Les chutes de neiges récentes en Europe ne remettent pas en cause le changement climatique


Les chutes de neiges récentes en Europe ne remettent pas en cause le changement climatique

Publié le vendredi 15 décembre 2023 à 11:00

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Claire-Line NASS / AFP France

Le réchauffement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine entraîne de plus en plus de phénomènes météorologiques extrêmes. Pourtant, début décembre, des internautes se sont étonnés de voir autant de précipitations neigeuses dans des pays européens avant même le début de l'hiver, laissant entendre que cela montre que le réchauffement climatique n'existe pas. Mais ce raisonnement est faux et repose sur la confusion entre météo et climat. Un phénomène météorologique -par définition de court terme- ne peut à lui seul remettre en cause le réchauffement du climat à long terme, comme l'ont expliqué de nombreux climatologues à l'AFP. En outre, les premières analyses des chercheurs tendent à indiquer que la tempête de neige qui a causé des précipitations importantes début décembre en Europe pourrait elle-même être l'une des conséquences du changement du climat, qui mène à des épisodes météorologiques "extrêmes" plus nombreux.

"60 % de l'Europe sont recouverts de neige. Et on n'est pas en hiver....", indique un post de Silvano Trotta, qui relaierégulièrement des publications véhiculant des propos trompeurs, notamment sur le changement climatique ou son origine humaine, partagé plus de 1000 fois sur X depuis le 3 décembre. 

De nombreux commentaires sous la publication, illustrée par une carte, sous-entendent avec ironie que ces données démontreraient que le réchauffement climatique est une invention.

D'autres appellent à l'inverse -et à juste titre- à ne pas "confondre météo et climat" en extrapolant un événement météorologique pour en tirer des conclusions trompeuses sur le climat, ou rappellent que la neige en décembre dans certains pays d'Europe n'a rien de complètement exceptionnel.

Des publications semblables ont été partagées sur des blogs (ici ou ), sur Facebook et son équivalent russe VKontakte, et ont totalisé près de 100.000 vues sur plusieurs chaînes Telegram (comme celle-ci ou celle-là).

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Capture d'écran d'une publication de blog, prise le 12/12/2023

 

La carte avec une légende similaire a été relayée à l'origine en anglais, récoltant plus de 7.000 partages sur X.

Des affirmations trompeuses récurrentes

Ce n'est pas la première fois que des publications remettent en cause l'existence du changement climatique en prenant pour exemple des événements météorologiques ponctuels : à chaque événement pluvieux ou neigeux, des internautes y voient l'illustration d'un "mensonge" sur le réchauffement du climat. 

Comme expliqué dans cette fiche récapitulative de l'AFP, ces assertions sont trompeuses : elles font l'amalgame entre des phénomènes de court terme, qui relèvent de la météo, et de plus long terme, provoqués par l'évolution du climat.

La météo, "c'est le temps qu'il fait à un moment et un endroit donnés", et qui peut changer "d'une heure ou d'un jour à l'autre", et ces prévisions météo "ne donnent pas de prévisions exactes au-delà d'une semaine environ", comme détaillé sur une page dédiée, créée par plusieurs spécialistes du climat de l'Institut des sciences de l'Univers du CNRS (archivée ici).

L'étude du climat recouvre, elle, toutes les variables atmosphériques qui varient sur le long terme. En les étudiant, on peut déterminer des "probabilités de changements à long terme", une moyenne climatique, mais "pas de prévisions détaillées au jour le jour".

C'est pourquoi "même si cette moyenne est de plus en plus chaude, cela n'empêche en rien d'avoir parfois des hivers plus froids que la moyenne des événements extrêmes".

Ainsi, "si vous constatez une baisse de 5°C dans la journée, rien de grave. Mais une baisse de 5°C du climat mène à un tout autre monde", illustrent les climatologues dans la fiche du CNRS.

"Même si notre climat se réchauffe, des variations météorologiques, y compris des vagues de froid et de neige, se produiront toujours. Le changement climatique n'élimine pas la variabilité naturelle des conditions météorologiques et certaines régions peuvent connaître des conditions plus froides que la moyenne en raison de facteurs tels que les schémas de circulation atmosphérique ou les influences climatiques régionales. Il est parfaitement plausible que certaines régions soient encore couvertes de neige, et il est indéniable que le changement climatique est en cours et que l'année 2023 a été marquée par une chaleur exceptionnelle à l'échelle mondiale", explicite aussi un porte-parole de Copernicus (lien archivé ici), le service européen qui analyse des données liées à l'état de la Terre, à l'AFP le 13 décembre.

