Non, une étude évoquant le chiffre de 74% de décès "dûs" aux vaccins Covid n'a pas été publiée puis retirée du Lancet


Non, une étude évoquant le chiffre de 74% de décès "dûs" aux vaccins Covid n'a pas été publiée puis retirée du Lancet

Publié le vendredi 28 juillet 2023 à 10:38

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Auteur(s)

Gwen Roley / AFP Canada / AFP France

Des internautes sur les réseaux sociaux affirment qu'une étude, qui évoquait le chiffre de 74% de décès liés aux vaccins contre le Covid-19, a été publiée sur le site de la prestigieuse revue scientifique britannique The Lancet avant d'être rapidement "censurée". Mais cet article n'a jamais été publié par la revue: il n'avait été que mis en ligne sur un serveur de prépublications auquel coopère The Lancet. Cette étude n'a pas suivi le processus de revue par les pairs obligatoire avant publication en bonne et due forme. The Lancet a finalement décidé de retirer l'étude du serveur de prépublications, jugeant que ses conclusions n'étaient pas suffisamment étayées. Des experts indépendants ont par ailleurs pointé, auprès de l'AFP, les failles du document et les antécédents de trois de ses auteurs, connus pour avoir diffusé des informations erronées sur le Covid.

"Les vaccins COVID ont tué un nombre considérable de personnes et le gouvernement l'a dissimulé. 74% des décès post vax sont dus aux vax ! C'est l'étude la plus dommageable de la pandémie, elle a été publiée dans The Lancet ! Mais vous vous en doutez, elle a été censurée en moins de 24h", écrit Silvano Trotta, dont les allégations ont déjà été vérifiées à plusieurs reprises par l'AFP (123).

Son message publié sur Twitter, rebaptisé X, le 7 juillet 2023 a été relayé depuis plusieurs centaines de fois sur les réseaux sociaux (ici, ici et ici) et sur des divers sites (ici, ici et ici). 

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Capture d'écran du compte Twitter, rebaptisé X, de Silvano Trotta prise le 26 juillet 2023

 

"Une étude du Lancet sur les autopsies post vaccin Covid conclut que 74% des décès ont été causés par le vaccin. La revue a retiré l’étude dans les 24 heures", peut-on lire par ailleurs sur ce site. "La question qui se pose est la suivante: Qui a appelé le Lancet ? Qui s’est opposé à ce que le Lancet fasse cela du jour au lendemain ?"

Attention : l'article en question, intitulé "A Systematic Review of Autopsy Findings in Deaths after COVID-19 Vaccination" n'a pas été publié dans The Lancet, mais sur un serveur de prépublication associé à la revue où les chercheurs peuvent télécharger leur travail pendant ce dernier est examiné par les pairs.

Contacté par l'AFP, Lancet Group a confirmé de son côté que l'article avait été retiré du serveur, invoquant une méthodologie ne permettant pas d'étayer les conclusions. 

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Le logo de la revue scientifique britannique, le 20 novembre 2017

AFP

 

Etude, publication, prépublication... : de quoi parle-t-on? S'il est communément utilisé pour désigner, grosso modo, tout travail de recherche rendu public, le mot étude recouvre des choses un peu différentes, comme l'AFP factuel l'expliquait ici. Dans le monde de la recherche, le terme de "publication" désigne lui les études publiées dans une revue scientifique.

Traditionnellement, le Graal est d'être publié dans un titre prestigieux, comme, en médecine, The Lancet ou The JAMA ou the New England Journal of Medicine... 

Pour être "publié" , il faut "soumettre" son texte à une revue. S'il est jugé d'un niveau suffisant, elle pourra le faire viser par des scientifiques indépendants, c'est la "revue par les pairs" ("peer-review"), qui vont commenter en détail le texte et le cas échéant demander à l'auteur des précisions et de modifier son texte. Vient alors la décision finale de publier ou non. Le processus peut prendre plusieurs semaines voire davantage. 

Depuis 2018, The Lancet collabore avec Social Science Research Network (SSRN) pour proposer aux auteurs un espace de prépublication dédié appelé "Preprints with The Lancet" (archivé ici ). "Une prépublication est une version d'un manuscrit scientifique publiée sur un serveur public avant toute évaluation formelle par les pairs", peut-on lire sur le site internet de la revue. "Les prépublications ne sont pas évaluées par des pairs et ne doivent pas être utilisées pour la prise de décision clinique ou pour rendre compte de la recherche à un public profane sans indiquer qu'il s'agit d'une recherche préliminaire qui n'a pas été évaluée par des pairs."

Les prépublications "disponibles via le SSRN ne sont pas des publications du Lancet ou ne sont pas nécessairement en cours de révision avec une revue du Lancet", insiste la revue scientifique. 

Dans le cas de l'étude citée dans la publication virale sur les réseaux sociaux, les personnes qui la partagent "font la confusion entre la recherche évaluée par des pairs, qui concerne une science évaluée avec rigueur, avec un serveur de prépublication qui est un endroit où les scientifiques publient leur travail", souligne Sarah Everts, professeure de journalisme scientifique à l'université Carleton, à Ottawa, au Canada. 

