Attention, le texte de cette banderole sur un tracteur lors de manifestations d'agriculteurs a été manipulé
Publié le mardi 6 février 2024 à 10:31
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Juliette MANSOUR / AFP France
Alors que les agriculteurs bloquaient, le 30 janvier 2024, pour le deuxième jour, des axes routiers stratégiques autour de Paris, la photo d'un tracteur avec une banderole "nous exigeons que la France qui l'UE immédiatement et sans condition" est relayée sur X. Mais une recherche d'image inversée mène au cliché d'origine publié par l'agence Reuters le 23 janvier lors d'un blocage par des agriculteurs à Beauvais. Si les voix hostiles à la politique agricole européenne sont nombreuses au sein du mouvement actuel, le texte du slogan sur la banderole a été modifié. Le texte originel disait : "J'aime mon métier mais j'aimerais en vivre".
Le 30 janvier, les agriculteurs bloquaient pour le deuxième jour des axes stratégiques autour de Paris.
Un convoi d'agriculteurs poursuivait sa route vers le marché de Rungis malgré l'intervention des forces de l'ordre et les réticences du syndicat agricole majoritaire, qui maintient la pression.
Partis d'Agen sous la coupe de la Coordination rurale, environ 200 tracteurs se dirigeaient vers le marché de Rungis, poumon alimentaire de l'Ile-de-France.
Dans ce contexte, une image montrant un tracteur sur une autoroute arborant une banderole "nous exigeons que la France quitte l'UE immédiatement et sans condition. Frexit", a été partagée sur X.
"Hooo merde … un agriculteur d'essstremmm' droite, pro Poutine Antivaxxx antisemite raciste, homophobe … ET COMPLOTISTE !!!!!", ironise l'internaute qui relaie cette photo. Le terme Frexit -forgé sur le même modèle que le mot Brexit- désigne l'idée d'une sortie de la France de l'Union européenne.
Une image manipulée
Une recherche d'image inversée sur Google mène à des occurrences plus anciennes de la photo. Le site de Paris Match l'a par exemple intégrée dans un article intitulé "Après le drame de l’Ariège, la colère des agriculteurs monte encore d'un cran" publié le 24 janvier (archive ici).
Mais sur cette version de la photo, l'inscription sur la bannière est "j'aime mon métier mais j'aimerais en vivre" et non "nous exigeons que la France quitte l'UE immédiatement et sans condition" comme sur la photo partagée sur X le 29 janvier.
La légende de la photo de l'article de Paris Match indique qu'il s'agit "d'une mobilisation d'agriculteurs près de Beauvais", le 23 janvier 2024, et précise que le cliché a été diffusé par l'agence de presse Reuters.
Sur le site de Reuters, le cliché a été publié le 23 janvier 2024 (archive ici), avec la même bannière et une légende plus détaillée : "Des agriculteurs français bloquent l'autoroute A16 avec leurs tracteurs pour protester contre les prix, les taxes et les réglementations écologiques, des griefs partagés par les agriculteurs de toute l'Europe, près de Beauvais, France, 23 janvier 2024. Le slogan indique : 'J'aime mon métier mais j'aimerais en vivre'."
Le site propose également une série de clichés similaires, dans lesquels apparaît le même tracteur avec cette inscription, photographié sous des angles différents (archive ici) : de face ou de plus loin par exemple, prouvant que la version du cliché qui circule sur X a été manipulée.
L'outil "Forensic" du logiciel InVid-WeVerify, co-développé par l'AFP, et disponible ici détecte également une différence de pixels, souvent synonyme de manipulation, précisément sur le texte de la bannière.
La nouvelle politique agricole de l'UE très critiquée
Si cette banderole a été manipulée, de nombreux agriculteurs européens ont exprimé leur colère vis-à-vis de l'Union européenne et sa nouvelle Politique agricole commune (PAC) appliquée depuis 2023 et qui court jusqu'en 2027.
L'AFP a par exemple photographié le 25 janvier, à Rennes, un homme avec un drapeau "Frexit" lors d'une manifestation d'agriculteurs.
Dans la nouvelle PAC , les aides versées aux agriculteurs sont conditionnées au respect de critères agro-environnementaux, dont l'obligation de laisser au moins 4% des terres arables en jachères ou d'infrastructures agro-écologiques (haies, bosquets, fossés, mares..).
Un taux minimum pouvant être ramené à 3%, s'ils y ajoutent 4% de cultures intermédiaires ou fixatrices d'azote sans produits phytosanitaires, pour atteindre 7% favorables à la biodiversité.
Après le déclenchement du conflit ukrainien, Bruxelles a suspendu l'application de cette condition pour pouvoir produire davantage et compenser les perturbations de l'offre céréalière d'Ukraine et de Russie.
Cette dérogation a expiré fin 2023, malgré l'appel cet automne d'une dizaine d'Etats réclamant sa prolongation au moins partielle pour 2024.
Agriculteurs et élus dénoncent des contrôles de conformité parfois trop tatillons, pour ces critères entraînant de nouvelles dépenses non-productives et un surcroît de formulaires.
Une vague de désinformation sur les manifestations des agriculteurs
Qu'ils soient simples citoyens, influenceurs, responsables politiques, et souvent pro-russes, les adeptes de théories complotistes s'enthousiasment pour les manifestations d'agriculteurs en France et en Europe, y voyant un symbole parfait de leur "combat" contre les élites et l'écologie, expliquait déjà le 26 janvier l'AFP dans une dépêche (archive ici).
Sur les réseaux sociaux et dans certains médias, "les agriculteurs sont utilisés par ces acteurs idéologiques, politiques et influenceurs pour faire passer leurs messages (...) Ces manifestations sont un levier intéressant pour eux, car l'agriculture évoque la terre, les racines, notre culture, le 'vrai Français' opprimé par les élites déconnectées, mondialistes, la technocratie bruxelloise", qu'ils dénoncent déjà régulièrement, analysait dans cet article Jean-Yves Dormagen, professeur de sciences politiques et président du laboratoire d'étude de l'opinion Cluster17.
Des idées qui convergent aussi avec celles portées par les mouvements identitaires et les partis d'extrême droite, dont des responsables politiques ont apporté un net soutien aux agriculteurs, à quelques mois des élections européennes.
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