Non, Emmanuel Macron n'a pas "légalisé le viol"


Non, Emmanuel Macron n'a pas "légalisé le viol"

Publié le jeudi 15 février 2024 à 15:46

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(JOHN THYS / AFP)

Auteur(s)

Gaëlle GEOFFROY / AFP France

Le Parlement européen et les pays de l'Union européenne ont trouvé le 6 février 2024 un accord sur une première directive contre les violences faites aux femmes, pour mieux lutter contre les mutilations génitales féminines, le mariage forcé ou bien encore la divulgation d'images intimes. Mais le viol n'y a pas été inclus en raison de l'opposition d'une partie des Etats membres, dont la France, qui ont avancé des arguments juridiques : selon eux, l'UE n'aurait pas les prérogatives nécessaires en la matière.

Cette situation a été mal interprétée par certains internautes français, qui ont accusé Emmanuel Macron d'avoir "légalisé" ou "autorisé le viol".

Mais c'est faux : le viol reste puni en France. Cette actualité européenne a néanmoins remis sur le devant de la scène la question d'une évolution de sa définition dans le Code pénal français en vue d'un renforcement de la protection des victimes.

"Quelle honte", "ça me brise le coeur", "c'est quoi sa [sic] ?" : de très nombreuses vidéos filmées par des jeunes filles, où elles déplorent que le président français ait "légalisé", "autorisé le viol", ou "affirmé que le viol n'est pas un crime", avaient été vues des centaines, des milliers voire des dizaines de milliers de fois sur le réseau TikTok, au 12 février 2024.

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Captire d'écran, réalisée le 12 février 2024, d'une vidéo publiée sur Tiktok

 

Cette fausse affirmation a été aussi relayée sur Facebook, comme dans la publication ci-dessous, où l'internaute affirme que "maintenant le viol est autorisé mais y a quoi dans la tête de Macron...".

Mais elle a utilisé - en en faisant une interprétation erronée - un visuel posté sur Instagram le 7 février par le député européen Raphaël Glucksmann qui avait été "liké" plus de 400.000 fois à la date du 13 février. Le candidat PS/Place publique dénonçait le fait que la France se soit opposée - avec des arguments juridiques - à l'inscription du viol et d'une définition dans la directive européenne sur les violences faites aux femmes : 

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Capture d'écran, réalisée le 12 février 2024, d'une publication sur Facebook

 

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Capture d'écran, réalisée le 13 février 2024, d'une publication du député européen Raphaël Glucksmann sur Instagram

 

Le viol reste sanctionné par le Code pénal

Comme nous allons le voir, ces internautes font en fait une mauvaise interprétation d'un accord sur une première directive européenne contre les violences faites aux femmes conclu le 6 février 2024 par les 27 pays membres et visant à harmoniser au niveau européen leur définition et les sanctions. Or, le texte n'inclut pas le viol dans les actes qu'il répertorie car les pays membres n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur sa définition (archive).

Cela n'empêche pas les législations nationales de rester en vigueur. Le viol reste ainsi défini et sanctionné en France.

L'article 222-23 du Code pénal stipule bien toujours qu'il correspond à "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise", et qu'il est "puni de quinze ans de réclusion criminelle" (archive).

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Capture d'écran, réalisée le 13 février 2024, de l'article 222-23 du codé pénal français

 

Il est donc faux de dire qu'Emmanuel Macron aurait "légalisé" ou "autorisé le viol".

Harmoniser les sanctions

La position de la France pendant les longues négociations sur la directive contre les violences faites aux femmes, avant l'accord du 6 février 2024, a été toutefois très critiquée et elle alimente désormais un débat sur la nécessité, ou pas, d'adapter la définition du viol dans le Code pénal français.