Les prépublications permettent aux chercheurs de publier rapidement leur travail mais un article doit toujours être évalué par d'autres experts pour s'assurer que les conclusions de l'étude sont fondées et sans erreur, explique-t-elle dans une interview à l'AFP le 11 juillet 2023. 

Sur le site du serveur, l'article complet n'est plus accessible. "Cette prépublication a été supprimée par Preprints with The Lancet car les conclusions de l'étude ne sont pas étayées par la méthodologie de l'étude. Preprints with The Lancet se réserve le droit de supprimer un article qui a été publié si nous établissons le fait qu'il a enfreint nos critères de sélection", peut-on lire.

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Capture d'écran du serveur Social Science Research Network prise le 26 juillet 2023

 

On peut toutefois visualiser la prépublication sur le site Wayback Machine (ici), qui archive les pages web, ou encore sur un autre serveur, Zenodo (lien archivé). On peut y lire que "trois médecins ont examiné de manière indépendante tous les décès" en se basant sur les "rapports d'autopsie et de nécropsie liés à la vaccination Covid-19" publiés jusqu'au 18 mai 2023, "et ont déterminé si la vaccination contre la COVID-19 était la cause directe ou avait contribué de manière significative au décès", lit-on dans la section méthodologie de l'article.

Au final, un total de 240 décès (73,9%) ont été "jugés de manière indépendante comme étant directement dus à la vaccination contre le COVID-19 ou y ayant contribué de manière significative. (...) Une nouvelle enquête urgente est nécessaire afin de clarifier" ces conclusions, affirment les auteurs.

Pour Zhou Xing, professeur d'immunologie à l'Université McMaster, au Canada, cette méthodologie comporte une faille, celle de ne pas sembler tenir compte de l'état de santé et de l'âge des personnes décédées pour expliquer leur décès survenu après la vaccination. 

"L'analyse et la conclusion semblent incroyablement ridicules et je pense qu'il n'est pas nécessaire d'être un expert scientifique ou médical pour détecter les principaux défauts", a-t-il déclaré dans un courriel à l'AFP le 12 juillet 2023.

Compte tenu du nombre important de personnes vaccinées contre le Covid, les taux de mortalité sont inévitablement plus élevés pour les personnes vaccinées, et ce quelle que soit la cause du décès, a-t-il ajouté. 

Le profil des trois de ses auteurs - Roger Hodkinson, William Makis, Peter A McCullough  - pose également question.

Peter McCullough est un cardiologue américain qui a déjà fait l'objet de vérifications de l'AFP pour avoir diffusé des informations erronées sur les vaccins Covid-19. Ses affirmations non étayées sur les dangers des vaccins lui ont valu des mesures disciplinaires de la part de l'American board of internal medicine (ABIM). Roger Hodkinson a lui prétendu que la pandémie était un canular, des affirmations abondamment reprises sur les réseaux sociaux en 2020. Quant à William Makis, il  a par le passé répandu des affirmations non fondées selon lesquelles des médecins mouraient de la vaccination anti Covid-19.

Des précédents qui incitent Brian Ward, un professeur de médecine expérimentale qui étudie les effets indésirables des vaccins à l'Université McGill au Canada, à la prudence et à la méfiance. "La façon dont ils utilisent le mot 'indépendamment' ici signifie simplement que chacun s'est assis dans une pièce à part pour parvenir à une conclusion personnelle avant de partager leurs classifications (largement prédéterminées) les uns avec les autres", estime-t-il dans un courriel daté du 12 juillet 2023.

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Capture d'écran du site internet Résistance Républicaine, prise le 26 juillet 2023

 

Même retirées du site et assorties d'un message portant sur leurs failles ou leur caractère erroné, les prépublications continuent de se propager, relève Timothy Caulfield, professeur de droit et de politique de la santé à l'Université de l'Alberta. "Elles entrent dans le débat public et même si elles sont retirées ou si leurs failles sont mises en évidence, cela n'a pas d'importance", ajoute-t-il auprès de l'AFP le 12 juillet 2023. Mieux : le retrait de ces documents, que Timothy Caulfield surnomme les "documents zombies", sert le discours de "censure".

Récurrente sur les réseaux sociaux, la désinformation au sujet des vaccins anti-Covid consiste souvent à laisser entendre qu'il y a un lien de causalité entre vaccination et décès, en interprétant de façon erronée les données de pharmacovigilance des autorités sanitaires. L'AFP a consacré de très nombreux articles de vérification à ce sujet, comme ici par exemple.

De manière générale, mourir après avoir été vacciné contre le Covid-19 - même quelques jours après - ne signifie pas pour autant que le vaccin a provoqué le décès. Par ailleurs, si de rares effets secondaires graves de la vaccination contre le Covid-19, notamment la myocardite, font l'objet d'une surveillance, l'avantage d'être immunisé contre la maladie dépasse à ce stade les risques, selon des médecins et des chercheurs interrogés par l'AFP. 

D'autres études ont parallèlement conclu que les vaccins Covid-19 avaient permis de sauver des millions de vie. Une étude de l'Imperial College of London publiée le 22 juin 2022 a ainsi évalué à 19,8 millions le nombre de décès évités dans 185 pays sur une année, entre le 8 décembre 2020 et le 8 décembre 2021, grâce à la vaccination.

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