Non, cette vidéo ne montre pas un "faux cadavre à Gaza" mais un cours de préparation funéraire en Malaisie


Non, cette vidéo ne montre pas un "faux cadavre à Gaza" mais un cours de préparation funéraire en Malaisie

Publié le mardi 7 novembre 2023 à 15:03

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Auteur(s)

Pierre MOUTOT / AFP France

Alors que la guerre entre Israël et le Hamas a causé des milliers de morts depuis l'attaque meurtrière du 7 octobre lancée par le groupe palestinien, et que l'offensive de l'armée israélienne se poursuit en représailles dans la bande de Gaza, de nombreuses images fausses ou détournées circulent sur les réseaux sociaux. Parmi les infox récurrentes, de nombreuses publications prétendent montrer la mise en scène de fausses victimes côté palestinien, images à l'appui. Ainsi par exemple, sur une vidéo largement diffusée sur X (ex-Twitter) et TikTok depuis le 5 novembre 2023, on peut voir un homme étendu parmi d'autres, enveloppé dans un linceul blanc, ouvrir les yeux et regarder autour de lui. Les internautes qui la partagent prétendent qu'il s'agit là de la preuve d'une mise en scène du Hamas. Mais ces images n'ont rien à voir avec la guerre au Proche-Orient: elle sont antérieures au conflit et montrent un cours de préparation funéraire dans une mosquée, en Malaisie.

Le 7 octobre, plus de 1.400 personnes ont été tuées sur le territoire israélien par les hommes du Hamas, en majorité des civils fauchés par balles, brûlés vifs ou morts de mutilations, selon les autorités israéliennes. Environ 1.500 combattants du Hamas ont été tués dans la contre-offensive ayant permis à Israël de reprendre le contrôle des zones attaquées, selon l'armée israélienne. Le Hamas a enlevé plus de 200 otages parmi lesquels des étrangers de plus de vingt pays, retenus à Gaza.

Le Hamas a affirmé de son côté le 6 novembre qu'au moins 10.000 personnes - majoritairement des civils,  dont près de la moitié d'enfants - ont été tuées dans les bombardements israéliens en représailles et les combats au sol dans la bande de Gaza. Des quartiers entiers y ont été rasés et se retrouvent sans eau, sans nourriture ni électricité, après le siège imposé par Israël le 9 octobre au territoire, déjà soumis à un blocus terrestre, maritime et aérien depuis que le Hamas y a pris le pouvoir en 2007.

Au moins 1,5 million de Palestiniens de Gaza ont été déplacés depuis le début de la guerre, selon l'ONU.

Dans ce contexte et alors que partisans et soutiens des deux camps opposés se livrent à une guerre informationnelle particulièrement virulente sur les réseaux sociaux, de nombreuses fausses informations sont partagées massivement, dont beaucoup de vidéos sorties de leur contexte. 

C'est le cas d'une courte vidéo, partagée dans plusieurs langues (anglais, français, espagnol, thaïlandais...) depuis le 5 novembre, sur de nombreuses plateformes telles que X (ex-Twitter), TikTok, Instagram ou Facebook : on y voit plusieurs personnes allongées sur des tapis dans un vaste bâtiment, enveloppées dans des linceuls blancs. Au bout de quelques secondes, l'une d'entre elles ouvre les yeux et regarde la personne en train de filmer.

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Captures d'écran réalisées sur X (ex-Twitter), le 06/11/2023.

 

''Bienvenue à #Pallywood, parmi les milliers de morts annoncés par le #Hamas (que tous les médias, l'ONU, la Croix-Rouge, et les autres reprennent sans aucune vérification)'', écrit un internaute en légende, tandis qu'un autre évoque ''Les faux morts de la propagande palestinienne du Hamas''. 

La vidéo est le plus souvent partagée avec une légende en arabe incrustée sur l'image, dont la traduction est ''Je ne sais pas s'il y a un problème avec les balles israéliennes ou quelque chose, mais il semble qu'ils reviennent à la vie un par un'', en référence explicite au conflit en cours.

