Aucune "montée des eaux de la mer significative" ? Les affirmations trompeuses de Christian Gerondeau
Aucune "montée des eaux de la mer significative" ? Les affirmations trompeuses de Christian Gerondeau
Publié le vendredi 10 mars 2023 à 18:20
(AFP)
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Nathan GALLO, AFP France
La hausse du niveau de la mer à l'échelle mondiale est un phénomène scientifiquement reconnu, qui s'aggrave avec le réchauffement climatique et a des conséquences socio-économiques partout dans le monde. Pourtant, l'ingénieur et ancien haut-fonctionnaire Christian Gerondeau a dénoncé le 2 mars au micro de Sud Radio les "mensonges" du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). A ses yeux, il n'existe "aucune montée des eaux de la mer significative" car une hausse de deux millimètres par an du niveau de la mer sera "sans aucune conséquence". Mais les données sur lesquelles s'appuie l'essayiste sont désormais datées et ne correspondent plus à la hausse actuelle. Il minimise par ailleurs à tort l'importance sur le long-terme d'une montée des eaux de plusieurs millimètres par an sur les sociétés humaines, comme l'ont expliqué plusieurs océanographes et chercheurs à l'AFP.
La montée du niveau de la mer à l'échelle mondiale, une "science-fiction du GIEC" ? C'est en tout cas ce que prétend l'ancien ingénieur et haut-fonctionnaire Christian Gerondeau.
Invité sur les ondes de Sud Radio par l'animateur André Bercoff le 2 mars, l'essayiste polytechnicien, auteur de nombreux essais remettant en cause les conclusions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sur l'origine humaine du réchauffement climatique, a dénoncé les "mensonges" de la communauté scientifique, qui alerte depuis de nombreuses années sur l'élévation du niveau de la mer à l'échelle mondiale.
"Quand j'ai lu les chapitres des rapports officiels du GIEC des Nations-Unies sur la montée des eaux de la mer, et qu'elle est de l'ordre de 2 mm par an, (...) je me suis dit : il y a une faute de frappe. 2 mm par an, ça fait 2 cm en 10 ans, et 20 cm au bout d'un siècle", a déclaré l'ancien haut-fonctionnaire.
A ses yeux, ce phénomène serait en réalité "quasiment indécelable et évidemment sans aucune conséquence" face à d'autres phénomènes maritimes comme les marées, qui représenteraient "5 à 10 mètres de dénivelé" en moyenne.
"La réalité, c'est qu'il n'y a aucune montée des eaux de la mer significative", conclut l'auteur climato-sceptique, qui attaque depuis plusieurs années les "mensonges du GIEC" et ce qu'il nomme la "religion écologiste". Un discours repris et partagé plusieurs milliers de fois en ligne depuis la diffusion de l'entretien sur la radio, sur Facebook comme sur Twitter .
Mais cet argumentaire est trompeur. En plus de mobiliser des chiffres datés sur la hausse du niveau de la mer à l'échelle mondiale, l'essayiste climato-sceptique nie les conséquences d'une augmentation de plusieurs millimètres par an sur le court comme le long terme, ont expliqué plusieurs scientifiques à l'AFP.
Capture d'écran de l'archive numérique d'un post Facebook partageant l'extrait de Sud Radio (capture du 08/03/2023)
Près de 4 mm par an en 2022
"Il est complètement faux de dire que ce phénomène est insignifiant", souligne notamment Laurent Testut, responsable du service national d'observation du niveau de la mer SONEL, à l'AFP le 8 mars. Comme l'explique le chercheur, le niveau de la mer monte en réalité plus vite que ce que prétend Christian Gerondeau, dont "le chiffre de 2 mm n'est plus d'actualité".
Le chiffre de 2 millimètres ne prend en effet pas en compte l'accélération de la hausse du niveau des mers, rappelle l'océanographe William Llovel à l'AFP le 8 mars.
"Il est vrai que le niveau moyen global de la mer a augmenté de 2 mm par an sur la période 1901-2018, ce qui représente une hausse d'un peu plus de 20cm sur la période", explique le chercheur au Laboratoire d'Océanographie physique et spatiale. "Mais depuis 1993, ce même niveau moyen présente une hausse de plus de 3 mm. Et depuis 2006, cette moyenne est plus de l'ordre de 3,5 à 4 mm".
Après une augmentation moyenne d'1,3 mm par an entre 1901 et 1971, puis d'1,9 mm par an entre 1971 et 2006, le GIEC a en effet indiqué dans son rapport que cette hausse du niveau de la mer a atteint 3,7 mm par an entre 2006 et 2018. "Le niveau moyen de la mer à l'échelle mondiale a augmenté plus rapidement depuis 1900 qu'au cours des siècles précédents sur les 3 000 dernières années", souligne le groupe d'experts dans son rapport de 2021.
Pour évaluer la montée des eaux, la communauté scientifique s'appuie sur les données issues des observations satellites, qui analysent l'évolution du niveau de la mer depuis 1993 - auparavant, les mesures étaient réalisées via des capteurs disposés sur les côtes.
