Objectif atteint pour 2019-2023? Les limites du satisfecit d'Olivier Véran sur la réduction d'émissions de gaz à effet de serre


Objectif atteint pour 2019-2023? Les limites du satisfecit d'Olivier Véran sur la réduction d'émissions de gaz à effet de serre

Publié le vendredi 26 mai 2023 à 10:40

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(THOMAS COEX / AFP)

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AFP France

La France a-t-elle "atteint" ses objectifs 2019-2023 de réduction d'émission de gaz à effet de serre? Au lendemain de la présentation d'un nouveau plan d'action visant à accélérer cette baisse, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran s'est réjoui des progrès réalisés en la matière et affirmé que le pays avait "atteint l'objectif" fixé sur la période, et était même "en avance". Une affirmation à nuancer : les chiffres pour 2023 ne sont pas encore connus, les objectifs initiaux avaient été revus à la baisse en 2020, et la diminution constatée ces dernières années est en partie liée à des aléas extérieurs (Covid-19, guerre en Ukraine), pointent les défenseurs de l'environnement interrogés par l'AFP. L'action de la France continue d'être par ailleurs jugée insuffisante par le Haut conseil pour le climat ou encore le Conseil d'Etat.

Objectif 2030 : la Première ministre Elisabeth Borne a présenté (archive) lundi 22 mai 2023 un nouveau plan visant à réduire, d'ici sept ans, les émissions de gaz à effet de serre (GES) en France de 50% par rapport au niveau de 1990, conformément aux nouveaux objectifs (archive) fixés par l'Union européenne.

Concrètement, il s'agit d'atteindre 270 millions de tonnes de CO2 équivalent par an (MtCO2e/an) en 2030, contre 408 millions en 2022 (chiffres provisoires) - soit faire baisser les émissions de GES à un rythme deux fois plus rapide qu'aujourd'hui.

Ce plan, qui doit encore être discuté avec les filières et passer par une loi climat-énergie au Parlement, compte notamment sur l'électrification des voitures et la covoiturage, mais aussi sur un effort sur la logistique (électrification ou passage à l'hydrogène des véhicules, report sur le fluvial et le ferroviaire...) dans un contexte de boom des livraisons à domicile.

"Non seulement ça va être ambitieux mais ça va impacter notre quotidien (….) c’est un défi collectif",  a souligné (archive) le porte-parole du gouvernement Olivier Véran sur France Inter mardi 23 mai 2023, tout en se disant confiant dans la capacité à atteindre les objectifs fixés.

"Entre 2019 et 2023, on avait un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, non seulement on a atteint l’objectif mais on est, entre guillemets, en avance. Ca paraît bizarre de dire qu’on est en avance tant il y a urgence pour la planète mais c’est un fait, ça veut dire que la détermination politique à agir, elle porte ses fruits, il faut le reconnaître, ce n’est pas toujours le cas, ce qui nous permet de nous dire qu’il faut aller plus vite et qu’on est en capacité de le faire", a-t-il souligné.

"On a la trajectoire, on a des objectifs et on a une première étape intermédiaire qui montre qu’on est sur la bonne voie, on était à près de 600 millions de tonnes de CO2 rejetés, on est aux environs de 400 et quelques, on doit descendre en dessous des 300 nous allons y arriver", a-t-il encore ajouté. 

Qu'en est-il précisément ? Si sur le papier, les objectifs - revus à la baisse en 2020 - devraient "probablement" être respectés pour la période 2019-2023, c'est sous réserve des chiffres de 2023 qui ne sont pas encore connus, indique le Citepa, organisme mandaté pour réaliser l'inventaire français des émissions. Ce résultat est en outre moins lié à des réformes structurelles d'ampleur qu'à des aléas extérieurs (guerre en Ukraine et Covid), soulignent de leur côté les défenseurs de l'environnement. 

Revenons aux objectifs fixés en matière de réduction d'émissions de GES. Depuis 2015, ces objectifs sont inscrits dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) (archive), qui fait office de feuille de route dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et qui fixe des plafonds d'émissions.

Adoptée sous le quinquennat de François Hollande, la première SNBC (archive) prévoit alors de diviser par quatre les émissions de GES à l'horizon 2050 par rapport à 1990 et fixe trois premiers budgets carbones :  442 Mt de CO2eq par an sur la période 2015-2018, 399 sur 2019-2023 et 358 sur 2024-2028. 

L'équivalent dioxyde de carbone (CO2eq) est l'unité de mesure des émissions de GES (comme le C02, le méthane, le protoxyde d'azote, entre autres), sur la base de leur potentiel de réchauffement global, tenant compte de la durée durant laquelle ce gaz est actif dans l'atmosphère. Comme les différents GES ont des pouvoir réchauffant et des durées de vie différentes, a été créée une unité pour mesurer et comparer les émissions de GES cumulées.

