L'impact des activités humaines pas suffisamment important pour expliquer le réchauffement climatique ? C'est faux


L'impact des activités humaines pas suffisamment important pour expliquer le réchauffement climatique ? C'est faux

Publié le jeudi 4 janvier 2024 à 11:30

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Auteur(s)

Théo MARIE-COURTOIS / AFP France

Le rôle des activités humaines dans le réchauffement climatique fait l'objet d'un consensus scientifique depuis de nombreuses années. Pourtant, un article de deux universitaires norvégiens, qui affirment qu'il s'agit de variations naturelles et minimisent le rôle des émissions de CO2, circule largement sur les réseaux sociaux. Mais ce document ne respecte pas les exigences de la méthode scientifique et il est aujourd'hui bien établi que les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine sont responsables du dérèglement climatique, ont expliqué trois climatologues auprès de l'AFP.

L'effet des émissions de CO2 d'origine humaine "pas suffisamment important" pour provoquer le réchauffement climatique ?

C'est ce qu'a affirmé sur X à plusieurs reprises (comme ici et ici) l'Association des Climato-Réalistes, récoltant pour chaque publication plusieurs centaines de partages. On retrouve ce même genre d'affirmations sur Facebook et Telegram.

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Capture d'écran réalisée sur X le 14 décembre 2023

 

L'association se réfère à un article disponible sur le site de l'Institut de recherches économiques et fiscales (IREF), qui se définit comme "un think tank libéral européen". Intitulé "Le CO2 est-il la cause du réchauffement climatique ? Pas sûr du tout...", il a été publié le 6 novembre.

Selon Nicolas Lecaussin, directeur de l'IREF et auteur de l'article, un "étude" norvégienne, publiée par l'Institut norvégien de statistiques, remettrait en doute l'impact de la pollution humaine dans le réchauffement climatique. 

"Les auteurs ont rassemblé des dizaines de graphiques et de chiffres afin de répondre à la question suivante : 'Avons-nous suffisamment de preuves scientifiques pour prouver que le CO2 émis par les hommes réchauffe la Terre ?'. Leur réponse est non", résume M. Lecaussin.

"Et les experts de rappeler que notre planète a connu, dans le passé, plusieurs périodes de refroidissement et de réchauffement qui n'étaient nullement provoquées par l’Homme", ajoute-t-il.

"Le climat se réchauffe mais il existe encore des incertitudes sur les causes. Et rien ne justifie de paniquer ou de mépriser les théories qui ne seraient pas catastrophistes et qui ne mettent pas forcément l’homme en cause", conclut le directeur de l'IREF.

Ce type de propos visant à amoindrir l'impact des humains dans le dérèglement du climat est courant dans les sphères niant l'existence ou l'étendue du réchauffement climatique. L'AFP a d'ailleurs vérifié à plusieurs reprises des théories similaires comme ici et ici (lien archivés ici et ici).

"Aucune garantie" sur la qualité de l'étude

L'étude mentionnée sur le site de l'IREF a bel et bien été diffusée sur le site de l'Institut norvégien de statistiques (SSB) sous le titre "Dans quelle mesure les niveaux de température changent-ils avec les émissions de gaz à effet de serre" (lien archivé ici). Elle est signée par John K. Dagsvik et Sigmund H. Moen, respectivement économiste au SSB et ingénieur à la retraite.

Mais, "il s'agit d'un article de discussion" qui "n'est pas dans une revue sérieuse" et sans "processus rigoureux de relecture par les pairs", relevait auprès de l'AFP le 13 décembre Camille Risi, chercheuse CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique. "Il n'y a donc aucune garantie sur [s]a qualité".

La publication d'une étude dans une revue scientifique "à comité de lecture indépendant" est vue comme un bon gage de qualité bien qu'il ne s'agisse pas d'une garantie absolue.

L'Institut norvégien de statistiques, qui n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP, s'est d'ailleurs défendu dans une communication des critiques le visant (lien archivé ici). L'article "ne reflète pas le point de vue de SSB sur les causes du réchauffement climatique" et "il est courant dans les disciplines des sciences sociales de publier des notes de discussion qui n'ont pas été évaluées par des pairs afin que les chercheurs reçoivent des commentaires avant de soumettre un article pour publication dans une revue", est-il écrit.