Accessibles en ligne via l'outil Aviso du Centre national d'études spatiales (Cnes), ces observations indiquent bien que "l'élévation globale du niveau de la mer augmente, en moyenne sur le globe, de 3.6 millimètres par an" depuis 1993. Soit près de deux fois le chiffre indiqué par l'essayiste (voir ci-dessous à gauche).
Cette hausse représente une augmentation de 10 centimètres en seulement trente ans, comme le montrent les données satellites disponibles (voir ci-dessous à droite).
Le niveau moyen global des mers (GMSL) de référence de janvier 1993 à aujourd'hui, observé par satellite, selon le site Aviso Altimetry
30 centimètres de hausse en 30 ans à l'Ouest du Pacifique
Au-delà de cette moyenne à l'échelle mondiale, les scientifiques interrogés soulignent aussi les nombreuses disparités géographiques, avec des régions bien plus affectées par la montée des eaux que d'autres.
"La variabilité régionale est très différente de la moyenne globale", précise William Llovel. Si la hausse du niveau de la mer sur les côtes françaises est "à peu près similaire" à la moyenne mondiale, d'autres régions subissent beaucoup plus fortement cette évolution. C'est le cas de la zone Pacifique Ouest, où le CNES a observé des hausses de 10 millimètres par an entre 1993 et 2021, soit une augmentation de 30 cm du niveau de la mer en 30 ans (voir ci-dessous les zones en rouge sur la carte).
Certains pays, comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée, et de nombreuses îles comme Noumea, Vanuatu ou encore les Fidjis, sont ainsi beaucoup plus menacées par la montée des eaux.
Ce phénomène risque de provoquer entre autres une réduction de la surface des îles et un recul du trait de côte, mais aussi des phénomènes climatiques extrêmes plus réguliers qui ont des répercussions sur les ressources terrestres de ces régions, ont indiqué plusieurs travaux sur la question ces dernières années, comme le rapport de l'organisation Ocean Climate publié en 2020.
Tendance régionale du niveau de la mer pour la période de 1993 à 2023 à partir des données du CNES. Source : Avisa
Une accélération de la hausse du niveau de la mer liée au réchauffement climatique
Comme le rappelle l'ensemble des scientifiques interrogés, le réchauffement climatique est bien la cause de l'accélération de cette augmentation du niveau de la mer. "Plus personne ne remet en cause cet effet, ni sa dimension anthropique", c'est-à-dire lié à l'activité humaine, décrit Laurent Testut. "Ce dont on est sûrs, c'est que les niveaux de la mer vont continuer de monter".
Deux phénomènes jouent un rôle central dans cette hausse, décrit le GIEC : d'une part, la fonte des neiges continentales issues des calottes glaciaires et des glaciers, qui contribue à hauteur de "42%" à la hausse.
D'autre part, le phénomène moins connu de la dilatation thermique des océans, pourtant responsable de la moitié de cette hausse : alors que la température des mers et océans augmente, le volume d'eau augmente lui aussi sous l'effet de la chaleur.
Avec le réchauffement climatique, ces deux phénomènes devraient ainsi continuer à faire monter le niveau de la mer à l'échelle mondiale. Tous les scénarios prévus par le GIEC dans le chapitre 9 son dernier rapport prévoient par ailleurs une montée annuelle moyenne du niveau de la mer à l'échelle mondiale bien plus élevée au cours du 21e siècle par rapport au siècle précédent.
Dans ses prévisions les plus basses, selon un scénario qui respecterait les Accords de Paris de 2015 sur un maintien du réchauffement climatique à +1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle, le niveau de la mer moyen augmenterait déjà de 44 cm d'ici à 2100, soit plus de deux fois plus qu'au 20e siècle.
Mais en cas de réchauffement climatique plus important, le niveau de la mer pourrait augmenter de 51 cm (scénario à +2°C), voire de 61 cm (+3°C), 70 cm (+4°C) ou même de 81 cm en cas d'une hausse des températures moyennes de 5°C.
Capture d'écran des prévisions du GIEC issues du chapitre 9, sur la montée du niveau de la mer d'ici 2100 selon les différents scénarios de réchauffement climatique (capture d'écran du 09/03/2023)
"20 centimètres" de hausse du niveau de la mer, un phénomène qui n'est pas "indécelable et sans conséquence"
Peut-on tout de même comparer une hausse du niveau de la mer annuelle qui s'opère sur plusieurs décennies avec la variation liée aux marées, comme le fait l'essayiste climato-sceptique. Non, expliquent les scientifiques interrogés.
"Il compare deux choses différentes", explique William Llovel. "La marée est un phénomène à haute fréquence, qui se produit à peu près deux fois par jour sur les côtes françaises. Le niveau de la mer, lui, est un phénomène basse fréquence, qui se mesure sur des décennies. Dès lors, si jamais on a un niveau moyen de la mer 20 centimètres plus haut, les niveaux de marée vont se superposer sur cette augmentation".
