Ce communiqué annonçant restreindre internet à cause des violences urbaines est un faux


Ce communiqué annonçant restreindre internet à cause des violences urbaines est un faux

Publié le mercredi 5 juillet 2023 à 10:52

4c6c20ccbb8f4e60c1e0b65891d061735a7c65a7-ipad.jpg

Auteur(s)

Claire-Line NASS / AFP France

Après la mort de Nahel le 27 juin, un adolescent de 17 ans tué par un policier, les violences urbaines continuent d'agiter la France. Alors que le gouvernement a estimé que les réseaux sociaux avaient contribué à la diffusion de contenus violents pouvant justifier ces émeutes, un document émanant prétendument du ministère de l'Intérieur a circulé sur les réseaux sociaux. Il indiquerait que des restrictions d'accès à internet localisées seraient sur le point d'être mises en place dans certains quartiers. Mais il s'agit d'un faux communiqué, a indiqué le ministère de l'Intérieur. Par ailleurs, programmer de telles coupures serait illégal et inapplicable techniquement en France, ont expliqué quatre experts à l'AFP.

"Verrouillage des RS devient Officiel. Grave précédent qui pourra bien entendu être étendu à la France entière (si besoin) et pour notre bien (bien sûr)", prétend une publication Facebook, diffusant un document sur lequel figure l'en-tête du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer.

"C'est grave et inacceptable", s'offusque un internaute en commentaire. "Encore des 'restrictions temporaires' et exceptionnelles qui vont s'inscrire dans le droit commun, petit pas après petit pas, on y arrive", renchérit un autre.

"À partir du 3 juillet et pour une période déterminée, des restrictions temporaires seront appliquées à l’accès à Internet dans certains quartiers spécifiques pendant les heures nocturnes. Ces restrictions visent à prévenir l'utilisation abusive des réseaux sociaux et des plateformes en ligne pour coordonner des actions illégales et inciter à la violence", indique notamment ce "communiqué" daté du 2 juillet 2023.

6694f23b971b1895d492dc33d1a98936639ce689-ipad.jpg

 

Capture d'écran du faux communiqué prise sur Twitter, le 03/07/2023

 

Des allégations semblables ont été relayées sur Twitter. Elles ont essaimé dans d'autres pays et ont ainsi été diffusées sur Facebook par des internautes d'Afrique francophone, ainsi que dans d'autres langues dont l'espagnol ou l'arabe

Des internautes anglophones sont par ailleurs allés jusqu'à affirmer que "Macron a coupé internet", relayant des vidéos sorties de leur contexte de personnes sortant d'un bâtiment.

Pourtant, le document diffusé est un faux, et une telle mesure serait aujourd'hui techniquement et juridiquement impossible à mettre en place en France, selon les experts interrogés par l'AFP.

Des incohérences et des démentis

Plusieurs éléments peuvent mener à douter de l'authenticité du document. D'une part, l'autorité censée l'avoir émis est difficile à identifier précisément.

L'en-tête du ministère de l'Intérieur y figure, mais la signature au bas du document est celle de la Direction générale de la police nationale (DGPN), qui est bien l'une des directions du ministère de l'Intérieur mais dont le logo et en-tête spécifique n'apparaît nulle part. 

De plus, l'adresse email indiquée est celle que l'on peut retrouver dans des documents destinés à la communication des Premiers ministres français, comme l'on peut s'en rendre compte en effectuant une recherche avancée sur Google.

180600cb127da0dad145c6774655fa83c0550aa9-ipad.jpg

 

Capture d'écran du faux communiqué, prise le 03/07/2023

 

En se rendant sur le site de la police nationale, on ne retrouve au 3 juillet aucune trace d'un tel communiqué. Le dernier en date est bien lié aux récentes violences urbaines, mais vise à informer les élus de la présence de formations dont le but est la "désescalade de la violence".

De même, sur le site du ministère de l'Intérieur, au 3 juillet, les derniers communiqués de presse sont datés du 28 juin et font référence aux violences urbaines, mais aucune ne correspond au document diffusé sur les réseaux sociaux.

Le ministère de l'Intérieur a ainsi démenti avoir émis un tel document sur son compte Twitter (lien archivé) le 2 juillet. "Ce document est un FAUX : aucune décision n'a été prise en ce sens", y est-il précisé.

"Un faux communiqué de presse au nom de la police nationale circule sur les réseaux sociaux annonçant 'des restrictions d'accès à internet dans certains quartiers à compter du 3 juillet'. Ne partagez pas pour éviter les fake news", a également indiqué la Police Nationale sur son compte Facebook (lien archivé) quelques minutes plus tard.

Contacté par l'AFP, le ministère n'a pas souhaité faire plus de commentaires, renvoyant vers son tweet.

Techniquement infaisable en France

Mettre en place de telles coupures ne serait "techniquement pas faisable" en France, du fait de la complexité de l'accès au réseau présente sur le territoire, explique Jean-Philippe Gaulier, directeur général de l'entreprise de conseil en sécurité numérique Cyberzen (lien archivé) et président de l'Observatoire de la Sécurité du Système d'Information et des Réseaux (OSSIR).