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Capture d'écran réalisée sur le site de l'Institut norvégien de statistiques le 14 décembre 2023

 

En outre, pour Camille Risi, un point important est "la bibliographie très incomplète" de ce document. "Aucun des articles pertinents et récents sur les différents sujets ne sont cités. Il y a beaucoup d'autocitations et beaucoup de citations de documents qui ne sont pas des articles scientifiques relus par les pairs. Cela reflète le manque d'expertise des auteurs dans le domaine du climat", analyse-t-elle.

Parmi les noms qui reviennent le plus, Nicolas Scafetta et Judith Curry, dont les théories sur le climat ont été contredites à plusieurs reprises par des sites de vérification comme Skeptical Science (lien archivé ici et ici).

Thèse à rebours du consensus scientifique

Dans l'introduction de l'article, John K. Dagsvik et Sigmund H. Moen questionnent la possibilité que le réchauffement climatique soit en réalité dû à des variations "cycliques" de température. Quand bien même un réchauffement anormal serait constaté, les deux auteurs assurent qu'il est "difficile" de déterminer quelle proportion de celui-ci est dû aux émissions de CO2 liées aux activités humaines.

Le réchauffement du climat comme conséquence d'un "cycle naturel" est un thème récurrent de désinformation et a déjà fait l'objet de plusieurs articles de vérification de l'AFP comme ici et ici (lien archivés ici et ici).

"A présent, il semble y avoir un large consensus au sein de beaucoup de chercheurs sur le climat que le réchauffement des températures ces dernières décennies est systématique (et partiellement d'origine humaine). C'est en tout cas l'impression véhiculée par les médias de masse", décrivent-ils. Mais, selon eux, il serait "presque impossible de comprendre la base scientifique d'un tel consensus".

Des propos contredits par Roland Séférian, chercheur Météo-France au Centre national de recherches météorologiques (CNRM), interrogé par l'AFP le 12 décembre.

"Ce ne sont pas les médias qui font la science, mais les scientifiques en écrivant des articles évalués par les pairs, corroborés par des observations, la théorie et des résultats de modèles. Tout cela atterri dans des bases de données transparentes et accessibles à tout le monde, pas seulement les médias. Ce n'est pas parce que les rapport du Giec et les messages sur le changement climatique ont bonne presse aujourd'hui que le consensus scientifique émerge de l'interaction avec les médias", souligne le spécialiste du climat.

Naomi Oreskes, professeure d'histoire des sciences à Harvard, a été la première à quantifier le consensus sur l'origine anthropique du réchauffement climatique, avec en 2004 une étude sur près plus de 900 articles scientifiques publiés entre 1993 et 2003 (lien archivé ici). "Fait remarquable, aucun des articles n'exprime un désaccord" avec cette origine humaine, y concluait-elle (lien archivé ici).

De nombreux autres travaux ont corroboré ces conclusions, dont la méta-analyse de John Cook (lien archivés ici et ici), chercheur à l'université Monash en Australie, qui en 2016 concluait que 90 à 100% des scientifiques s’accordent sur cette origine, ou une étude de 2013 plaçant le consensus à 97% sur la base de près de 12.000 articles publiés entre 1991 et 2011 (lien archivé ici).

Les rapports publiés successivement par le Groupement d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) sont parallèlement devenus la référence sur le sujet (lien archivé ici). Ils font la synthèse régulière des connaissances de la communauté scientifique internationale en analysant les études publiées. Les anticipations sont affinées au fil des rapports, à mesure, aussi, que les outils d’étude du climat se perfectionnent.

Le Giec en est à son sixième rapport, publié en 2021 (lien archivé ici). La publication du seul groupe I - sur trois existants -, qui a travaillé sur plus de 14.000 études, souligne d’emblée le caractère "sans équivoque" du réchauffement provoqué par "les activités humaines" (lien archivé ici).

La Terre s’était ainsi réchauffée de 1,1°C en 2020 par rapport à la période 1850-1900. Une toute petite partie était liée à la variabilité naturelle du climat (entre -0,23 et +0,23°C), le reste étant provoqué par les activités humaines (page 517 du rapport du groupe I). Ce réchauffement global devrait avoir atteint 1,5°C dès le début des années 2030.

