Le C02, "mauvais combat" ? Attention à ces raccourcis sur l'effet fertilisant du CO2


Le C02, "mauvais combat" ? Attention à ces raccourcis sur l'effet fertilisant du CO2

Publié le jeudi 22 juin 2023 à 12:50

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La forêt de la "colline blanche", située en bordure de la ville équatorienne de Guayaquil, le 18 avril 2023

(MARCOS PIN / AFP)

Auteur(s)

AFP France

Le CO2 est l'un des principaux gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique, une réalité qui fait l'objet d'un large consensus scientifique mais qui est régulièrement remise en cause dans les sphères climato-sceptiques. Dans un entretien à France Soir diffusé le 12 juin 2023, le président de l'Association des climato-réalistes affirme que la "biosphère a largement profité de la hausse du CO2 dans l'atmosphère et que ce sera le cas encore longtemps", des propos largement relayés ensuite sur les réseaux sociaux pour minimiser l'impact négatif du dioxyde de carbone.

Mais attention : si l'effet fertilisant du C02 est documenté depuis longtemps et a fait l'objet de nombreuses études scientifiques, son effet positif sur les plantes est toutefois en trompe l'oeil et des projections montrent d'ores et déjà un ralentissement du verdissement de la planète, soulignent des spécialistes interrogés par l'AFP.

"Le CO2, un mauvais combat" ?"Arnaque climatique" ? : plusieurs publications, dont certaines sont partagées plusieurs centaines de fois sur les réseaux sociaux depuis début juin 2023 (ici, ici ou encore ici) reprennent l'antienne selon laquelle la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre serait néfaste compte tenu des effets fertilisants avérés du dioxyde de carbone sur la végétation. 

Ces publications en veulent pour preuve les propos tenus par Benoît Rittaud, un chercheur français et président de l’Association des climato-réalistes (lien archivé), lors d'une interview accordée à France Soir et diffusée le 12 juin 2023. 

"Le CO2 n'est pas un polluant, ça c'est très important de le comprendre (...) Le principal effet vraiment mesurable et incontestable de cette hausse c'est l'augmentation considérable de la surface foliaire à la surface de la terre, c'est-à-dire les plantes", souligne Benoit Rittaud dans cet entretien. "Le CO2 non seulement ce n'est pas un polluant mais c'est le nutriment premier des plantes. Plus il y a du CO2 plus les plantes peuvent se nourrir, c'est la photosynthèse, c'est très connu. Ça se mesure à l'échelle globale, les rendements agricoles qui augmentent considérablement, on est partis pour battre un record de production agricole l'an prochain et ça a un effet sur la surface foliaire". 

Il cite ensuite une étude qui serait, selon lui, parue en 2017 dans la revue Nature et "dont les auteurs ont pris les photo-satellites des années 80 de la Terre et des photos aujourd'hui et ont comparé pour voir si c'était plus aride ou plus vert." 

"Ils ont constaté que c'était globalement plus vert un peu partout sur la planète et qu'on a gagné l'équivalent de 18 millions de km2 de surface verte en 40 ans, c'est deux fois la superficie du Sahara. Ils ajoutent - les causes sont multiples - mais c'est 70% qu'ils attribuent au CO2", ajoute-t-il. "Personne n'est au courant de cette étude là, qui est aussi une étude rassurante, la biosphère a largement profité à la hausse du CO2, et ce sera le cas encore longtemps. Avant qu'il y ait vraiment trop de CO2 pour poser des problèmes à la biosphère il va falloir y aller". 

Attention : si l'effet fertilisant du CO2 observé ces dernières décennies sur le climat est une donnée incontestable et connue de longue date, rien ne permet de dire à ce stade que cet effet positif perdura dans le futur, mettent en garde des spécialistes interrogés par l'AFP, qui citent notamment des études révélant d'ores et déjà un ralentissement du verdissement. Le rôle majeur du CO2 d'origine humaine dans le changement climatique a été démontré et ses effets néfastes sont déjà visibles. 

Revenons sur l'étude citée par Benoit Rittaud. Une recherche sur le site de la revue Nature nous mène à une étude - "Greening of the Earth and its drivers" publiée le 25 avril 2016. Menée par une équipe d'une trentaine de scientifiques issus de 24 centres de recherche répartis dans huit pays, elle a exploité les données de trois satellites pour déterminer l'évolution, entre 1982 et 2015, de l'indice de surface foliaire - la densité de feuillage par mètre carré.