Le CO2 est considéré comme  le gaz de référence, d'où l'idée d'"équivalent C02" : les autres GES sont "convertis" en CO2.

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Capture d'écran du site de Légifrance prise le 23 mai 2023

 

En dépit de la volonté politique affichée, le premier budget carbone n'est in fine pas respecté : en moyenne, 456 Mt CO2e/an été émises sur la période 2015-2018 contre les 442 Mt CO2e/an prévus initialement, selon les chiffres (archive) du Citepa. Un dérapage attribué à des éléments conjoncturels, comme le faible prix des produits pétroliers sur la période "qui incite à la consommation", et l'indisponibilité de certaines centrales nucléaires "qui a provoqué un recours accru aux centrales" à charbon et à gaz, expliquait, pour l'année 2016, le ministère de la Transition écologique à l'époque (archive). 

Ce dépassement sera à l'origine d'une plainte déposée contre l'Etat pour inaction climatique par des ONG réunies sous la bannière "l'Affaire du siècle". En 2021, la justice leur donne raison, déclarant (archive) l’État "responsable" de manquements à ses engagements et du "préjudice écologique" qui en découle, et ordonne (archive) que le dépassement soit compensé le "31 décembre 2022, au plus tard".

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Des membres des ONG réunies sous la bannière "L'Affaire du siècle" devant le tribunal administratif à Paris, le 14 mars 2019

AFP

 

Après l'objectif raté sur la période 2015-2018, les ambitions sont revues à la baisse. Pour Edouard Philippe, alors Premier ministre, les retards déjà pris ne peuvent pas être "rattrapés" (archive) et les objectifs doivent donc être révisés par "souci de sincérité et de réalisme". Résultat, le plafond maximal d'émissions est relevé. 

Concrètement, les budgets carbone pour la période 2019-2023 sont désormais fixés (archive) à 422 Mt de CO2eq par an, contre 399 prévus initialement en 2015. Pour les deux budgets suivant (2024-2028 et 2029-2033), les plafonds sont respectivement fixés à 359 et 300 Mt de CO2eq par an, hors émissions et absorptions associées à l'usage des terres et à la foresterie.

Revenons aux déclarations d'Olivier Véran sur France Inter : la France a-t-elle atteint, voire dépassé, ses objectifs fixés pour le deuxième budget carbone?

A l'heure actuelle, les chiffres 2023 n'étant pas connus, il n'est pas possible de l'affirmer avec certitude comme le fait le porte-parole du gouvernement. Mais sur la période 2019-2022, la tendance semble, effectivement, plutôt positive. 

Dans une note (archive) publiée le 2 mai 2023, le Citepa chiffre ainsi la moyenne des émissions pré-estimées sur la période 2019-2022 "à 413 Mt CO2, sous-réserve de la consolidation des estimations". La tendance, poursuit-il, "indique un probable respect de ce budget carbone, sous-réserve de la valeur de 2023."

"On n’a pas de données sur 2023, les données sur 2022 restent des données préliminaires" mais "sur les années pour lesquelles on a des chiffres, si on se réfère à la trajectoire actuellement en vigueur, le constat" d’Olivier Véran "est juste", indique Andreas Rüdinger (archive) de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). 

"En considérant uniquement la nouvelle trajectoire des budgets carbone telle que révisée" en 2020 "le gouvernement a raison : entre 2019 et 2022, les émissions observées sont inférieures au plafond de la trajectoire des budgets carbone", ajoute l'expert, contacté par l'AFP le 24 mai 2023. En revanche, "si on raisonne sur la base de l'ancienne trajectoire, plus ambitieuse pour le 2e et 3e budget carbone, on a toujours été au-dessus, sauf en 2020, année exceptionnelle en raison du Covid-19". 

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Capture d'écran, prise le 24 mai 2023, d'un graphique sur le site de l'observatoire climat énergie

 

Tout est question de perspectives donc. Le rôle joué par les aléas extérieurs est également à prendre en compte, soulignent les défenseurs de l'environnement, qui pointent une baisse en trompe l'oeil.

"Ce qui fait que le gouvernement est rentré à peu près dans les clous, c’est bien parce qu’on a eu la crise du Covid et la crise énergétique récente qui a fait une sorte de transition énergétique subie pour beaucoup de gens", note Justine Ripoll (archive) responsable des campagnes à l'ONG "Notre affaire à tous", contactée le 23 mai 2023. "Donc c’est vrai qu’au global sur 2019-2023 ils pourraient atteindre leurs objectifs mais ce n’est du tout régulé, pas du tout structurel."