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Anomalies de température moyenne mondiale mensuelle, année par année, selon les données de Copernicus C3S ECMWF, de 1940 à novembre 2023

AFP

 

"Une couverture neigeuse à 60 % du continent européen n'est pas, à mon sens, si inhabituelle à cette époque de l'année. Ce n'est certainement pas quelque chose que l'on voit tous les ans, mais rien d'extraordinaire", illustre le 13 décembre auprès de l'AFP David Robinson (lien archivé ici), climatologue professeur émérite à l'université américaine Rutgers et directeur du Rutgers Global Snow Lab (lien archivé ici), qui étudie les données de couverture neigeuse.

 "Il est faux de penser que ces données de début décembre 2023 réfuteraient d'une manière ou d'une autre le réchauffement, documenté en Europe et sur le globe en général", élabore-t-il, rappelant aussi qu'à l'inverse, "un mois de décembre sans neige ne prouverait pas qu'il y ait un réchauffement en cours" car "il s'agit d'une ou deux semaines sur une année... En d'autres termes, d'un événement météorologique".

Fin novembre 2022 déjà, des publications trompeuses avaient prétendu que l'importante "couverture de neige dans l'hémisphère nord" aurait signifié que les émissions de CO2 diminuaient. L'AFP leur avait consacré un article de vérification

Interrogé par l'AFP à ce moment-là, Florian Tolle, glaciologue et maître de conférence en géographie au laboratoire ThéMA à l'université de Franche-Comté (Besançon) expliquait qu'il "n'y a pas de lien de causalité direct entre un évènement météorologique ponctuel (comme la couverture neigeuse mesurée en ce début de saison froide), même s'il perdure jusqu'au printemps, et les tendances de fond des évolutions climatiques, qui elles s'inscrivent à l'échelle pluriannuelle".

"L'enneigement est très variable d'une année sur l'autre. Une année très enneigée ne signifie pas que le réchauffement climatique s'est arrêté : on peut très bien avoir une année très enneigée dans un contexte de réchauffement climatique. Mais on sait qu'en moyenne, selon les tendances observées sur plusieurs dizaines d'années, il y a une baisse de l'enneigement moyen – ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il y a une baisse chaque année", développait Marie Dumont, directrice du Centre d'études de la neige (Météo-France, CNRS, CNRM, Grenoble), dans ce même article.

D'où vient la carte diffusée sur les réseaux sociaux ?

Une recherche d'image inversée (dont le principe est détaillé dans cette vidéo) nous a permis de retrouver la carte diffusée sur les réseaux sociaux sur plusieurs sites, dont l'un nommé "climatebook.gr" (lien archivé ici). Le mot "climatebook" figure d'ailleurs également en haut à gauche du visuel partagé sur les réseaux sociaux. 

Ce site, alimenté par des chercheurs grecs, se présente comme une plateforme visant à "fournir des informations valables sur la météo et le climat de notre planète, en mettant l'accent sur les événements météorologiques extrêmes et leurs effets, le changement climatique, les catastrophes naturelles liées à l'atmosphère et à la mer".

La carte relayée sur les réseaux sociaux figure dans un article publié le 30 novembre et intitulé, en grec, "Enneigement en Europe et dans les Balkans fin novembre 2023". 

Il indique que "les dernières intempéries qui ont frappé l'Europe avec un froid glacial et des chutes de neige de la Scandinavie aux Balkans (et en Grèce) ont poussé le taux de couverture neigeuse pour l'Europe à 60 %" .

"Une vaste couverture neigeuse est observée dans la majeure partie de la péninsule scandinave ainsi que dans les pays baltes et d'Europe centrale. La couverture neigeuse s'est étendue jusqu'aux Balkans et jusqu'à la frontière avec la Grèce", y est-il détaillé.

L'article ajoute néanmoins qu'une "couverture neigeuse limitée pour la saison est observée en Europe occidentale", ce qui n'est pas mentionné dans les publications diffusées sur les réseaux sociaux.