L'analyse de ces données a montré "une augmentation persistante et généralisée" du verdissement sur 25 à 50% de "la surface végétalisée mondiale". Pour expliquer cette tendance au verdissement, des simulations factorielles ont été menées et ont établi un lien avec les effets de fertilisation du CO2 (70%), les dépôts d'azote (9%), le changement climatique (8%) et des changements d'occupation du sol (4%).

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Résumé de l'étude publiée en avril 2016 portant sur le verdissement de la planète, capture d'écran faite le 20 juin 2023

 

Le chiffre de 70% évoqué par Benoit Rittaud provient donc bien de cette étude, relève Nicolas Viovy, (lien archivé), l’un des auteurs de l'article et chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), contacté par l'AFP le 20 juin 2023. "On a fait des expériences factorielles, ce qui en est ressorti c'est que 70% de l'augmentation de l'indice foliaire était lié à l'effet de fertilisation du CO2. On a constaté cette tendance particulièrement dans les hautes altitudes, dans les zones boréales ou dans les zones tempérées". 

Quant aux 18 millions de km2 de verdissement qui auraient été gagnés en 40 ans comme évoqué dans l'interview, une rapide recherche sur internet permet de retrouver ce chiffre, cité lors de la sortie de l'étude en 2016 par un des co-auteurs,  Zaichun Zhu, de l’Université de Pékin. "Le verdissement au cours des 33 dernières années rapporté dans cette étude équivaut à l'ajout d'un continent vert d'environ deux fois la taille des États-Unis continentaux (18 millions de km2), et a la capacité de changer fondamentalement le cycle de l'eau et du carbone dans le système climatique", déclarait-il notamment (lien archivé).

Benoit Rittaud reprend donc les 18 millions de km2 mais sur 40 ans - au lieu des 33 dernières années - et compare cette surface à "deux fois la superficie du Sahara". Cette dernière est de 8,6 millions de km2 

Pour Nicolas Viovy, cette comparaison est "trompeuse" dans le sens où elle laisse entendre une forme de compensation. "On augmente la densité de la végétation là où elle existe mais ça ne veut pas dire qu’on remplace des déserts. Globalement c'est une densité de la végétation qui a augmenté mais pas du tout une surface de végétation qui aurait augmenté de 18 millions. C’est très différent".

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Capture d'écran de l'étude de 2016 faite le 20 juin 2023

 

Le CO2 est un gaz dit "naturel" participant entre autres au fonctionnement de notre organisme. Il n'est pas considéré comme un polluant et n'est pas dangereux en tant que tel, mais lorsque sa concentration dans l'atmosphère est élevée, il contribue au réchauffement de la planète au même titre que le méthane ou le protoxyde d'azote qui sont, eux aussi, des gaz à effet de serre (GES). 

L'utilisation par les plantes du CO2 pour produire des glucides et de l'oxygène par le biais de la photosynthèse est une réalité scientifique connue depuis longtemps. Grâce à ce processus, les plantes fixent le carbone de l'air dans leurs feuilles, leurs tiges et leurs racines, créant ainsi des puits de carbone naturels où le carbone est stocké. L'augmentation des niveaux de CO2 dans l'atmosphère peut donc bien, dans une certaine mesure, stimuler la croissance des plantes.

Ce phénomène est connu sous le nom d'effet de fertilisation par le carbone: avec plus de dioxyde de carbone disponible, les plantes peuvent pousser plus rapidement. L'effet a été prouvé dans de nombreuses expériences et est en partie utilisé dans la culture de légumes en gazant les serres avec davantage de dioxyde de carbone pour augmenter les rendements.

Le CO2 peut donc bien avoir un effet positif sur les plantes. Mais cet effet est en trompe l'oeil et se révèle être bien plus complexe que ne le laissent entendre Benoit Rittaud et les publications sur les réseaux sociaux. Ces derniers ne précisent en effet pas que ce effet est variable, limité et conditionné à certains facteurs.

