Non, des records de chaleur n'ont pas été "pulvérisés" en raison d'un changement des mesures de l'Agence spatiale européenne


Non, des records de chaleur n'ont pas été "pulvérisés" en raison d'un changement des mesures de l'Agence spatiale européenne

Publié le mardi 1 août 2023 à 12:24

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Auteur(s)

Bénédicte REY / AFP France

De larges régions d'Europe du Sud, de Chine ou d'Amérique du Nord souffrent depuis plusieurs semaines d'une chaleur extrême. Les records de températures des océans et les canicules qui frappent plusieurs parties de l'hémisphère nord mettent le monde sur la voie du mois de juillet le plus chaud depuis le début des mesures. Dans ce contexte, des internautes accusent l'Agence spatiale européenne (ESA) d'avoir modifié sa méthode de récolte des données de température, en mesurant la température au niveau du sol, où elle est plus élevée, et non plus dans l'air.

Des records de chaleur apparaîtraient ainsi artificiellement "pulvérisés". Mais il s'agit d'une mauvaise interprétation d'une récente publication de l'ESA sur la vague de chaleur en l'Europe. L'institution a déjà publié des données sur les températures de surface et n'a pas modifié le recueil des données. En outre, elle n'a pas pour mission d'établir des records de température. C'est le rôle de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), qui utilise d'autres données : les mesures faites par des stations météorologiques.

Des Etats-Unis au sud de l'Europe en passant par l'Afrique du Nord et la Chine, plusieurs régions de l'hémisphère nord sont touchées depuis le début de l'été par des vagues de chaleur exceptionnelles par leur longueur et aux conséquences dramatiques. 

Selon l'observatoire européen du climat Copernicus, juillet 2023 est en passe de devenir le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré, après un mois de juin déjà record (lien archivé ici). 

Scientifiques comme organisations internationales pointent le lien entre ces épisodes de canicule et le changement climatique et alertent sur leur intensification (liens archivés ici et ici).

Sur les réseaux sociaux, certains internautes avancent cependant que l'apparente hausse des températures serait due à un changement dans la méthode des relevés.

"Les records de chaleur ont été 'pulvérisés' parce que l'ESA a commencé à utiliser les températures de la surface terrestre et non les températures de l'air à 2 m au-dessus de la surface, ce qui signifie qu'elle a modifié les normes des enregistrements passés", accuse cet internaute dans un message le 20 juillet sur Twitter (récemment rebaptisé X par Elon Musk), partagé plus de 2.000 fois. 

"Les enregistrements de chaleur ont été 'brisés' [...]. Voilà comment les goules (mondialistes) manipulent les lectures de températures pour vous faire croire à leurs mensonges", s'insurge cet autre internaute sur Facebook.

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Capture d'écran effectuée sur Twitter le 21 juillet 2023

 

 De nombreux internautes se réfèrent à un message publié sur X (ex-Twitter) le 14 juillet par le compte Climate Science Journal en réponse à un message de la militante écologiste suédoise Greta Thunberg alertant sur les récents records de chaleur.  

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Capture d'écran effectuée sur Twitter le 21 juillet 2023

 

Basé à Londres, Climate Science Journal se présente (lien archivé ici) comme un site voulant "restaurer de l'intégrité dans l'étude du changement climatique" et "remettre en question la pseudo-science de la théorie des gaz à effet de serre"

Cette organisation, et ceux qui ont relayé son message en français, font référence à une publication de l'Agence spatiale européenne (ESA) mise en ligne le 13 juillet 2023 sur son site ainsi que sur X et  Facebook (liens archivés ici, ici et ici).

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Capture d'écran effectuée sur Facebook le 21 juillet 2023

 

Plusieurs publications reprennent également une carte de l'Espagne mise en ligne le 12 juillet sur le site de Copernicus, un programme européen de collecte de données sur l'état de la Terre, en accompagnement d'un article sur la vague de chaleur touchant le pays.

Que disent les publications de l'ESA et de Copernicus ?

Le 12 juillet, Copernicus consacre son "image du jour" sur son site à la canicule touchant l'Espagne avec une carte datée de la veille montrant, comme clairement indiqué dans le rectangle entouré en rouge par l'AFP, la "température de surface des terres" mesurée en degrés Celsius. Plusieurs zones sont en gris, signifiant une température avoisinant les 60°C. 

