La Minusma détruit une partie de ses équipements avant son retrait total du Mali ? C'est vrai, mais attention à cette image décontextualisée
Publié le mercredi 27 décembre 2023 à 12:23
(Michele CATTANI / AFP)
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Monique NGO MAYAG / AFP Sénégal
Chassée par la junte au pouvoir, la mission de l'ONU au Mali (Minusma) doit avoir quitté ce pays en crise où elle est déployée depuis dix ans d'ici le 31 décembre. Outre le retrait précipité de ses troupes, l'ONU a entrepris ces derniers mois la destruction d'une partie des équipements militaires utilisés dans le cadre de cette mission de maintien de la paix. Un acte de "trahison" et de "lâcheté", accusent des dizaines d'internautes ouest-africains qui s'indignent que ces blindés, munitions et armes ne soient transférés à l'armée malienne dans sa lutte contre les groupes armés.
Contactée par l'AFP, la Minusma explique qu'elle devait initialement rendre son matériel aux différents pays contributeurs de sa force, propriétaires des équipements armés, mais qu'une partie n'a pu être rétrocédée en raison de l'insécurité et de restrictions logistiques.
Elle précise que le matériel restant est rendu "inopérant" pour empêcher qu'il ne soit "utilisé par des tiers ou nuire aux populations civiles".Des internautes ouest-africains ont multiplié des posts sur Facebook et X (ex-Twitter) début novembre accusant la mission de l’ONU au Mali de détruire inutilement selon eux (publications archivées ici et ici), des équipements militaires. Bon nombre de ces publications sont associées à une photo d’un blindé incendié, supposé appartenir à l’ONU.
"La Minusma met hors service des équipements, des véhicules, des munitions ou des générateurs, faute de pouvoir les emporter !", croit savoir un internaute. "Vous quittez un Pays en guerre que vous étiez venus soutenir, vous détruisez matériels en partant.", poursuit-il.
Bien que la Minusma ait effectivement détruit une partie de son matériel, la photographie utilisée sur les réseaux sociaux pour soutenir cette information est décontextualisée. Ce cliché montre en réalité un blindé d’un convoi de la Minusma, attaqué fin octobre alors qu’il était en route vers le Sénégal voisin.
Pour le savoir, nous avons procédé à une recherche d’image inversée du cliché viral. Nous l’avons ainsi retrouvé dans une publication du 27 octobre 2023 d’un journaliste malien, Issiaka Tamboura, sur Facebook (archivée ici). Dans un autre post (archivé ici) publié une heure plus tôt, ce dernier alerte sur "une attaque armée contre un convoi de véhicules transportant des engins de la Minusma à destination de Dakar". Il affirme que ledit convoi a été intercepté entre les localités de Diema et Didieni, dans l’ouest du Mali.
Contacté par l’AFP, M. Tamboura affirme qu'il a publié cette information et cette image sur la base du témoignage et d'une vidéo transmis par l'une de ses sources présentes sur les lieux de l’incident. Il n'a pas souhaité dévoiler l'identité de son informateur pour le protéger.
AFP Factuel a contacté le service de presse de la Minusma, qui n'a pu nous confirmer cette attaque sur la base de cette photographie. Cependant, sa porte-parole Fatoumata Sinkoun Kaba, a tenu à préciser que "lorsque la Minusma procède à des destructions d'équipement, elle le fait soit dans un de ses camps, soit sur un site dédié désignés par l'armée malienne".
"La Minusma ne détruit pas ses équipements n'importe où, et encore moins sur le bord de la route", comme sur cette photographie, a-t-elle précisé.
Nous avons ensuite contacté le porte-parole de l’armée sénégalaise, le colonel Moussa Coulibaly, qui déclare plus formellement à l’AFP que l'image qui circule témoigne bien d'une attaque. "L'incident évoqué a bien eu lieu. Toutefois, il ne s'agit pas de matériel ou de convoi sénégalais", a-t-il répondu à l’AFP le 7 décembre 2023. "Il s'agit bien d'un convoi d'un autre pays (contributeur de la Minsuma, ndlr) qui devait effectivement transiter par le Sénégal", a-t-il révélé.
