Les pluies récentes ne remettent pas en cause l'existence du réchauffement climatique
Les pluies récentes ne remettent pas en cause l'existence du réchauffement climatique
Publié le lundi 15 mai 2023 à 12:27
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Claire-Line NASS / AFP France
Le réchauffement climatique et son origine humaine font l'objet d'un consensus scientifique. Depuis quelques semaines, des publications trompeuses sur les réseaux sociaux affirment pourtant que de récents épisodes de pluie et de neige dans certaines régions françaises remettraient en cause l'existence du réchauffement. Elles confondent en réalité météo, qui caractérise des phénomènes sur le court terme, au jour le jour, et climat, qui s'intéresse à l'évolution à long terme des phénomènes. La réalité du dérèglement du climat n'est pas infirmée par des épisodes ponctuels de pluie ou de neige, comme l'ont expliqué plusieurs experts. En outre, ces pluies ne viennent pas non plus supprimer les risques de sécheresse cette année, contrairement à ce que sous-entendent certaines publications.
"Il pleut beaucoup en France, il neige même en avril. Du coup on va manquer d'eau. Satané réchauffement climatique", ironisait une publication le 24 avril, retweetée à plus de 800 reprises.
"Malgré un mois de mars très pluvieux + avril, les médias osent parler de #sécheresse et de réchauffement tous les jours", renchérissait un autre tweet partagé plus de 1.500 fois depuis le 30 avril, mettant en avant des photos de cartes météo diffusées sur LCI.
"C'est encore une belle journée de sécheresse et de canicule", se moquait aussi une internaute dans une vidéo sur YouTube remettant en cause le réchauffement climatique, où elle s'affichait sous la pluie, et qui a été vue plus de 130.000 fois depuis le 7 mai.
Ces dernières semaines, de nombreuses autres publications (ici, ici, ici, là, là, là ou encore là) mettant en avant des chutes de neiges ou de pluie survenues en avril ou début mai 2023 ont sous-entendu ou affirmé que ces conditions météorologiques remettraient en cause le réchauffement climatique ou les risques de sécheresse en France.
Ces allégations sont infondées, et s'appuient sur une mauvaise interprétation de phénomènes météorologiques et climatiques, ont relevé les spécialistes du climat et de la météo interrogés par l'AFP.
De la pluie en mars et avril
Après "un manque de pluie important cet hiver", les mois de mars et d'avril ont été plus pluvieux, particulièrement dans certaines régions du nord de la France, rappelle Simon Mittelberger, climatologue à Météo-France, auprès de l'AFP le 9 mai 2023.
Ainsi, en mars, "les précipitations ont été excédentaires sur la majeure partie de l'Hexagone", avec de larges disparités entre les régions, le Sud-Ouest faisant particulièrement face à d'importants déficits de pluviométrie, notait Météo-France dans son bilan pour le mois de mars (lien archivé).
En avril, Météo-France fait part d'une pluviométrie "proche de la normale mais avec de grandes disparités régionales". Dans un bilan (lien archivé) publié le 27 avril, le service météorologique français indique qu'il a "plu plus sur les régions de la moitié nord du pays, qui connaîtront d'ici la fin du mois un bilan proche de la normale voire excédentaire. En revanche, les pluies ont manqué sur la moitié sud. La pluviométrie est même restée très déficitaire sur le pourtour méditerranéen".
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— Météo-France (@meteofrance) April 27, 2023
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Néanmoins, ces pluies, si elles permettent d'humidifier les sols, ne compensent pas complètement le déficit d'eau des nappes souterraines, qui constituent des réserves d'eau à long terme, et qui mettent plus longtemps à se reconstituer.
La plupart des niveaux des nappes sous les normales
En France, c'est le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) qui suit les niveaux des nappes, et en particulier leur remontée pendant la saison dite "de recharge", qui court entre octobre et début avril.
Selon le dernier bilan (lien archivé) du BRGM, début avril, "75% des niveaux des nappes phréatiques restent sous les normales mensuelles", contre "58% en mars 2022".
Les précipitations tombées en mars "n'ont pas été suffisantes pour engendrer une amélioration" assez importante de l'état des nappes, dont 80% étaient sous les normales un mois avant, indique l'organisme public.
Le BRGM estime donc que le risque de sécheresse estivale pour certaines régions est désormais "avéré", sauf si des pluies exceptionnelles devaient survenir dans les prochaines semaines.
"Cela est dû au fait que les pluies sont tombées sur des sols très secs et ont ainsi eu du mal à s'infiltrer en profondeur", expliquait Violaine Bault, hydrogéologue au BRGM, le 13 avril 2023 dans une dépêche de l'AFP (lien archivé).
La période de recharge de cet automne et cet hiver, particulièrement doux et sec, a été "très insuffisante pour compenser les déficits accumulés" depuis plus d'un an, et est désormais terminée.