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Capture d'écran d'un article publié le 30 novembre sur le site "Climatebook.gr", prise le 12/12/2023

 

L'AFP a contacté les chercheurs grecs à l'origine du site. L'un (lien archivé ici) d'entre eux, Stavros Dafis (lien archivé ici), spécialiste des sciences atmosphériques et chercheur associé à l'Observatoire National d'Athènes (NOA), a expliqué avoir "créé la carte en utilisant les données satellitaires du National Snow and Ice Data Center des Etats-Unis (NSIDC)", à partir d'un "ensemble de données utilise une variété de données satellitaires pour des conditions de ciel nuageux et clair afin d'estimer la couverture neigeuse autour du globe".

"Le 28 novembre, 60 % du territoire européen (représenté par une figure rouge sur la carte), était effectivement recouvert de neige. Il s'agit de la couverture neigeuse la plus étendue pour cette période de l'année depuis au moins 2010, année où l'hiver avait également commencé tôt", développe le chercheur le 7 décembre auprès de l'AFP.

Sur une carte (archivée ici) réalisée par les chercheurs du Rutgers Global Snow Lab, il est aussi possible de remarquer des "anomalies positives" par rapport à la moyenne de la période 1981-2010 du manteau neigeux dans la plupart des pays européens en décembre 2010.

Ce mois consiste jusqu'ici "l'anomalie la plus importe et plus étendue pour l'Europe au cours des 20 dernières années", précise David Robinson, ajoutant qu'il est néanmoins encore trop tôt pour tirer des conclusions sur l'hiver 2023.

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Capture d'écran prise sur le site du Rutgers Global Snow Lab

 

"Pour la plupart des pays d'Europe centrale et orientale, [décembre 2023] est l'un des débuts les plus précoces de l'extension de la couverture neigeuse depuis le début de cette série de données (1997). C'est par exemple le cas pour la République tchèque, l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Finlande, la Pologne, la Suède, la Suisse, l'Ukraine et, de manière générale, pour la majeure partie des Balkans", indique de son côté Stavros Dafis à l'AFP.

Mais "dans les Balkans, les températures élevées de la première semaine de décembre ont depuis déjà entraîné une baisse de la couverture neigeuse, de sorte qu'il s'agissait d'un épisode de neige éphémère", souligne-t-il. Par ailleurs, "en Europe occidentale (et notamment en France), la couverture neigeuse est proche de la moyenne 1997-2022".

Il a également déploré que les données répertoriées dans cette carte aient pu être utilisées de façon trompeuse par des "voix de négationnistes du changement climatique", qui relèvent de "l'opinion" et ne sont "pas du tout basées sur des faits scientifiques".

A l'inverse, il explique que "dans l'ensemble, la neige précoce en Europe n'est pas sans précédent, mais l'intensité des tempêtes de neige est liée au changement climatique et à la variabilité naturelle".

Le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) explique aussi le 14 décembre à l'AFP que son outil de réanalyse ERA5 (lien archivé ici) "montre clairement qu'il existe une variabilité de la couverture neigeuse, de sorte qu'utiliser une seule date pour établir une tendance n'est pas crédible".

En consultant via cet outil l'épaisseur neigeuse au 14 décembre (lien archivé ici) et pour les cinq jours précédents, on peut se rendre compte que cette dernière a en effet varié (baissé à certains endroits, mais augmenté autour de massifs montagneux par exemple) dans plusieurs pays européens au cours de ce laps de temps. 

Or, les données sur la carte diffusée sur les réseaux sociaux utilisaient la couverture neigeuse présente le 28 novembre, ce qui ne permet pas d'en déduire des conclusions sur l'hiver 2023 ou encore moins sur le climat en général.

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Capture d'écran de l'outil du CEPMMT, prise le 14/12/2023

 

Un porte-parole de l'organisation météorologique mondiale (OMM) a confirmé à l'AFP le 12 décembre qu'au "début du mois de décembre, il y avait beaucoup de neige fraîche dans les Alpes. À plus basse altitude, cette neige a maintenant fondu en raison des températures anormalement chaudes", ajoutant qu'il "est ridicule de prétendre que le fait d'avoir une bonne couverture neigeuse pendant quelques jours ou quelques semaines annule les effets du climat".

Le 30 novembre, l'OMM avait annoncé dans un communiqué que l'année 2023 serait "la plus chaude jamais mesurée" (lien archivé ici).