Une information corroborée par Menastream, un bureau d'études indépendant spécialisé sur la sécurité et les conflits notamment au Sahel. Contactée le 20 décembre, son porte-parole affirme à l’AFP que cette image montre effectivement un véhicule incendié le 27 octobre lors d’une attaque entre les localités de Didieni et Diema, revendiquée par un groupe jihadiste affilié à Al-Qaïda, Le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, ou Jnim selon l'acronyme arabe).
"Deux véhicules blindés ont été incendiés et une remorque à plate-forme gravement endommagée. C’était un convoi logistique qui se dirigeait vers le Sénégal dans le cadre du plan de retrait de la mission de maintien de la paix de la MINUSMA.", détaille Menastream.
Le GSIM a effectivement revendiqué cette attaque du 27 octobre, le groupe affirmant que ces combattants ont tendu une embuscade à des camions à plate-forme transportant des blindés de la Minusma, provoquant un incendie, a rapporté la plate-forme de propagande Al-Zallaqa selon le site internet de SITE, une ONG américaine spécialisée dans le suivi des groupes radicaux.
Le blindé incendié sur la route entre Diema et Didieni le 27 octobre n'a donc pas été détruit par la Minusma elle-même. En revanche, la mission de l'ONU a bien commencé à mettre hors service une partie de ses équipements, au moment où elle est sommée de quitter définitivement le territoire malien d’ici au 31 décembre.
Défiance réciproque
La junte, au pouvoir depuis 2020, a en effet réclamé le retrait de la Minusma en juin, proclamant "l'échec" de sa mission entamée dix ans plus tôt et dénonçant "l’instrumentalisation" qu'elle aurait faite de la question des droits humains. Déployée depuis 2013 au Mali, la force onusienne avait pour mission de stabiliser ce pays en proie au jihadisme et à une profonde crise multidimensionnelle.
La Minusma souligne dans une vidéo de 2’18 secondes publiée sur ses réseaux sociaux Facebook et X qu’elle ne "dispose pas d’armes de combat" (post archivé ici). Les équipements utilisés dans le cadre de sa mission au Mali appartiennent aux pays contributeurs. Pour la force militaire par exemple, il y avait 53 contingents impliqués parmi lesquels ceux de l'Egypte, la Côte d’Ivoire, l'Allemagne ou encore le Sénégal (lien archivé ici).
Mais selon elle, des contraintes logistiques et sécuritaires "n’ont pas permis de renvoyer tout ce matériel dans les pays d’origine". Il a dont été "détruit ou rendu inopérant afin qu’il ne puisse pas être utilisé par des tiers ou des populations civiles".
#RetraitDeLaMINUSMA. Découvrez comment certains équipements sont détruits pour qu'ils ne constituent pas de problèmes de sécurité pour les communautés. Information vérifiée à partager sans modération. pic.twitter.com/GG4IZkrUB5
— MINUSMA (@UN_MINUSMA) November 14, 2023
https://twitter.com/UN_MINUSMA/status/1724389077749731507?ref_src=twsrc%5Etfw
Dans sa vidéo explicative, on voit des hommes qui s’activent à déplacer des caisses en bois. D’autres plans montrent des techniciens en train de démonter des blindés de l’ONU à coups de machines électriques. Dans cette même séquence, des dizaines de casques de couleur bleue sont écrasés par les roues d’un véhicule en marche. Un personnel militaire déverse ensuite des munitions dans une sorte de fût qu’on verra plus tard en flammes. Tout ce procédé a lieu, apprend-on, sur des sites désignés par les autorités maliennes.
Dans une note publiée le 23 octobre (archivée ici), la Minusma donnait davantage de précisions sur les contraintes logistiques et sécuritaires qui ont conduit à la destruction d’équipements.
Le retrait des troupes de la Minusma a débuté dans un contexte très tendu. Le nord du Mali est le théâtre depuis fin août d’une reprise des hostilités de la part des groupes armés séparatistes à dominante touareg et d’une intensification des attaques jihadistes contre l’armée malienne (dépêche archivée ici).
La Minusma a ainsi signalé (dépêche archivée ici) des attaques armées sur ses contingents acheminés vers les frontières maliennes et d’autres actes hostiles, qui l’ont notamment contrainte à accélérer son retrait et à détruire ou mettre hors service une partie de ses équipements.
Tensions avec la junte
En outre, elle accusait en filigrane la junte d'entraver l’évacuation d’une partie de son matériel hors du Mali.