Sécheresse hydrologique
"Il ne suffit pas d'avoir beaucoup de pluie : les sols ne sont pas capables d'absorber des précipitations très importantes. C'est pourquoi il est beaucoup plus efficace d'avoir des pluies légèrement au-dessus de la moyenne pendant tout l'hiver, ou juste normales, pour recharger les nappes, plutôt que d'escompter qu'en un mois les pluies puissent compenser le déficit des mois passés", soulignait déjà Agnès Ducharne (lien archivé), hydrologue directrice de recherche au CNRS, auprès de l'AFP dans cet article du début du mois de mars 2023 sur le sujet.
La pluie de ces dernières semaines peut pallier la sécheresse météorologique, mesurée par la pluviométrie sur les trois derniers mois, particulièrement dans certaines régions du nord et de l'ouest de la France. En revanche, la sécheresse hydrologique, qui prend en compte les niveaux des nappes, les débits des cours d'eau et la réponse de la végétation à plus long terme, reste présente, ajoute Davide Faranda (lien archivé), chercheur CNRS en sciences du climat à l'Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), auprès de l'AFP le 11 mai.
"Après des mois très secs, même s'il pleut pendant trois mois, il n'y aura plus de sécheresse météorologique mais toujours une sécheresse hydrologique", développe-t-il, rappelant que cette dernière peut avoir un impact sur l'agriculture, et que certaines cultures du sud de l'Europe sont en "stress hydrologique" chaque année depuis 2017.
Avec le dérèglement du climat, "pour les pluies, ce qu'on a observé, c'est que ce n'est pas forcément la quantité moyenne qui change, mais plutôt la distribution dans le temps", ajoute le climatologue, illustrant qu'il "y a des périodes plus longues de sécheresses, suivies par des périodes de pluies fortes, sous formes de forts orages".
C'est ce "problème de variabilité des pluies qui peut contribuer aux sécheresses hydrologiques", car la végétation "a besoin de régularité et n'aime pas les conditions extrêmes" : elle a du mal à survivre en période de sécheresse puis "ne peut pas absorber toute la pluie d'un coup".
Un enneigement "déficitaire" cet hiver à basse et moyenne altitudes
Dans son bilan de l'hiver 2022-2023 publié début mars, Météo-France pointe un hiver "globalement doux et très sec", au cours duquel l'enneigement est qualifié de "très déficitaire à partir du début du mois de janvier" (lien archivé).
️ Le bilan vu des régions : pic.twitter.com/rq6wfvxq94
— Météo-France (@meteofrance) March 6, 2023
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"L'hiver 2022-2023 a été un hiver où l'enneigement a été particulièrement déficitaire en basse et moyenne altitudes, c'est-à-dire globalement en-dessous de 2.000 mètres d'altitude", relève Samuel Morin (lien archivé), directeur du Centre national de recherches météorologiques (CNRM), une unité mixte de recherches sous tutelle de Météo-France et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
"A haute altitude, c'est-à-dire au-delà de 2.000 mètres d'altitude environ, il y a eu des chutes de neige abondantes fin mars et au mois d'avril, qui ont pu ramener l'enneigement dans la moyenne, notamment dans les Alpes du Nord", ajoute-t-il, rappelant que les chutes de neige à haute altitude à cette période de l'année n'ont "rien d'exceptionnel", et qu'en "termes de stock total de neige, on reste plutôt en déficit sur la plupart des massifs".
Ce déficit d'enneigement pendant l'hiver, tout comme le déficit de précipitations, pourra en réalité avoir un impact à plus long terme sur les réserves d'eau.
"Les cours d'eau, les rivières, les lacs vont faire face à un déficit d'alimentation pendant la période de fonte" au printemps, et ainsi "on peut s'attendre à ce que ça accentue la sécheresse de façon différée", résume Samuel Morin.
Il rappelle qu'une étude (lien archivé) publiée dans la revue The Cryosphere en 2021 par des chercheurs européens a montré, à partir de données enregistrées dans différents pays d'Europe, que dans les Alpes, "un mois d'enneigement a été perdu en 50 ans" (depuis les années 1970).
Météo et le climat
Par ailleurs, les pluies et neiges survenues ces dernières semaines ne sont pas des preuves de l'inexistence du réchauffement climatique.
"Avant tout, il ne faut pas confondre ce qui relève des conditions météo, qui caractérisent des phénomènes atmosphériques au jour le jour, et l'étude du climat qui s'intéresse aux tendances à long terme", développe Samuel Morin.
La connaissance des processus qui régissent les conditions météo permet d'effectuer des prévisions des phénomènes atmosphériques sur des temps courts, comme expliqué dans une vidéo (lien archivé) diffusée sur le site de Météo-France, ainsi que dans une fiche (lien archivé) réalisée par des chercheurs du CNRS associés au site BonPote.com (archive).
"Les conditions météo sont variables d'un an à l'autre, d'un jour à l'autre, c'est vrai pour la pluie et pour l'enneigement", illustre le météorologue.
L'étude du climat prend quant à elle en compte "l'ensemble des conditions météorologiques sur des années", développe aussi Davide Faranda.
