Il est faux d'affirmer que les femmes enceintes ne doivent prendre "aucun médicament"


Il est faux d'affirmer que les femmes enceintes ne doivent prendre "aucun médicament"

Publié le mardi 18 avril 2023 à 10:22

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AFP France

Même si prendre un médicament pendant la grossesse n'est jamais anodin, les femmes enceintes peuvent prendre des médicaments, à l'exception de certaines molécules connues pour être dangereuses pour elles ou le foetus à certains moments de la grossesse. Pourtant, selon une vidéo diffusée sur Instagram début avril 2023 et très partagée, les femmes enceintes "ne doivent prendre aucun médicament", y compris du paracétamol. Même s'ils rappellent que toute prise de médicament pendant la grossesse doit se faire sur avis médical, les scientifiques interrogés par l'AFP expliquent que la vidéo virale contient des affirmations erronées.

"Les femmes qui portent un enfant doivent être averties qu'elles ne doivent prendre aucun médicament, y compris des médicaments qui peuvent paraître anodins", affirme l'ancienne journaliste Corinne Lalo, dans une vidéo publiée sur Instagram le 2 avril 2023 par un compte consacré à la naturopathie. 

Elle fait également d'autres allégations selon lesquelles la prise de paracétamol "féminise les petits garçons" ou que les femmes françaises sont "70% à prendre du paracétamol quand elles sont enceintes, alors que par exemples les Danoises ont été mises au courant qu'elles ne doivent pas le faire, donc elles ne le font pas". 

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Capture d'écran Instagram faite le 17 avril 2023

AFP

 

Cette même vidéo, de moins d'une minute, a été diffusée sur d'autres réseaux sociaux, comme sur Twitter ou Facebook.

Cet extrait est issu d'une interview plus longue, diffusée le 23 décembre 2021 sur le site de TV5 Monde où Corinne Lalo était invitée pour parler de son dernier livre.

Les femmes enceintes peuvent prendre des médicaments

 "De nombreux médicaments n'ont aucun effet négatif pendant la grossesse, ni sur la mère, ni sur le bébé",  explique l'Assurance Maladie sur son site internet (archive).

Toutefois, certaines molécules sont contre-indiquées, connues pour être potentiellement dangereuses pour le bébé ou la mère, par exemple la Dépakine (archive), un anti-épileptique, l'isotrétinoïne (ou Roaccutane, son nom commercial, lien archivé) contre l'acné sévère, le thalidomide, sédatif et anti-nauséeux (archive).

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, comme l'ibuprofène (lien archivé), sont également contre-indiqués pendant les 4 derniers mois de la grossesse. 

"Avant toute prescription de médicament à une femme enceinte, le médecin traitant évalue le bénéfice potentiel, par rapport au risque pour le bébé et pour la mère. D'autant que plusieurs situations justifient la prise de médicaments pendant la grossesse", précise aussi l'Assurance Maladie.

"Les médecins et les sages-femmes savent quand prescrire un médicament, pourquoi et à quelle dose", abonde Olivier Picone (archive), gynécologue obstétricien et conseiller spécial auprès du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF), interrogé par l'AFP le 13 avril.

"Il y a des patients qui ont des maladies chroniques, on ne doit pas arrêter de traiter parce qu'elles sont enceintes. Une patiente hypertendue, il faut traiter son hypertension, une patiente diabétique il faut traiter son diabète, une patiente qui a un accouchement prématuré, il faut un médicament pour arrêter les contractions", ajoute-t-il. 

Selon le dictionnaire médical et site d'informations médicales Vidal, dans un article (archive) du 19 juillet 2021, on peut lire que "le paracétamol est l'antalgique le plus consommé en France. Il peut être pris par les enfants dès le plus jeune âge, par les femmes enceintes ou qui allaitent et si on ne dépasse pas les doses recommandées, ses effets secondaires sont rares".

Comme le rappellent régulièrement médecins et autorités sanitaires ces dernières années, la prise de paracétamol (enceinte ou pas) ne doit pas être banalisée : en cas de surdosage, "le paracétamol peut s'avérer toxique pour le foie et avoir des conséquences graves". 

Paracétamol et grossesse

Si le paracétamol est considéré de façon générale comme une molécule sûre même pour les femmes enceintes, certaines recherches scientifiques ont néanmoins évoqué des risques possibles pour le foetus en cas de prises importantes de paracétamol pendant la grossesse, comme la cryptorchidie (lorsqu'un testicule ne descend pas dans les bourses) ou d'hypospadias (une diminution de la distance entre l'anus et les organes génitaux).

En septembre 2021, plusieurs scientifiques de différentes nationalités ont publié dans la revue "Nature Reviews Endocrinology" un manifeste appelant à la prudence quant à la prise de paracétamol pendant la grossesse: "Paracetamol use during pregnancy — a call for precautionary action", citant notamment des risques possibles pour le développement de l'appareil uro-génital et estimant même que le paracétamol peut être considéré comme un "perturbateur endocrinien".