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Graphiques sur l'évolution des températures depuis 1850 et les simulations incluant et excluant l'influence humaine, et sur la concentration de CO2 dans l'atmosphère au cours des 400 000 dernières années ( AFP / Eléonore HUGHES, Jean-Michel CORNU, Simon MALFATTO, Jonathan WALTER)

 

"Les auteurs de l'article remettent en cause la réalité du réchauffement climatique sous prétexte qu'il y a des variations naturelles. Ce raisonnement n'est pas valide", assure Camille Risi. "Les variations de températures mesurées reflètent à la fois des variations naturelles à différentes échelles de temps, et une augmentation forcée, plus lente mais régulière, liée aux activités humaines, qu'on appelle le réchauffement climatique."

"Actuellement, cette évolution dépend principalement de la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère", explique la chercheuse.

Derrière le terme "activités humaines", se cache "la chaleur rayonnante absorbée par le CO2 produit en brûlant des combustibles à base de carbone [comme] le charbon, le pétrole et le gaz", rappelait le 13 décembre à l'AFP Scott Denning, climatologue et professeur de sciences atmosphériques à la Colorado State University.

Rôle du soleil

Pour John K. Dagsvik et Sigmund H. Moen, une des raisons expliquant le réchauffement climatique (et son aspect cyclique) se trouverait dans l'activité solaire.

"Pour pouvoir dire que le soleil est la cause du réchauffement climatique, il faudrait commencer par montrer une variation de l'activité du soleil. Or on ne voit pas une telle variation", expliquait à l'AFP en juin 2022 François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (lien archivé ici),  déjà débunké ...

"Tous les articles scientifiques dans des revues sérieuses où la relecture par les pairs est rigoureuse montre que [le] rôle [du soleil dans le réchauffement climatique] est négligeable", pointe Camille Risi.

Comme on peut notamment le voir sur ce graphique du chapitre 7 du dernier rapport du Giec, la contribution du soleil au réchauffement climatique - matérialisée par la ligne orangée près des pointillés - est pratiquement nulle (lien archivé ici).

L'article de discussion "identifie correctement le rayonnement solaire entrant comme la source essentielle de gain de chaleur, mais omet complètement d'identifier le terme complémentaire de perte de chaleur : le rayonnement infrarouge sortant émis par la Terre", assure Scott Denning.

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Capture d'écran réalisée sur le site du Giec le 14 décembre 2023

 

Méthodologie contestée

Au-delà des résultats obtenus, c'est aussi la méthode utilisée par les deux auteurs norvégiens qui est critiquée par leurs homologues du monde entier.

John K. Dagsvik et Sigmund H. Moen se sont appuyés sur des relevés météorologiques de 74 villes réparties dans le monde entier. L'article de discussion ne précise pas si plusieurs stations ont été utilisées pour chacun de ces points de collecte. Mais dans une réponse adressée au professeur en changement climatique Edgar Hertwich, M. Dagsvik assure qu'utiliser "plus de stations météorologiques ne rendrait pas l'analyse plus ou moins précise" (lien archivé ici).

"Les véritables évaluations du réchauffement moderne ne sont pas effectuées en sélectionnant quelques douzaines de relevés de température locaux, mais plutôt en rassemblant des dizaines de milliers de ces relevés et en tenant compte minutieusement des variations locales, des changements d'instrumentation, de l'urbanisation, etc", assure Scott Denning.

De plus, les données utilisées par les deux auteurs s'appuient "uniquement" sur les températures terrestres, rejetant toute mesure en mer. "Ils excluent tout de même des mesures qui représentent 71% de la surface du globe", rappelle Roland Séférian.

John K. Dagsvik et Sigmund H. Moen "font preuve d'un manque de connaissances et révèlent, entre autres, qu'ils ne sont pas à la page puisqu'ils ont utilisé une ancienne courbe de température (HadCRUT3) que nous avons abandonnée depuis longtemps. Les courbes plus récentes (par exemple HadCRUT5, qui est également plus facilement disponible) sont basées sur une base de données plus étendue et concordent mieux avec d'autres sources de données (par exemple les mesures par satellite et les prévisions météorologiques archivées)", a également relevé Rasmus Benestad, climatologue et cofondateur du site realclimate.org (lien archivé ici).

Vous pouvez retrouver l'ensemble des articles de vérification de l'AFP consacrés au climat sur cette page.

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