Attention, le curcuma n'est pas "une épice magique" capable de guérir tous les maux


Attention, le curcuma n'est pas "une épice magique" capable de guérir tous les maux

Publié le jeudi 26 octobre 2023 à 11:25

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Auteur(s)

Julie PACOREL / AFP France

Dans une tisane, une crème anti-âge, en gélules: le curcuma, une épice venue d'Asie, est à la mode. Des entreprises qui le commercialisent mais aussi des internautes vantent sur les réseaux sociaux les nombreux pouvoirs de cet aliment "santé": le curcuma aiderait à avoir une belle peau, mais aussi à réguler son diabète, et même prévenir et traiter les cancers. Si la curcumine a bien un effet anti-inflammatoire et a fait ses preuves dans certaines pathologies, les études sont encore insuffisantes pour affirmer son action curative et on ne peut pas dire à ce jour qu'elle guérit des maladies, selon les experts interrogés par l'AFP. De plus, son ingestion à forte dose n'est pas sans risque.

Il est la star des aliments "bien-être": le curcuma, c'est l'épice à avoir dans ses placards pour être en bonne santé selon les réseaux sociaux.

Depuis plusieurs années déjà, des publications vantent les vertus de cet "or" comestible, sans retenue, à l'image de cette marque d'épicerie qui assure, en 2018 sur Facebook: "excellent pour la digestion, le curcuma a aussi la capacité de diminuer les inflammations, prévenir le cancer et protéger le cerveau de la maladie d'Alzheimer". 

Des comptes spécialisés "bien-être" ou encore "santé au naturel" recommandent aussi ses bienfaits comme "bien et renature" sur TikTok, dont la vidéo sur le curcuma a été vue plus de 13.000 fois: une voix enregistrée énumère les "bienfaits du curcuma" qui selon elle "réduit le risque de maladie cardiaque", "réduit le taux de cholestérol", a des "propriétés anticancéreuses" et "aide à réduire les effets de la chimio".

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Capture d'écran de TikTok le 18 octobre 2023

 

Un autre compte intitulé "Vitalixir" qui multiplie des conseils sanitaires aussi variés que non prouvés comme "boire de l'eau citronnée tous les jours", ou "faire l'amour tous les jours", pour améliorer sa santé, préconise "une tasse de curcuma par jour" pour "réduire maladies cardiaques, arthrite, tous les types de cancer, peut aider à contrôler les niveaux de diabète".

Sur TikTok, de nombreux influenceurs beauté, vantent aussi les pouvoirs cicatrisants et éclaircissants du curcuma, et partagent des recettes de masques maison. Le mot clé #curcuminebenefits ("les bienfaits du curcuma", en français) totalise 2 millions de vues sur le réseau social, et #curcumamask 400.000 au 19 octobre.

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Capture d'écran de TikTok le 18 octobre 2023

 

Les allégations thérapeutiques du curcuma circulent dans plusieurs langues et pays: en anglais, en espagnol par exemple.

Ces dernières années, la curcumine a déjà été au coeur de fausses informations: l'AFP a par exemple montré qu'elle ne pouvait pas servir à dégrader la protéïne spike des vaccins Covid, ou encore qu'elle n'était pas un traitement efficace contre les myocardites (en anglais).

Des vertus anti-inflammatoires intéressantes

Le curcuma, que l'on reconnaît dans ses placards de cuisine à son jaune profond, presque orange, surnommé "safran des Indes", est une plante cultivée majoritairement en Asie du Sud-Est et utilisée depuis des siècles pour épicer les plats, notamment les currys.

Son rhizome, sa tige souterraine, est aussi réduite en poudre à des fins médicinales depuis la nuit des temps, pour en extraire son principe actif, la curcumine, aux vertus anti-inflammatoires. 

L'excellente réactivité en laboratoire de la curcumine a fait de cette molécule un objet intense d'études, comme l'explique cette vidéo de Quechoisir (archive).

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Un spécialiste de médecine ayurvédique plonge une sangsue dans de la poudre de curcuma dans un hôpital d'Ahmedabad, en Inde, en août 2023

AFP

 

Chimiquement, note le Dr Stéphane Korsia-Meffre, vétérinaire et neuro-biologiste, sur le site spécialiste des médicaments Vidal.fr (archive), les curcuminoïdes contenues dans le rhizome de curcuma "possèdent des propriétés antioxydantes marquées, ainsi que des propriétés anti-inflammatoires"

Il rappelle que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît comme « cliniquement justifié » l’usage du curcuma dans « les digestions difficiles avec hyperacidité et flatulences ». 