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Capture d'écran effectuée sur le site de Copernicus le 23 juillet 2023

 

La carte est accompagnée d'un article (en anglais) titré "Une vague de chaleur torride frappe l'Espagne" (lien archivé ici).

"Le 11 juillet 2023, la température de surface des terres dans certaines régions d'Extremadura (Espagne) a dépassé 60°C, comme le montre cette visualisation de données issue des mesures de l'instrument Sea and Land Surface Temperature Radiometer (SLSTR) du satellite Copernicus Sentinel-3. La vague de chaleur actuelle en Espagne cette semaine entraîne un total de 13 communautés autonomes placées en alerte rouge (risque extrême), en alerte orange (risque important) et en alerte jaune (risque modéré) en raison de températures maximales qui, dans certains cas, dépasseront 40°C et atteindront un maximum de 43°C", explique l'article. 

"La température de surface des terres (LST) correspond à la température du sol et ne doit pas être confondue avec la température de l'air", précise une note à la fin de l'article.

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Capture d'écran effectuée sur le site de Copernicus le 23 juillet 2023

 

Le lendemain, l'Agence spatiale européenne (ESA) publie à son tour un article sur la vague de chaleur en Europe. L'ESA est en effet en charge du volet spatial du programme Copernicus, à travers un réseau de satellites baptisés "Sentinels", dont l'un deux possède un radiomètre permettant de mesurer la température de surface des terres, indique l'ESA sur son site  (lien archivé ici).

Dans son article (en anglais), intitulé "L'Europe se prépare à affronter un mois de juillet étouffant" (lien archivé ici), l'ESA parle à la fois de la température de l'air et de la température de surface des terres. 

"Le record de température le plus élevé de l'histoire européenne a été battu le 11 août 2021, lorsque la température de 48,8°C a été enregistrée à Floridia, une ville italienne dans la province sicilienne de Syracuse. Ce record pourrait être de nouveau battu dans les prochains jours", écrit ainsi l'ESA. "Dans certaines villes, la surface de la terre a dépassé 45°C, notamment à Rome, Naples, Tarente et Foggia. Sur les pentes est de l'Etna en Sicile, de nombreuses températures ont été enregistrées à plus de 50°C", peut-on lire plus loin dans l'article.

"La vague de chaleur frappe également d'autres villes d'Europe, avec des températures de l'air attendues à 44°C dans certaines parties de l'Espagne plus tard dans la semaine. [...] Les températures de surface de la terre ont atteint 46°C à Rome, en Italie, tandis que Madrid et Séville en Espagne ont atteint respectivement 46°C et 47°C", écrit encore l'ESA.

L'article explique la différence entre les deux types de mesures: "alors que les prévisions météorologiques utilisent les températures de l'air prévues, cet instrument satellitaire mesure la quantité réelle d'énergie rayonnant depuis la Terre - et représente la température de la surface de la terre. Par conséquent, la carte montre la température réelle de la surface de la terre, qui est nettement plus élevée que les températures de l'air".

Dans une mise à jour publiée le 18 juillet en préambule de son article, l'ESA précise une nouvelle fois : "La température de surface de la terre est la chaleur ressentie à la surface de la Terre. La température de l'air, donnée dans nos prévisions météorologiques quotidiennes, est une mesure de la chaleur de l'air au-dessus du sol". 

Aucun des deux articles n'affirme que des records de chaleur ont été battus. En outre, si les deux évoquent à la fois des températures de surface des terres et des températures de l'air - ce qui a pu prêter à confusion chez certains lecteurs - ils précisent bien qu'ils s'agit de deux données différentes et non qu'une mesure (celle au sol) aurait remplacé l'autre (celle de l'air).

"Nous n'avons pas modifié notre méthode de relevés des températures", a confirmé à l'AFP le 23 juillet Clément Albergel, spécialiste des applications climatiques à l'ESA (lien archivé ici). En 2022, l'Agence avait déjà publié des articles à partir du recueil des températures de surface des terres, par exemple ici ou ici (liens archivés ici et ici).

D'autre part, "l'ESA n'a pas de mandat pour établir des records de température" et "les données de températures de surface de la terre obtenues depuis l'espace ne sont pas utilisées pour établir les records de chaleur homologués par l'Organisation météorologique mondiale", a-t-il ajouté. 