"Vous avez deux sources d'accès à internet : celui qu'on appelle filaire avec la fibre ou l'ADSL, et l'accès par le téléphone, la 4G et 5G. Donc déjà, si vous vouliez interdire l'accès dans un quartier, il faudrait à la fois mettre un stop sur les points d'accès ADSL et fibre et sur les antennes relais dans cet espace-là. Donc, ça veut dire qu'il faudrait obliger l'ensemble des opérateurs à arrêter les antennes et le trafic en provenance des points d'accès physiques", ce qui serait "infaisable", développe-t-il.

Par ailleurs, il souligne qu'une suspension d'accès à internet signifierait aussi l'arrêt de l'accès à certains services publiques en ligne, et ne permettrait pas d'exclure certains sites comme des hôpitaux ou des commissariats présents dans le périmètre visé par la restriction, ce qui pourrait être perçu comme étant "contre-productif".

En France comme dans de nombreux pays d'Europe, il existe de nombreux points d'échange internet (IXP), qui permettent l'arrivée d'internet sur le territoire. Contrôler l'accès à internet ou le limiter serait donc bien plus complexe que cela peut l'être dans d'autres pays où ces points d'accès sont uniques ou très peu nombreux, comme la Chine ou la Turquie par exemple.

C'est pour cela que dans certains Etats autoritaires, des restrictions d'accès à internet ont pu être mises en place localement lors d'événements spécifiques, en mettant en place des "filtrages" de ces accès à partir des points d'accès comme, relève Bastien Le Querrec, juriste à la Quadrature du Net (lien archivé), une association de défense et de promotion des droits et libertés sur internet.

"En France, le gouvernement ne contrôle pas ces accès à internet", et quand bien même une telle décision serait prise, elle serait "indiscutablement illicite", précise Vincent Varet, avocat associé chez Varet Près Killy (lien archivé), une société d'avocats dédiée à l'immatériel, au numérique et au sport.

Illégal en France

"Aujourd'hui dans la loi française, rien n'autorise des coupures d'internet", confirme Bastien Le Querrec. Pour les mettre en place, il faudrait qu'elles soient prévues par une loi, ce qui n'est pas le cas.

Le Conseil constitutionnel, qui se prononce sur la constitutionnalité des lois en France, avait estimé en 2009 (lien archivé) inconstitutionnelle une partie de la loi Hadopi, qui proposait de pouvoir restreindre l'accès à internet pour des personnes ayant contrevenu à la législation sur les droits d'auteur.

Cette jurisprudence revient à considérer l'accès à internet comme une "liberté fondamentale", explicite Vincent Varet.

Ce statut est également confirmé par la législation européenne. La Cour européenne des droits de l'Homme a conclu dans plusieurs décisions (lien archivé) relatives à des cas de blocage d'internet ou de l'accès à certains sites web en Turquie et en Russie que ces restrictions contrevenaient à la "liberté d'expression", complète son associé Xavier Près.

Dans le cas où un préfet déciderait malgré tout de mettre en place un décret restreignant localement l'accès à internet, il risquerait ainsi fortement d'être censuré avant de prendre effet, soulignent les spécialistes interrogés par l'AFP.

La loi française prévoit par ailleurs des "censures très ciblées" sur les réseaux sociaux, concernant des publications à caractères terroriste ou pédopornographique notamment, mais ces dernières ne reviennent pas à interdire l'accès à internet ou à un réseau social, mais plutôt à retirer des contenus spécifiques qui auraient eux-mêmes contrevenu à la loi, relève Bastien Le Querrec.

Les réseaux sociaux visés par le gouvernement

Depuis le début des violences urbaines faisant suite à la mort près de Paris de Nahel le 27 juin, un adolescent de 17 ans tué par un policier, les réseaux sociaux sont dans le collimateur du gouvernement, qui dénonce "une forme de mimétisme de la violence" et demande aux plateformes "d'organiser le retrait des contenus les plus sensibles", comme détaillé dans cette dépêche (lien archivé).

C'est dans ce contexte qu'une réunion entre le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, celui du Numérique Jean-Noël Barrot et les plateformes numériques a eu lieu vendredi 30 juin.

"Les ministres ont notamment rappelé aux plateformes leur responsabilité quant à la diffusion de ces publications", selon le communiqué publié après cette rencontre.

Les ministres ont aussi dit demander aux plateformes de "s'engager activement pour retirer instamment les messages qui leur sont signalés et identifier les utilisateurs de réseaux sociaux qui participent à la commission d'infractions, et de répondre promptement aux réquisitions des autorités administratives et judiciaires".

De son côté, Meta a expliqué avoir "des politiques claires interdisant tout contenu qui incite à la haine et la violence sur Facebook et Instagram". 

Depuis le 27 juin, l'AFP a déjà vérifié des vidéos et un fausse lettre d'Olivier Marchal contre Omar Sy partagées en lien avec ces violences urbaines.

4 juillet 2023Ajoute un s manquant au quatrième paragraphe après le premier intertitre

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

© AGENCE FRANCE-PRESSE | 2024 | Tous droits réservés. L’accès aux contenus de l'AFP publiés sur ce site et, le cas échéant, leur utilisation sont soumis aux conditions générales d'utilisation disponibles sur : https://www.afp.com/fr/cgu. Par conséquent, en accédant aux contenus de l’AFP publiés sur ce site, et en les utilisant, le cas échéant, vous acceptez d'être lié par les conditions générales d'utilisation susmentionnées. L’utilisation de contenus de l'AFP se fait sous votre seule et entière responsabilité.