Une étude récente (archive) publiée dans le BMJ Evidence-based medicine en 2022 a montré une efficacité similaire de la curcumine et de l'omeprazole (qui diminue les reflux gastriques) chez des patients atteints de dyspepsie fonctionnelle, un trouble chronique du tube digestif supérieur.

Quant aux effets de la curcumine sur la peau, "c’est un actif intéressant, anti-inflammatoire en absorption, sous forme ingestible", explique à l'AFP le 19 octobre Marie Jourdan (archive), dermatologue et vénérologue à Paris.

L'appliquer directement sur la peau comme le préconisent les influenceuses? "On sait que c’est un actif éclaircissant, donc forcément quand il vous débarrasse de vos cellules mortes, ça donne bonne mine", ajoute-t-elle. Mais la dermatologue s'interroge toutefois sur la présence de curcumine dans certains cosmétiques: "à priori elle n'est efficace qu'à une dose énorme, donc on peut se demander s'il y en a assez dans les soi-disant 'crème au curcuma' et si elle est assez stable pour avoir un effet".

Du fait des vertus prometteuses en laboratoire de la curcumine, les études sur cette épice dans d'autres pathologies ont bondi ces dernières années, note l'Anses, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, dans un rapport (archive) publié en 2022. Une recherche avec le terme curcumine dans la base de données scientifique Pubmed avait conduit en 1990 à 73 articles, note l'agence française, contre 17.885 articles en octobre 2021. 

Le Dr Stéphane Korsia-Meffre conclut: "Plus de 120 études cliniques ont fait l’objet de publications scientifiques, mais aucune n’était suffisamment puissante pour en tirer des conclusions définitives. Néanmoins, les articles scientifiques dithyrambiques ne manquent pas, souvent à l’initiative d’entreprises qui commercialisent le curcuma". Pour lui, "le curcuma est l’exemple typique de la faiblesse des études sur l’efficacité des substances d’origine naturelle (donc non brevetables)".

Des risques hépatiques à forte dose

Problème: avec toutes ses "promesses", le curcuma attire de nombreux consommateurs, désireux de régler un ou plusieurs de leurs problèmes de santé en pensant que puisqu'il est naturel, le curcuma est aussi sans danger.

Au rayon des compléments alimentaires - gélules, huiles, sirops - un marché en nette progression puisque plus de 1.000 demandes d'enregistrements de nouveaux produits sont comptées chaque mois selon l'Anses- , le curcuma s'est ainsi fait une place de choix. 

Or, le 20 octobre, Fanny Huret (archive), chargée de projets scientifiques à l'Anses et coordinatrice de l'avis de 2022 sur le curcuma, explique à l'AFP: "Il faut que les professionnels de santé comme les consommateurs soit avertis de la présence dans les compléments alimentaires de substances actives: à partir du moment où c'est actif, ça interagit avec les traitements en cours, avec les systèmes biologiques..."

Dans son rapport de 2022, l'Anses rappelle que "des études suggèrent que des doses élevées de curcuma ou de curcumine sont hépatotoxiques chez l'animal", et relève, entre 2009 et 2021, une petite dizaine d'hépatites vraisemblablement attribuées à la consommation de curcuma en France, sur 120 effets indésirables liés à l'épice.

Depuis la parution de cet avis, l'équipe de Fanny Huret a dénombré 55 nouveaux signalement liés au curcuma par la plateforme nutrivigilance (archive) qui permet à tous de déclarer en ligne des effets indésirables liés à des produits alimentaires ou compléments alimentaires. "On retrouve principalement des effets d'ordre digestif: des nausées, diarrhées, voire des hépatites", analyse-t-elle.

Ces effets correspondent à des doses bien supérieures à celles consommées lors de repas. Les compléments alimentaires sont conçus de telle manière que la curcumine est assimilée de façon bien plus importante par l'organisme, de "quatre à 185 fois supérieure à celle de la curcumine non formulée", souligne l'Anses.

Même si en apparence elles ne dépassent pas la dose journalière autorisée (180 mg de curcumine par jour pour une personne de 60 kg), ces nouvelles formulations qui contiennent souvent de la piperine (poivre) peuvent induire un risque d’effets indésirables

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Des épices sur un marché d'Assouan en Egypte, en février 2022

AFP

 

L'Anses s'est aussi montrée inquiète de l'hétérogénéité des produits présents sur le marché français, relevant une quantité de curcuminoïdes dans ces produits "très variable, allant de 0,075 mg (extrait sec aqueux) à 7,5 g (extrait fluide aqueux)".

En Italie ou en Belgique, note l'agence française, à la suite d'accidents hépatiques, les autorités ont restreint l'usage des compléments alimentaires contenant de la curcumine, déconseillant ces produits en cas de troubles de la fonction hépatique ou biliaire ou de calculs.