L'océanographe rappelle par ailleurs que toutes les marées n'ont pas l'amplitude de 5 à 10 mètres décrite par l'essayiste climato-sceptique. Cette amplitude est, en effet, moins importante sur la côte Atlantique, tandis que la marée en Méditerranée est "plutôt de l'ordre de 20 à 30 centimètres".
"Ce n'est pas parce que c'est petit que ce n'est pas significatif", complète Laurent Testut en parlant de la hausse annuelle. Ce dernier décrit un "effet cumulatif qui va s'additionner avec le temps". D'où un "effet de levier extrêmement important", lors de hautes marées ou d'événements climatiques extrêmes qui vont provoquer des inondations et dégâts de plus en plus importants sur les zones maritimes.
Des inondations déjà bien plus fréquentes
Le GIEC a déjà observé des effets concrets depuis quelques décennies : "les inondations à marée haute qui se sont produites cinq fois par an au cours de la période 1960-1980 se sont produites, en moyenne, plus de huit fois par an au cours de la période 1995-2014", rappelle son dernier rapport.
Dans ses prévisions, le groupe d'experts estime désormais que ces niveaux extrêmes de mer pourraient se produire "environ 20 à 30 fois plus fréquemment d'ici 2050 et 160 à 530 fois plus fréquemment d'ici 2100 par rapport au passé récent".
Un constat aussi décrit par Joël Guiot, paléoclimatologue et co-président du Groupe régional d'expertise sur le changement climatique (GREC) du Sud de la France, qui observe notamment les conséquences du changement climatique sur la côte méditerranéenne : "en période sans grand vent ni grande marée sur les côtes Atlantique ou de la mer du Nord, effectivement, il ne va rien se passer. Mais au moment où le niveau de l'eau monte à cause des marées ou du vent, il y aura déjà 20 centimètres de plus", soit une augmentation non-négligeable dans le cadre d'inondations.
Quant aux régions au niveau proche de celui de la mer, les impacts sont déjà de plus en plus visibles. "Dans énormément de régions de deltas, extrêmement basses sur l'océan, on observe des inondations à marée haute", décrit Laurent Testut, qui a notamment travaillé sur la région du Bangladesh, pays sur le delta du Gange particulièrement affecté par la montée des eaux.
En France, de nombreuses zones côtières sont aussi directement concernées par la montée des eaux, que ce soit sur les côtes de la Manche, le littoral Atlantique ou la côte méditerranéenne, comme le décrit la carte interactive du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Carte issue du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui indique en rouge les zones exposées à la submersion marine (capture d'écran du 9 mars 2023)
"Ce n'est pas possible d'ignorer ces problèmes-là"
Les exemples concrets d'impact à long-terme sur les zones littorales sont par ailleurs nombreux et documentés.
La côte méditerranéenne, moins préparée aux variations du niveau de la mer du fait de marées plus faibles par rapport à l'Atlantique ou la Manche, est par exemple très exposée, comme le décrit Joël Guiot. "Du fait des marées plus faibles, les constructions proches du rivage sont bien plus nombreuses. On a donc beaucoup plus d'infrastructures vulnérables en Méditerranée que dans l'Atlantique et dans la mer du Nord".
Le chercheur cite l'exemple de la Camargue, une région particulièrement à risque située à un moins d'un mètre au-dessus du niveau de la mer, et qui risque de subir des inondations de plus en plus fréquentes. "Si vous montez le niveau moyen de 10, 20, 30 ou 40 centimètres, quand le vent du sud emmène de l'eau, ce sera d'autant plus facile de pousser l'eau vers l'intérieur des terres. Au lieu d'avoir des inondations tous les 10 à 20 ans, on aura désormais cela tous les deux à trois ans."
Entre autres impacts, ces inondations auront des conséquences concrètes sur l'activité rizicole et viticole de la région et sur la salinisation des terres qui deviendront moins arables. "Ce n'est pas possible d'ignorer ces problèmes-là", souligne Joël Guiot.
Le GIEC, une référence mondiale sur le climat
Le GIEC est la référence mondiale sur le climat. Créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), ce groupe d'experts réunit des milliers de spécialistes des sciences de l'atmosphère, océanographes, glaciologues, économistes et a reçu le prix Nobel de la Paix en 2007.
Contrairement aux idées reçues, le GIEC ne produit pas d'études à proprement parler. Son rôle est de se plonger dans les milliers de publications scientifiques consacrées au sujet, expertiser les dernières connaissances, et présenter une synthèse équilibrée aux décideurs.
Dans le premier volet de son dernier rapport d'évaluation, publié le 9 août 2021, le GIEC affirme que le réchauffement climatique est "sans équivoque" et qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres".
L'existence du changement climatique causé par l'Homme est pourtant régulièrement remise en question, notamment par des utilisateurs sur les réseaux sociaux. Ces derniers mois, l'AFP avait aussi vérifié plusieurs publications trompeuses sur le climat, notamment concernant les modèles climatiques, la glace de mer arctique, une étude de la NASA sur la masse de glace de l'Antarctique, une déclaration niant l'urgence climatique, ou encore sur les températures en Arctique.
10 mars 2023Corrige une faute d'orthographe dans le titre
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