"L’effet de fertilisation du CO2 est un fait incontestable, qui est bien connu, mais il y a quand même énormément d’incertitudes sur l’amplitude de ce phénomène, notamment sur le fait que sur le long terme les plantes utilisent moins bien le CO2 que jusqu'à présent", note Nicolas Viovy. "Et il y a de grandes différences, des plantes qui réagissent, d’autres qui ne réagissent pas."

"L'effet de fertilisation était très clair parce qu'on n'avait pas un effet climatique suffisamment important, là l’effet était plutôt bénéfique mais  au fur et à mesure que l'effet climatique va devenir de plus en plus conséquent, ça change complètement la donne", ajoute-t-il. 

"Le CO2 est important pour la photosynthèse et augmente la productivité des plantes s'il y a suffisamment d'eau, de nutriments, etc", abonde Victor Brovkin, co-auteur d'une étude (lien archivé) publiée le 11 février 2019 dans la revue Nature Sustainability et qui fait état d'une hausse de 5% des surfaces de verdure entre 2000 et 2017, notamment en Inde et en Chine. "Mais plus d'émissions anthropiques de CO2, cela veut dire également plus de réchauffement, ce qui provoque de nombreuses conséquences indésirables, notamment les vagues de chaleur, l'élévation du niveau de la mer, les sécheresses, les changements d'écosystème, etc."

"Et cela veut également dire que du CO2 supplémentaire restera dans l'atmosphère pendant de nombreux siècles (...) Cela se produit aussi trop vite, du jamais vu dans l'histoire géologique récente, l'écosystème a donc peu de temps pour s'adapter", ajoute le chercheur dans un courriel envoyé à l'AFP le 21 juin 2023.

En 2019, il avait émis également des réserves sur les "nouvelles surfaces vertes" provenant des champs cultivés, comme c'est le cas en Inde. "Si le reboisement comme celui observé sur la Grande Muraille Verte ou dans les pays d'Europe de l'Est augmente le stockage de CO2, il n'en n'est pas de même pour les champs cultivés, dont le CO2 qu'ils absorbent est relâché rapidement dans l'atmosphère", avait-il expliqué (lien archivé).

En février 2022, Eckhard George, professeur en physiologie nutritionnelle des cultures à l' Université Humboldt de Berlin, et expert en métabolisme des plantes, pointait lui aussi déjà, auprès de l'AFP, les limites du caractère positif de l'effet fertilisant du CO2.

"Il est exact que la surface foliaire augmente lorsque l'apport de CO2 augmente. Mais cela ne se produit que si la croissance n'est pas limitée par d'autres facteurs, tels que le stress hydrique, le manque de nutriments, les fluctuations de température, le manque ou l'excès de soleil ou l'étanchéité de la surface", relevait-il alors.

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La forêt de la Massane, dans le sud de la France, le 29 juillet 2021

RAYMOND ROIG / AFP

 

Plus globalement, se concentrer sur "l'effet à court terme de l'amélioration de la croissance des plantes grâce à une concentration plus élevée de CO2", c'est mettre de côté un élément central, résumait pour sa part le 13 décembre 2022 Ranga Myneni, professeur au département de la terre et de l'environnement de l'Université de Boston et co-auteur de l'étude de 2016.

"Le CO2 est un gaz à effet de serre, il provoque un changement climatique dont les effets incluent le réchauffement climatique, la fonte des glaces, l'élévation du niveau de la mer, etc.", rappelait-il. Des études plus récentes ont par ailleurs révélé "un ralentissement du verdissement et un renforcement des tendances au brunissement, en particulier au cours des deux dernières décennies", ajoutait-il.

C'est le cas de l'étude publiée en 2020 dans la revue "Science" qui conclut, à l'aide de données satellitaires, que l'effet de fertilisation par le CO2 a diminué à l'échelle mondiale entre 1982 et 2015, ce qui s'explique par exemple par le manque de nutriments et la diminution de la disponibilité de l'eau du sol. Une étude de 2021 publiée dans "Biogeosciences" constate également, à l'aide de données satellites, que l'augmentation de la surface foliaire mondiale ralentit.

L'origine humaine du changement climatique et ses effets sont régulièrement remis en question sur les réseaux sociaux. L'AFP a déjà démystifié des affirmations erronées prétendant ce n'est pas l'activité humaine mais le soleil ou les modifications de l'orbite terrestre qui sont responsables du réchauffement climatique ou encore que les émissions de CO2 ne seraient pas responsables du changement climatique.

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