Aux Etats-Unis, la FDA (l'agence du médicament américaine, archive) a elle demandé en 2019 l'interdiction de la curcumine  dans les préparations médicinales après la mort d'une patiente à qui un naturopathe avait fait des injections de curcumine pour traiter son eczéma.

Des interactions avec des anticancéreux, et aucune efficacité prouvée contre le cancer

Parmi les effets indésirables liés à l'absorption de curcumine, les experts de l'Anses relèvent des interactions avec des traitements anticoagulants, mais aussi avec des anticancéreux, documentés notamment par une équipe de l'Institut Gustave Roussy dans une étude de 2018 (archive).

Selon la Fondation pour le cancer (archive) belge, il est préférable de ne pas utiliser le curcuma en combinaison avec certaines chimiothérapies, dont il réduirait l’action. "La prudence est également recommandée lorsqu’on utilise le curcuma en association avec une hormonothérapie pour le cancer du sein", conseille aussi la Fondation, car l'épice peut diminuer la sensibilité et l'efficacité du traitement.

Le Dr Bruno Raynard (archive), qui dirige le pôle "nutrition" de l'Institut Gustave Roussy, spécialisé dans le traitement du cancer à Villejuif, près de Paris, constate que les doses de curcumine présentes dans les gélules "correspondent à des quantités qui ne sont pas celles des compléments alimentaires mais des médicaments".

Le nutritionniste reçoit en consultation "tout le temps, des patients qui veulent tester tel ou tel complément alimentaire parce qu'ils pensent que ça peut les aider". L'essentiel, insiste-t-il lors d'une interview à l'AFP le 19 octobre, "c'est d'en parler, et ensemble on voit ce qui est intéressant ou pas, et on tente de trouver un consensus dans le cadre du projet de soin global".

Quant à un intérêt potentiel pour le cancer, il n'y a pas à ce jour d'éléments concluants. "Chez la souris on a des études positives et d’autres négatives, et chez l’humain malheureusement pour le moment les résultats sont négatifs", dit-il.

Il évoque aussi des pistes concernant l'apaisement des effets indésirables des traitements contre le cancer, notamment le cas de la radiodermite, une inflammation des tissus qui apparaît après la radiothérapie notamment dans les cancers du sein: "on s’attendait avec des gélules de curcumine a avoir une vraie diminution de l’intensité et de la douleur liée, et on n’a pas eu ces résultats-là", déplore-t-il.

"Ce n'est pas parce que les résultats sont décevants maintenant que potentiellement on ne peut pas imaginer qu’il y ait dans le futur des traitements avec la curcumine, c'est une piste intéressante, mais actuellement il n' y a rien qui permette de dire que c’est miraculeux", résume le spécialiste, "Ca ne traite pas le cancer".

Pas d'allégation européenne, des études encore insuffisantes

Les effets de la curcumine sont aussi à l'étude sur d'autres maladies, mais là encore ils n'ont pas été suffisamment prouvés.

Fanny Huret de l'Anses rappelle qu'en Europe, la curcumine n'a pas d'allégation (archive) autorisée. Une allégation est "un message, figurant sur certains emballages alimentaires ou accompagnant le produit (publicité, site internet), qui fait état des propriétés sanitaires et/ou nutritionnelles des aliments ou de leurs composants", selon une réglementation très stricte. 

"La curcumine a fait une demande d'allégation très précise sur des effets sur le fonctionnement des articulations, auprès des autorités européennes (archive), allégation qui n'a pas été autorisée pour le moment", rappelle la spécialiste.

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Capture d'écran du réglement européen sur la curcumine

 

Les effets de la curcumine sur la régulation de la glycémie chez les personnes diabétiques est elle aussi encore à l'étude. Dans cette analyse (archive) de plusieurs études sur le sujet, les chercheurs concluent que la curcumine contribue à réduire significativement la glycémie à jeûn par rapport au placebo. Des résultats encore préliminaires, qui doivent être confortés par d'autres études.

Sur le site d'informations médicales Medscape (archive), le Pr Boris Hansel, diabétologue et nutritionniste, estime que "c'est un bon message à mon avis de dire de les incorporer au quotidien sous forme de condiments. D'ailleurs, c'est souvent utile pour réduire autre chose, comme par exemple le sel ou le sucre", tout en mettant en garde contre les compléments alimentaires: "personnellement, je n'y suis pas favorable. On manque de références fiables pour les prescrire aux patients en toute sécurité".

C'est aussi ce que recommande le Dr Raynard, pour qui "le plaisir à manger un plat épicé va libérer des endorphines et stimuler l'appétit".

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