Comme nous l'avons vu, cette directive européenne entend permettre de mieux lutter contre les mutilations génitales féminines, le mariage forcé, le partage non consenti d'images intimes, le cyberharcèlement, l'incitation à la haine et la violence en ligne. Le texte, qui doit encore être approuvé formellement par le Parlement et le Conseil avant d'être mis en oeuvre (les États membres disposeront alors de trois ans pour le faire), ouvre la voie à des sanctions harmonisées contre ces "eurocrimes" au sein des 27 pays de l'Union (archive).

Mais le viol ne fait pas partie des actes répréhensibles recensés : une douzaine d’États membres, dont la France, l'Allemagne et la Hongrie, s'y sont opposés (archive), considérant que l'UE n'était pas compétente : le viol ne présente pas le caractère "transfrontière" nécessaire pour être considéré comme un "eurocrime" tel que défini par les textes européens et susceptible de donner lieu à une harmonisation européenne, ont-ils plaidé.

L'article 5 qui contenait la définition du viol et l'ensemble de la directive risquaient donc selon eux d'être retoqués par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE - archive) si un Etat l'avait saisie.

Le projet de directive initial, présenté le 8 mars 2022 (archive) par la Commission européenne, prévoyait dans cet article 5 une définition fondée sur l'absence de consentement. Une ligne portée par le Parlement européen et des pays comme la Belgique, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg et la Suède, mais là encore contestée (archive) notamment par la France pour qui cette notion de "consentement" serait moins protectrice que la définition française - nous y reviendrons à la fin de cet article.

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Capture d'écran, réalisé le 13 février 2024, de l'article 5 du projet de directive européenne contre les violences faites aux femmes

 

"Défaite pour les droits des femmes"

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Pour la députée européenne Manon Aubry, co-présidente du Groupe de la Gauche au Parlement européen et tête de liste La France insoumise (LFI) aux européennes, "une relation sexuelle sans consentement (...) est un viol" et "cette évidence-là, on a un président, Emmanuel Macron, qui non seulement la réfute, mais s'assoit littéralement sur le droit des femmes", a-t-elle dénoncé le 9 février (archive) :

Avant l'accord du 6 février, douze ONG, dont Amnesty International et Human Rights Watch, avaient aussi accusé ces derniers mois les États membres opposés à une harmonisation européenne de la définition du viol de se retrancher derrière des interprétations juridiques restrictives des compétences de l'UE (archive 1, 2).

"Pas de la compétence de l'UE"

Le ministre français de la Justice Eric Dupond-Moretti a réaffirmé le 8 février sur France 2 (archive) les arguments de la France : définir le viol n'est "pas de la compétence de l'Union européenne" et la CJUE saisie par un Etat membre aurait donc pu sanctionner la totalité de la directive.

Sur BFMTV le 11 février (archive), Eric Dupond-Moretti a aussi fait valoir la bonne foi de la France en relevant d'une part les limites selon lui de la notion de "consentement" dans les textes, et d'autre part le niveau de protection supérieur qu'apporterait selon lui la loi française.

Il a considéré qu'inclure le consentement dans une définition aboutit à "une espèce d'inversement de la charge de la preuve", puisqu'au lieu de se concentrer sur les actes de l'agresseur, "on demande à la victime" de prouver qu'elle n'a pas dit oui au moment du viol.

La définition française du viol, quant à elle, "consacre l'absence de consentement", a-t-il fait valoir - car même si le mot "consentement" n'y apparaît pas, cette notion y figurerait en creux via les termes "violence, menace, contrainte ou surprise" selon ce raisonnement.

A quatre mois des élections européennes, Eric Dupond-Moretti a aussi accusé Raphaël Glucksmann d'avoir utilisé une "escroquerie intellectuelle majeure" et une "tromperie" avec pour conséquence d'avoir provoqué panique ou courroux de milliers d'internautes. 

"Tenir juridiquement"

Si l'Union européenne n'a pas vocation à élaborer un code pénal européen - c'est-à-dire définir des incriminations et les peines correspondantes -, elle peut définir des lignes directrices permettant une harmonisation et une meilleure coopération pénale entre Etats (archive 1, 2).  