C'est pourquoi un record, de chaleur ou de froid, pris individuellement ne permet pas de tirer des conclusions relatives à l'évolution du climat, souligne Samuel Morin, qui rappelle par ailleurs qu'"on bat ces dernières années près de dix fois plus de records de chaleur que de froid, ce qui est une indication claire du changement climatique".
Le réchauffement du climat depuis l'ère préindustrielle, causé par l'activité humaine, fait aujourd'hui consensus auprès des scientifiques, comme détaillé dans cet article d'août 2022.
Selon un bilan (lien archivé) réalisé début 2023 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM), les huit dernières années sont les plus chaudes jamais enregistrées dans le monde, et la "moyenne décennale pour la période 2013-2022 est estimée à 1,14 [1,02 à 1,27] degré Celsius au-dessus du niveau de référence préindustriel de 1850-1900".
Selon le dernier rapport publié en mars 2023 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), référence mondiale sur le climat, le réchauffement climatique atteindra 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle dès les années 2030-2035, alors que la température a déjà grimpé de près de 1,2°C en moyenne.
Cette projection est valable dans presque tous les scénarios d'émissions de gaz à effet de serre de l'humanité à court terme, compte tenu du fait que tous les scénarios considérés envisagent une poursuite des émissions dans les prochaines années.
"Pour tout niveau de réchauffement futur, de nombreux risques associés au climat sont plus élevés que ce qui avait été estimé" dans le précédent rapport de synthèse de 2014, écrivent les scientifiques.
Ils s'appuient sur la multiplication observée récemment des événements météo extrêmes comme les canicules, et de nouvelles connaissances scientifiques, par exemple sur les coraux.
"En raison de la montée inévitable du niveau des océans, les risques pour les écosystèmes côtiers, les personnes et les infrastructures continueront à augmenter au-delà de 2100", soulignent-ils aussi.
Vers plus d'événements extrêmes
Les effets et conséquences du réchauffement climatiques sont variables selon les régions du monde, et les épisodes de précipitations importantes dans certaines régions ne sont ainsi pas contradictoires avec le réchauffement climatique, mais sont même considérés comme l'une de ses conséquences.
Dès la première série de rapports du Giec (lien archivé) en 1990-1992, ce dernier soulignait déjà la probabilité que le réchauffement de la planète exacerbe les phénomènes climatiques extrêmes.
Les travaux du premier groupe ayant participé à la rédaction du 6ème rapport du Giec (lien archivé), parus en août 2021, ont particulièrement mis l'accent sur l'augmentation attendue de la fréquence d'événements extrêmes (températures extrêmes, fortes précipitations et pluies diluviennes, crues, sécheresse, tempêtes), en particulier dans le chapitre 11 (lien archivé) de ce rapport, intitulé "Weather and climate extreme events in a changing climate" ("Météo et événements climatiques extrêmes dans un climat qui change" en français), qui fait plus de 250 pages à lui seul.
Plusieurs études détaillent aussi ce phénomène. Dans celle-ci publiée en 2021 dans la revue Science Advances (lien archivé), les auteurs concluent que le réchauffement climatique rend le climat plus déséquilibré dans environ deux tiers de la planète et que "cela signifie une plus grande variabilité entre les extrêmes humides et secs".
Une autre étude (lien archivé) publiée dans Nature Communications en 2021 montre aussi que les événements de précipitations extrêmes ne sont pas uniquement dus à la variabilité naturelle du climat.
Ainsi, "au niveau global, on s'attend, avec la chaleur, à plus de précipitations. En physique, c'est un phénomène connu mesuré avec ce qui s'appelle la relation de Claussius-Clapeyron : plus il fait chaud, plus l'air peut contenir de la vapeur d'eau", résume Davide Faranda.
Il ajoute que "la France est coupée en deux dans le changement climatique : on s'attend à plus de pluie et des épisodes pluvieux importants dans le nord de la France, plus proche de ce qui se passe dans le nord de l'Europe. Dans le sud, autour de la Méditerranée, on s'attend à des conditions plus proches de celles de l'Espagne et de l'Italie avec des pluies réparties différemment, après des longues périodes de sécheresse".
"Mais ce qui est incertain, c'est de déterminer précisément où en France passera cette frontière", précise le climatologue.
Bien qu'elle fasse aujourd'hui consensus au sein de la communauté scientifique, l'existence du changement climatique causé par l'être humain est régulièrement remise en question sur les réseaux sociaux. Ces derniers mois, l'AFP avait aussi vérifié plusieurs publications trompeuses sur le climat, notamment concernant des chutes de neige en Arabie saoudite, la température mondiale, les modèles climatiques, la glace de mer arctique, une étude de la NASA sur la masse de glace de l'Antarctique, une déclaration niant l'urgence climatique, ou encore sur les températures en Arctique.
12 mai 2023corrige coquille dans le titre
Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article
- URL de la déclaration : https://twitter.com/LLP_Le_Vrai/statu...
- Texte de la déclaration :
Il pleut beaucoup en France, il neige même en avril. Du coup on va manquer d'eau.
Satané réchauffement climatique... - Nombre de retweets : 766
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