Les perturbateurs endocriniens sont des molécules capables d'interférer avec notre système hormonal, pouvant entraîner des effets néfastes sur la reproduction ou le développement des enfants. Largement présents au quotidien, de récentes études confirment que plusieurs produits chimiques présentent un risque particulier pendant la grossesse mais leurs conséquences concrètes restent à établir, comme expliqué dans cette dépêche (archive) de l'AFP. 

Pour autant, à ce jour, la littérature scientifique ne permet pas d'établir de lien causal avéré entre troubles du développement foetal avec la prise de paracétamol, relèvent les experts interrogés par l'AFP.

"Il n'y a pas de consensus d'association, entre l'exposition au paracétamol pendant la vie intra-utérine et la survenue de cryptorchidie ou d'hypospadias sur ces méta-analyses [article scientifique qui résume et analyse  d'autres études, NDLR]", note Séverine Mazaud-Guittot (archive), chercheuse en biologie à l'Université de Rennes 1/Inserm. 

La chercheuse explique dans cet article (archive) de The Conversation de 2022 que l'on ne peut aujourd'hui établir scientifiquement que le paracétamol induise des risques accrus pour le foetus.

"Invoquer le principe de précaution concernant le paracétamol n’est pas dénué de fondement. Cependant, les présomptions actuelles reposent sur un faisceau d’évidences scientifiques issues d’approches complémentaires qui doivent encore être consolidées" et "ces recherches en cours ne doivent pas faire naître un sentiment d’incertitude anxiogène, ou une culpabilité injustifiée chez les femmes enceintes", indique-t-elle.

"Un risque pourrait être qu’elles se tournent vers des alternatives thérapeutiques moins sûres, telles que les anti-inflammatoires non stéroïdiens", estime encore la scientifique.

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Une boîte de Doliprane (paracétamol) dans une pharmacie française en mars 2023

YOSHIKAZU TSUNO / AFP

 

Ce sont "des études qui sont faites sur des énormes bases de données en population et qui peuvent mettre en évidence des petites choses sans parler de relation de causalité", souligne pour sa part Olivier Picone. 

Il invite à "se méfier de tous les facteurs confondants qu'il peut y avoir dans ces études". Il est en effet difficile d'isoler les effets du paracétamol parmi les conséquences des autres facteurs auxquels est soumise la femme enceinte : l'environnement, de possibles pathologies, d'autres médicaments, etc... 

"Il n'y a pas de causalité qui a été démontrée", insiste-t-il.

En revanche, si la femme enceinte souffre d'une  pathologie qui nécessite la prise de paracétamol selon son médecin, et qu'elle ne se soigne pas, cela peut s'avérer dangereux pour le foetus, comme en cas de fièvre par exemple, indique Olivier Picone. "Dans tous médicaments qu'on donne pendant la grossesse, on regarde toujours quelle est la balance bénéfice-risque", explique-t-il. 

"Il est impératif de faire valoir le principe de précaution", ajoute Séverine Mazaud-Guittot. Et de rappeler que "le principe même de l'usage d'un médicament, c'est la plus faible dose possible, le moins longtemps possible, pour avoir le maximum d'effets désirables escomptés". 

Dans la vidéo que nous examinons, Corinne Lalo avance aussi que la prise de paracétamol "féminise les petits garçons", un terme qui n'est pas fondé médicalement, pointent les experts interrogées par l'AFP.

"En médecine foetale, on parle de problèmes de développement des organes génitaux donc on ne parle pas de féminisation, de masculinisation", explique Olivier Picone. "Un garçon ne va pas devenir fille parce qu'on prend du paracétamol", précise-t-il.

Même des "testicules non-descendus, on ne peut pas dire que c'est de la féminisation", estime Séverine Mazaud-Guittot. 

Il n'est pas possible de donner des chiffres exacts de la prise de paracétamol chez les femmes enceintes

Corinne Lalo affirme aussi que "les femmes françaises sont 70% à prendre du paracétamol quand elles sont enceintes alors que par exemple, les Danoises ont été mises au courant qu'elles ne doivent pas le faire, donc elles ne le font pas". 

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Une femme enceinte à Tokyo en juillet 2013

YOSHIKAZU TSUNO / AFP

 

Pour Séverine Mazaud-Guittot, il est difficile de donner des chiffres exacts sur le nombre de femmes qui prennent du paracétamol pendant leur grossesse, notamment parce que les études "manque[nt] de précision", par exemple sur le moment où le médicament est pris, ou son dosage.

"On va demander à un moment de la grossesse, parfois à la fin, parfois à l'issue du premier ou du deuxième trimestre : (...) est-ce que vous avez pris du paracétamol pendant la grossesse ? Donc, si une femme répond oui, elle va rentrer dans la catégorie 'oui'. Sauf qu'on a dans trop peu d'études qui ont été faites en épidémiologie sur la notion de dose,[...] la notion de durée, [...] et la notion de fenêtre d'exposition", regrette la chercheuse. 

Autres écueils, certains travaux comptent le nombre de prescriptions, d'autres les prises effectives, certains ont interrogé les patientes en utilisant le mot "paracétamol" (la molécule), d'autres le nom commercial (Doliprane par exemple en France), autant de facteurs qui rendent complexe l'estimation du nombre de femmes enceintes prenant du paracétamol, a fortiori les comparaisons internationales.

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