De nombreux posts renvoient vers la page Instagram du compte @akbardarjahanam3, dont le compte Telegram a publié l'infox le 5 novembre.

Mais ces affirmations sont fausses. 

Un cours de préparation aux rites funéraires musulmans en Malaisie

Une recherche d'image inversée à partir d'images-clés tirées de la vidéo permet de retrouver la vidéo originale sur le compte TikTok de l'utilisateur @metjetak17 (archive). 

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Capture d'écran réalisée sur le TikTok, le 06/11/2023.

 

La vidéo est datée du 19 août 2023, bien avant le début de la guerre actuelle entre Israël et le Hamas. Une seconde vidéo, mise en ligne le lendemain, semble avoir été tournée au même moment. On y retrouve visiblement la même salle, avec la même baie vitrée et les mêmes motifs aux murs, et une autre personne étendue au sol couverte d'un linceul, bien vivante.

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Captures d'écran réalisées sur TikTok et X (ex-Twitter), le 06/11/2023.

 

On retrouve également la même personne vêtue d'une chemise rose.

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Captures d'écran réalisées sur TikTok, le 06/11/2023.

 

La description de cette deuxième vidéo apporte davantage de précisions sur le contexte : ainsi peut on lire une phrase en malaisien sur l'image (''Kursus Pengurusan Jenazah'') dont la traduction française est ''Cours de gestion funéraire''. 

La publication est localisée à "L'Institut Kemahiran Mara'' de Pekan, en Malaisie. 

Une recherche via le logiciel d'imagerie satellite Google Earth permet de retrouver le campus de l'institut en question, sur lequel est installée une mosquée (''Masjid Ikm Tan Sri Yahya Ahmad'').

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Capture d'écran réalisée sur Google Earth, le 06/11/2023.

 

Une visite sur la page YouTube de l'institut permet ensuite de retrouver des images montrant l'intérieur et l'extérieur de la mosquée, et de s'assurer qu'il s'agit bien de l'endroit où se trouve l'atelier de préparation funéraire dont les images ont été détournées (archives 1, 2).

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Captures d'écran réalisées sur YouTube le 06/11/2023.

 

Enfin, une recherche thématique sur le moteur de recherche Google permet de trouver des traces d'organisation passée de cours de préparation funéraire islamique à l'institut IKM Tan Sri Yahaya de Pekan.

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Capture d'écran réalisée sur Google, le 06/11/2023.

 

Contactés, les responsables de l'institut IKM Tan Sri Yahaya Ahmad n'avaient pas répondu à l'AFP au moment de la publication de cet article.

Les bilans des victimes du conflit actuel entre Israël et le Hamas ne sont pas vérifiables de façon indépendante et sont régulièrement remis en cause. Le président Biden, puissant soutien historique d'Israël, avait ainsi par exemple émis des doutes fin octobre sur les chiffres du Hamas, les Etats-Unis reconnaissant toutefois que les victimes palestiniennes se comptaient bien "par milliers". 

Le ministère de la Santé du Hamas avait publié le 26 octobre une liste nominative de près de 7.000 Palestiniens tués jusqu'alors dans la guerre, entendant ainsi prouver sa crédibilité, expliquant avoir décidé de publier la liste précise, avec le sexe, l'âge et le numéro d'identité des personnes tuées, pour "révéler les détails et les noms au monde entier afin que soit connue la vérité".

Le 27 octobre, le patron de l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini, a souligné que les bilans des morts publiés par le ministère de Santé du Hamas dans la bande de Gaza n'avaient "jamais été contestés" lors des conflits précédents.

Ces bilans sont d'ailleurs repris par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans ses rapports sur la situation dans les Territoires palestiniens.

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas le 7 octobre, l'AFP a vérifié plusieurs rumeurs et infox utilisant des images décontextualisées pour prétendre que des mises en scène de faux cadavres avaient lieu à Gaza : ici, ici, , ou encore là (archives : 1, 2, 3, 4).

De nombreuses autres fausses information en lien avec le conflit ont été vérifiées par l'AFP, à retrouver sur le site AFP Factuel.

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