Dans sa note, elle disait déplorer le fait que 200 de ses camions soient à ce moment-là, retenus à Gao depuis un mois, "en raison des restrictions de déplacement". Des camions dont l’objectif était de "récupérer et transporter l’équipement depuis les trois bases de la Minusma" dans le nord Mali.
Elle enjoignait aussi les autorités maliennes "à apporter toute la coopération nécessaire pour faciliter" son retrait.
De son côté, l'armée malienne accusait la Minusma de laisser le champ libre aux "terroristes" (dépêche archivée ici). L'armée malienne a déclaré le 8 novembre avoir frappé deux engins blindés abandonnés selon elle par la mission de l'ONU dans son retrait (dépêche archivée ici) et tombés entre les mains de ce qu'elle a présenté comme des "terroristes" dans la ville stratégique de Kidal (nord).
Dans sa vidéo explicative, la Minusma affirmait de son côté ne pas "abandonner de stocks d'armes et encore moins de carburant" et précise, au contraire, que le "processus de destruction est guidée par le souci des Nations Unies de ne pas nuire aux populations civiles, ni à la paix, ni à la sécurité du pays".
La porte-parole de la Minusma, Fatoumata Sinkoun Kaba, l’a réitéré à l’AFP : "On ne peut pas laisser ce matériel aux mains des tiers pour être utilisés comme armes de guerre", a-t-elle déclaré.
Elle explique que le carburant restant par exemple, a été "contaminé" et rendu inexploitable. Divers outils comme des ordinateurs, les groupes électrogènes, tour de contrôle etc, seront en revanche transmis à d’autres missions de maintien de la paix, a-t-on appris.
Ces reproches respectifs, voire accusations, reflètent le climat d'extrême défiance entre la Minusma et la junte.
La présence de la mission de l'ONU est devenue quasiment intenable après la prise du pouvoir par les militaires en 2020. La junte a opéré une réorientation stratégique, rompu la vieille alliance avec l'ancienne puissance dominante française et s'est tournée militairement et politiquement vers la Russie.
La question du respect des droits humains, dont la surveillance fait partie du mandat de la Minusma, nourrit particulièrement les tensions.
Tuerie de Moura
La querelle culmine avec la publication en mai 2023 d'un rapport accablant de la Minusma (archivé ici) accusant l'armée malienne et des combattants "étrangers" d'avoir exécuté au moins 500 personnes lors d'une opération présumée antijihadiste à Moura en mars 2022.
Dans la foulée, la junte dénonce non seulement un "rapport biaisé, reposant sur un récit fictif", mais annonce l'ouverture d'une enquête contre la mission d’enquête pour "espionnage, atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat" et "complot militaire" (archivé ici).
D’après Kalilou Sidibé, analyste sécurité et coordonnateur au Mali, de l’ONG African Security Sector Network cette méfiance réciproque explique aussi le choix de la Minusma de détruire son matériel. Pour lui, "la présence des éléments russes dans les rangs des forces maliennes n’est pas de nature à rassurer sur leur utilisation contre les civils."
En effet, le gouvernement de transition malien dit s'être adjoint les services d'"instructeurs" dans le cadre d'une coopération bilatérale avec la Russie. Elle a toujours nié la présence de la milice russe Wagner, bien que sa collaboration avec le groupe de sécurité russe soit communément établie par d’autres acteurs travaillant au Mali.https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/countries/mali/20230512-Moura-Report.pdf
Dans une publication du 12 décembre sur X (archivée ici) la Minusma se dit "déterminée" à achever son retrait d’ici le 31 décembre. Le 15 décembre, elle déclarait avoir déjà évacué 10.973 membres de son personnel (post archivé ici). Il n’en reste plus un grand nombre étant donné que la Mission comptait quelque 11.600 soldats et 1.500 policiers présents dans le pays.
Certaines organisations à l’instar du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), disent s’inquiéter du départ de la Minusma. Dans une analyse publiée en juin 2023 (archivée ici), ICG note par exemple que certains équipements de la mission onusienne permettaient de sécuriser le transport d’autres travailleurs humanitaires investis dans le pays, où des centaines de milliers de personnes ont été déplacées par les violences.
L'ONU estime que 8,8 millions de personnes, soit 42% de la population totale, ont eu besoin d'une aide humanitaire en 2023.
Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article
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