Même analyse à Réseau Action Climat, qui fédère une vingtaine d'ONG impliquées dans la lutte contre le dérèglement climatique. "Si on regarde toute la période, il y a eu la crise Covid, avec des restrictions de déplacement, qui a eu un impact important donc il n’y a pas de raison de faire un cocorico, et ensuite il y a la guerre en Ukraine avec une hausse importante des prix de l’énergie", souligne Anne Bringault, directrice des programmes à Réseau Action Climat.

"Deuxièmement, les budgets carbone ont été augmentés sur la deuxième période du fait de la baisse qui n’était pas en rendez-vous sur la période 2015-2018, donc ça facilite la tenue des objectifs quand on se met une barre un peu moins haute".

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La Première ministre Elisabeth Borne lors de la présentation du nouveau plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre, à Paris, le 22 mai 2023

AFP

 

Au-delà des défenseurs de l'environnement, l'action de l'Etat est régulièrement pointée du doigt et jugée insuffisante par le Haut conseil sur le climat, des parlementaires ou par des décisions de justice.

Le 10 mai dernier, le Conseil d'Etat mettait ainsi le gouvernement sous pression (archive) pour qu'il fasse plus, et plus vite, en matière climatique, en exigeant de nouvelles mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d'ici un an.

"Le conseil d'Etat estime que, si des mesures supplémentaires ont bien été prises et traduisent la volonté du gouvernement d'exécuter la décision, il n'est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée", indiquait la juridiction dans un communiqué.

Un mois plus tôt, deux députés - Laurence Heydel Grillere (Renaissance) et Antoine Vermorel-Marques (LR) - avaient fait le même constat (archive) lors de la remise de leurs conclusions d'une mission portant sur le suivi des engagements pris par la France dans les conférences internationales sur le climat, les COP.

Ils jugeaient notamment que l'ambition de la France étaient "forte mais encore insuffisante" en matière de réduction de ses émissions et constataient des limites dans le suivi des émissions, avec par exemple l'absence de prise en compte de celles des transports aérien et maritime internationaux, la fragilité du puits de carbone forestier (qui absorbe moins que ce qui était estimé dans les années 2000) ou encore une augmentation des émissions importées.

L'an dernier, c'était le Haut conseil pour le climat qui exhortait (archive) à "un sursaut de l'action climatique" en France. Dans son rapport, le HCC notait des mesures positives, notamment de nouvelles règles de performance énergétique des bâtiments neufs ou le développement d'énergies décarbonées dans l'agriculture, et la baisse, pour la première fois en 2021, des émissions de tous les grands secteurs.

Mais pour réduire ses émissions de 40% d'ici 2030, comme elle s'y est engagée, la France devrait, selon le HCC, doubler le rythme de baisse de ses émissions à environ 16 millions de tonnes équivalent CO2 (-4,7%) par an sur la période 2022-2030. Soit une diminution de 16 millions de tonnes équivalent CO2 par an en moyenne contre 8 millions par an sur la dernière décennie. 

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Marche pour le climat, à Paris, le 12 mars 2022

AFP

 

Dans ce contexte, tous les yeux sont tournés vers le troisième et le quatrième budget carbone.

"Au-delà de la question du deuxième budget, se pose surtout la question du troisième et du quatrième", confirme Andreas Rüdinger. "La révision de 2020 revenait à remettre l’effort plus tard, en se disant +ce qu’on n’arrive pas à faire aujourd’hui il faut le rattraper, et aller encore plus vite plus tard+. Cette pente de l’accélération devient extrêmement ambitieuse, donc le vrai sujet c’est comment on accélère."

"Le Haut conseil pour le climat rappelait déjà l’année dernière qu’il fallait désormais doubler le rythme de réduction des émissions. Or on n’a plus le choix comme avant de transférer l’ambition d’un secteur sur un autre. Et Il faut faire attention à comment on fait les choses : il peut y avoir la tentation de réaliser au plus vite des réductions d’émissions rapides notamment en changeant les équipement de chauffage partout en remplaçant par de l’électrique et de la pompe à chaleur mais si on fait cela sans faire une vraie rénovation énergétique avec les travaux d’isolation, etc... on risque d’aggraver le problème par la suite", ajoute le chercheur.

Lundi, la Première ministre Elisabeth Borne a indiqué que la moitié des leviers recensés pour remplir les objectifs fixés étaient déjà engagés (soutien à l'achat de voitures électriques, loi sur les énergies renouvelables, interdiction de nouvel équipement en chaudières fioul...).

Pour le reste, des réunions sont prévues entre ministres et acteurs concernés (énergie, agriculture, etc.), pour affiner ce plan d'ici fin juin et la tenue d'un "conseil de planification écologique" autour d'Emmanuel Macron.

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