Au coeur des interprétations en matière de compétence, ou pas, de l'UE sur la question du viol, il y a l'article 83 du Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE). C'est ici que figure la notion de dimension "transfrontière" des crimes évoquée dans le débat.

Cet article indique que le Parlement européen et le Conseil peuvent prendre des directives établissant "des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d'un besoin particulier de les combattre sur des bases communes".

Il liste ces domaines de criminalité : "le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée".

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Capture d'écran, réalisée le 13 février 2024, de l'article 83 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

 

Le caractère transfrontière étant explicitement évoqué, et le viol pas spécifiquement nommé, la douzaine de pays, dont la France, opposés à son inclusion dans la directive européenne ont trouvé là un argument juridique.

Mais cette interprétation est jugée restrictive par deux spécialistes du droit interrogées par l'AFP.

Tania Racho, docteure en droit européen et chercheuse associée à l'Université Paris-Saclay (archive), a relevé le 12 février 2024 qu'il existe bien dans ce dossier une dimension d'"interprétation" de l'article 83.

Mais pour elle, inclure une définition du viol dans la directive "aurait pu juridiquement tenir".

Les pays opposés ont pu "jouer sur la dimension transfrontière" mentionnée dans l'article 83, mais l'article évoque aussi la possibilité d'établir des normes s'il y a "un besoin particulier" de combattre ces crimes "sur des bases communes", et "à mon sens, on pourrait se fonder là-dessus pour dire qu'il est justifié" de parler du viol dans la directive, a ajouté Tania Racho.

"Pour beaucoup de pays européens, le viol pouvait être une forme d'exploitation sexuelle et donc à ce titre-là pouvait parfaitement entrer dans les eurocrimes" définis par l'article 83, a souligné de son côté  Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l'Université Paris-Nanterre. "D'autant plus qu'il y a déjà eu des textes sur les infractions sexuelles sur les mineurs qui ont été pris sur ce fondement-là", a-t-elle noté auprès de l'AFP le 14 février 2024. 

L'UE a aussi ratifié la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes, qui fixe un cadre pour cette lutte (archive).

Qu'en est-il alors d'un risque de voir la Cour de justice de l'Union européenne retoquer la directive ? Tania Racho rappelle que les textes ne prévoient pas sa saisine "automatique" - "ce n'est pas le Conseil constitutionnel" français. Et même si elle l'avait été par un Etat par exemple, elle aurait "peut-être pu interpréter plus largement cette idée que les Etats se mettent d'accord pour combattre sur des bases communes un besoin particulier en matière de violences faites aux femmes".

"90% des viols sont commis par des proches" en France

Quant à la question de savoir si la notion de "consentement" serait moins protectrice des victimes que l'expression "violence, contrainte, menace ou surprise" contenue dans le code pénal français, Audrey Darsonville répond par la négative.

"Aujourd'hui, en France, si les autorités de poursuite n'arrivent pas à prouver un de ces quatre outils, elles ne peuvent pas condamner ; vous avez beau avoir pleine conscience qu'il n'y a pas eu de consentement, ce n'est pas le sujet, le sujet c'est est-ce qu'il y a eu utilisation par l'agresseur d'un de ces quatre modèles. Or, 90% des viols sont commis pas des proches (archive), souvent sans violences physiques, et toute cette zone de la contrainte morale, qui est la plus fréquente, ne peut pas être montrée", explique-t-elle.

Au final, la directive européenne sur les violences faites aux femmes ne contient donc pas de définition du viol. Mais le sujet n'est pas clos. En France, le débat sur la question de savoir s'il faut ou pas faire évoluer le code pénal pour y intégrer la notion de "consentement" est ouvert : LFI a dit vouloir déposer une proposition de loi pour l'intégrer (archive).

14 février 2024Avec lien vers publication Facebook correct au 2e paragraphe

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Ce fact-check a été également publié par Factuel - AFP : Non, Emmanuel Macron n'a pas "légalisé le viol".

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