Cambridge, a déclaré le 20 décembre 2023 à l'AFP que "les humains rencontrent régulièrement des protéines involontaires et génèrent des réponses immunitaires inoffensives, comme on le voit avec les protéines produites à partir de notre alimentation ou par des bactéries intestinales inoffensives. Ces réponses immunitaires, qui se produisent constamment chez chacun de nous, sont contrôlées par notre système immunitaire pour les empêcher de causer des dommages à notre corps".
"Notre dernière étude ne remet pas en cause l'évaluation de la sécurité des vaccins à ARNm COVID existants", a-t-il encore déclaré auprès de l'AFP. "Les données sont claires : il n'existe aucune preuve reliant des protéines involontaires et des réponses immunitaires nocives."
L'étude parue dans Nature avait donné lieu à d'autres fausses allégations, liant vaccins à ARN et sida. Des infox démystifiées par des experts interrogés par AFP Factuel.
Pas de lien entre vaccin et cancer à ce stade
Didier Raoult établit un lien entre les vaccins à ARNm et la survenue de cancers. "Le bidouillage que l’on a fait pour que l’ARN dure plus longtemps a entrainé qu’un certain nombre de protéines qui ne sont pas la protéine Spike mais des protéines inconnues se baladent dans le corps et dont on ne sait pas ce qu’elles font", dit-t-il sur Cnews, notamment.
Selon lui, les "copies d'ADN associées au plasmide" sont des "agents de cancer, en particulier de lymphomes et de leucémies".
Des allégations similaires ont régulièrement été démystifiées depuis le début de la vaccination Covid, comme ici.
Dans cet article, l'AFP Factuel a déjà démontré en octobre 2023 que les théories portant sur une contamination par l'ADN menant au développement de cancers étaient fausses.
Pour affecter le génome, les particules devraient "entrer dans des cellules en division", et non uniquement dans les cellules du muscle ou de la peau dans lesquelles le vaccin est introduit, avait expliqué à l'AFP le virologue américain Michael Imperiale (archive). "Et pour que ça provoque le cancer, il faudrait que l'ADN s'incorpore justement dans le génome responsable du cancer et active ce gène, ce qu'il ne peut absolument pas faire", ajoutait-il.
En novembre, l'Agence européenne du médicament (EMA) avait écrit dans un mail à l'agence Associated Press (archive) qu'il "n'y avait pas d'un preuve d'un lien entre les vaccins à ARNm et des effets indésirables liés à la présence d'ADN, pas plus que de preuves que de très petites quantités d'ADN résiduel qui pourrait être présent dans les lots de vaccins s'intégrerait dans l'ADN des individus vaccinés".
Steve Pascolo va dans le même sens et assure que "les fragments d’ADN dans les vaccins ne sont pas des fragments oncogéniques".
Aucune preuve pour relier la vaccination aux maladies de Creutzfeldt-Jacob
Autre effet possible selon Didier Raoult des "protéines inconnues" mises à jour par l'étude publiée dans Nature: "la survenue imprévue d'encéphalopathies de type Creutzfeldt-Jacob liées aux prions".
Les maladies à prions – encore appelées encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST) – sont des maladies rares selon l'Inserm, caractérisées par une dégénérescence rapide et fatale du système nerveux central, selon l'Inserm. La plus connue est la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MJC), très médiatisée au moment de la crise de la "vache folle" au cours de laquelle une épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) a frappé les élevages du Royaume-Uni, contaminant des consommateurs de viande.
Louis Fouché renchérit: "ces protéines qui sont traduites ont des effets biologiques, ce ne sont pas simplement des déchets, et un de ces effets biologiques (…) sont le dévoilement de sites prions sur la [protéïne, NDLR] Spike".
Il s'interroge: "est-ce un hasard si on a 10 fois plus de Creutzfeldt-Jacob en deux ans qu’en 10 ans ?".