Des critères drastiques pour établir les records de température

L'Organisation météorologique mondiale (OMM), une institution spécialisée de l'ONU, est "l'autorité reconnue pour vérifier les records météorologiques extrêmes", explique-t-elle sur son site. Elle tient à jour une Archive officielle des Extrêmes météorologiques et climatiques, incluant des relevés de température (à l'échelle mondiale et par hémisphère), de précipitations, d'aridité, de foudre et de mortalité liée aux conditions météorologiques.

"L'OMM est responsable du suivi des relevés de température mondiaux et par hémisphère - et dans certains cas, au niveau continental (comme en Europe). Nous le faisons en nous basant sur les instruments des stations météorologiques, PAS sur des satellites"a confirmé à l'AFP le 25 juillet 2023 une porte-parole de l'OMM.

"Pour les prévisions météorologiques (et l'établissement des températures records), c'est la température de l'air qui est utilisée - à 2 mètres du sol", a déclaré cette porte-parole.

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Le mois de juin le plus chaud

 

L'OMM a publié le 17 juillet un article (en anglais - lien archivé ici) expliquant le long processus d'homologation des records de température.

"Actuellement, l'OMM est en train de vérifier deux relevés de température de 54,4°C, enregistrés à Death Valley [la vallée de la Mort, NDLR], en Californie (Etats-Unis), le 16 août 2020, et à nouveau le 9 juillet 2021. Si ces relevés sont validés, cela constituerait la température la plus élevée sur Terre depuis 1931 et la troisième plus élevée jamais enregistrée sur la planète", indique l'article.

"Les enquêtes sont minutieuses et prennent donc du temps. Les résultats sont publiés dans des revues scientifiques et évalués par des pairs. Les capteurs utilisés en 2020 et 2021 à Death Valley doivent être démontés et envoyés à un laboratoire indépendant pour étalonnage et tests. L'un des tests a été effectué et nous attendons le résultat du deuxième", poursuit-il.

L'OMM précise dans cet article que si des records de température devaient être battus au cours des vagues de chaleur en cours, elle publierait "une évaluation préliminaire rapide", puis entamerait "des évaluations détaillées dans le cadre de [son] processus de vérification minutieux"

Interrogé par l'AFP le 25 juillet 2023, un porte-parole de Copernicus a confirmé que l'observatoire européen n'avait pas non plus "modifié ses méthodes de mesures" climatiques. Sur son site, le service climatique de Copernicus précise que les températures qu'il utilise sont "mesurées à proximité de la surface de la Terre, à une hauteur d'environ 2 mètres au-dessus du sol" (lien archivé ici)

En ce qui concerne le France, Météo-France applique également des critères rigoureux pour établir les records de température nationaux à partir des mesures prises dans ses stations météorologiques, et répondre aux normes fixées par l'OMM, comme l'expliquait récemment cet article de l'AFP (lien archivé ici).

A quoi sert de mesurer la température au sol ?

Les scientifiques surveillent la température de surface de la terre pour mieux "comprendre et prévoir les schémas météorologiques et climatiques", ainsi que pour "surveiller les incendies". Ces mesures sont également particulièrement importantes pour "les agriculteurs qui optimisent l'irrigation de leurs cultures" et pour les urbanistes qui cherchent à améliorer les stratégies d'atténuation de la chaleur, explique l'ESA.

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Les îlots de fraîcheur à Paris

 

Au sein d'une ville comme Paris, par exemple, certaines zones plus urbanisées sont plus chaudes que d'autres. "Avec ces données satellites, on peut établir des cartes d'indice de chaleur urbaine, d'inconfort thermique et ainsi agir de manière ciblée, en installant des espaces verts (des arbres ou des ombrières) ou bleus (des fontaines) qui ont un effet rafraîchissant dans les zones les plus vulnérables. On peut également suivre l'effet de la rénovation énergétique", explique M. Albergel.

"En ce sens, les observations satellites peuvent permettre de suivre l'impact des mesures d'adaptation au changement climatique. L'impact en terme de confort thermique sur les habitants, mais aussi l'impact économique: un investissement d'un certaine somme en euros permet d'améliorer le confort thermique de telle ou telle zone de la ville de Paris en baissant les températures", ajoute-t-il.

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