Vers plus d'événements météorologiques extrêmes

Stavros Dafis a également souligné que dans un premier article publié sur l'observatoire d'analyse des phénomènes météorologiques extrêmes ClimaMeter (archivé ici), des climatologues ont déduit que la tempête de neige Ciro, qui a touché l'Europe centrale début décembre, était un "événement météorologique extrême unique", conséquence de la variabilité naturelle du climat, et que le changement climatique induit par les humains a également pu jouer un rôle dans le fait qu'un tel "événement météorologique extrême" ait pu survenir.

"La variabilité naturelle du climat a probablement joué un rôle dans la configuration de la pression liée à la tempête de neige du Ciro, mais le changement climatique induit par l'homme y a également contribué en augmentant la température, qui est passée de valeurs négatives à des valeurs proches de 0°C, et en renforçant les pluies verglaçantes et les chutes de neige associées à la tempête", indique ainsi le résumé de l'analyse des chercheurs.

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Capture d'écran prise sur le site ClimaMeter le 12/12/2023

 

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Capture d'écran prise sur le site ClimaMeter le 12/12/2023

 

Les effets et conséquences du réchauffement climatiques sont variables selon les régions du monde, et les épisodes de précipitations importantes dans certaines régions ne sont ainsi pas contradictoires avec le réchauffement climatique, mais sont même considérés comme l'une de ses conséquences, comme déjà détaillé dans des précédents articles de l'AFP dont celui-ci en mai 2023.

Dès la première série de rapports du Giec (lien archivé) en 1990-1992, ce dernier soulignait déjà la probabilité que le réchauffement de la planète exacerbe les phénomènes climatiques extrêmes.

Les travaux du premier groupe ayant participé à la rédaction du 6ème rapport du Giec (lien archivé), parus en août 2021, ont particulièrement mis l'accent sur l'augmentation attendue de la fréquence d'événements extrêmes (températures extrêmes, fortes précipitations et pluies diluviennes, crues, sécheresse, tempêtes), en particulier dans le chapitre 11 (lien archivé) de ce rapport, intitulé "Weather and climate extreme events in a changing climate" ("Météo et événements climatiques extrêmes dans un climat qui change" en français), qui fait plus de 250 pages à lui seul.

Plusieurs études détaillent aussi ce phénomène. Dans celle-ci publiée en 2021 dans la revue Science Advances (lien archivé), les auteurs concluent que le réchauffement climatique rend le climat plus déséquilibré dans environ deux tiers de la planète et que "cela signifie une plus grande variabilité entre les extrêmes humides et secs".

Une autre étude (lien archivé) publiée dans Nature Communications en 2021 montre aussi que les événements de précipitations "extrêmes" ne sont pas uniquement dus à la variabilité naturelle du climat.

Baisse de l'enneigement

Par ailleurs, avec le changement climatique, l'enneigement baisse de façon générale, rappelaient en août 2023 des chercheurs interrogés par l'AFP. 

"Ce qu'on observe, c'est une réduction des chutes de neige à basse et moyenne altitude, en-dessous de 2.000 mètres, et ce même pendant l'hiver, réduisant la durée d'enneigement d'environ un mois depuis 1970 dans les Alpes européennes. La tendance au raccourcissement de la durée d'enneigement est également constatée à plus haute altitude, au-delà de 2.000 mètres, sous l'effet de l'augmentation de température qui en accélère la fonte", détaillait Samuel Morin, le directeur du Centre national de recherches météorologiques (CNRM), une unité mixte de recherches sous tutelle de Météo-France et du CNRS.

Cette baisse de l'enneigement est donc particulièrement "visible à des altitudes intermédiaires", résumait aussi Martin Ménégozclimatologue et chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement (IGE) et au CNRS auprès de l'AFP le 21 août, ajoutant que les glaciers régressent eux aussi, mais leur fonte est observable à plus long terme.

L'AFP vérifie régulièrement des publications diffusées sur les réseaux sociaux remettant en cause le changement climatique ou son origine humaine, et a ainsi mis au point des fiches résumant les connaissances scientifiques actuelles sur certains points récemment questionnés sur les réseaux sociaux.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://twitter.com/silvano_trotta/st...
  • Texte de la déclaration :

    60 % de l'Europe sont recouverts de neige.
    Et on n'est pas en hiver.... « xruiztru: Europe hasn't seen a snow cover like this since 2010—60% is blanketed in white! ❄️

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