Cette dernière information est fausse : le 24 janvier, l'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a relevé que "Depuis 1992, en France, 100 à 150 nouveaux diagnostics de maladies à prions (dont 85% de maladie de Creutzfeldt-Jacob) sont posés chaque année, avec notamment une diminution ces deux dernières années (2022-2023)". L'ANSM cite des données de l'Inserm (archive) et de Santé publique France (archive).
Richard Knight, neurologue britannique spécialiste des maladies de Creutzfeldt-Jacob (archive), a également indiqué à l'AFP le 26 janvier que "il n'y a pas eu d'augmentation des cas de maladies à prions depuis la survenue du Covid ou des vaccins Covid, dans aucun des pays où une surveillance est effectuée". Au Royaume-Uni, selon le centre national de surveillance des maladies à prions, les données sont équivalentes à la France, avec une incidence de la maladie entre 80 à 180 entre 1992 et 2022.
Au Canada, 144 cas de MCJ ont été confirmés en 2023 (archive), à peine plus que les 142 relevés en 2019, avant la vaccination Covid.
Dans le cas des maladies de Creutzfeldt-Jacob, rappelle l'ANSM, on ne peut guère invoquer une sous-notification des cas, car "les suspicions de MCJ sont des maladies à déclaration obligatoire. Le diagnostic est complexe et long, et pour cette raison la surveillance épidémiologique s’appuie sur un réseau regroupant des laboratoires, des neurologues et des neuropathologistes, coordonnés par le Centre national de référence (CNR) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en lien avec Santé publique France".
En France, depuis le début de la vaccination, "après plus 162 millions de doses administrées, 23 cas de suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) ont été déclarés auprès du réseau de pharmacovigilance après une vaccination avec Comirnaty, 2 cas avec Spikevax et 3 cas avec Vaxzevria", dénombre l'ANSM.
L'agence relève aussi que "l'analyse de ces cas ne retrouve aucun élément permettant d'établir un lien entre le vaccin et la maladie de Creutzfeldt-Jacob". Le fait que des personnes aient déclaré une MCJ postérieurement à une vaccination Covid ne suffit pas à incriminer le vaccin.
Pour Richard Knight, déduire de l'étude britannique de Nature que "les vaccins pourraient provoquer des maladies et plus spécifiquement les maladies de CJ relève de l'extrapolation infondée".
La maladie de Creutzfeldt-Jacob est une pathologie d’évolution très lente, et donc "le court délai de survenue ne permet également pas de retenir le rôle des vaccins contre la Covid-19 dans la survenue de ces cas", note aussi l'ANSM.
L'apparition avec le vaccin d'une variante plus rapide de la maladie est aussi à exclure, selon M. Knight, qui martèle: "il n'y a pas eu de nouvelle forme de maladie à prion identifiée où que ce soit, dans aucune base de données à l'international".
Interrogé dans la dépêche (archive) sur les propose de Didier Raoult, Antoine Flahaut concluait : "Les vaccins contre le Covid-19 ont été injectés plusieurs milliards de fois. Ni les essais cliniques ni la vaccinovigilance n’ont rapporté de risques particuliers qui seraient liés à la présence d’ARN dans ces vaccins. Pas plus qu’avec les vaccins à ADN (utilisés contre la varicelle, la variole ou la variole du singe)".
Le Pr Raoult, qui avait acquis la célébrité médiatique en tenant des positions aujourd'hui discréditées sur le Covid-19, notamment l'efficacité supposée de traitements comme l'hydroxychloroquine, a publié en mars 2023 un "pre-print", c'est-à-dire une version non relue par des pairs, de son étude sur plus de 30.000 patients Covid.
Aujourd'hui retraité de ses fonctions de directeur de l'IHU Méditerranée Infection à Marseille, il a été épargné par la procédure disciplinaire lancée à l'encontre de trois praticiens de son équipe pour avoir décrit dans cette étude des essais cliniques non déclarés sur des patients atteints de Covid, a indiqué le 25 janvier le ministère de la Recherche à l'AFP, confirmant une information de La Provence.
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