Une carte qui remet en cause la réalité de la sécheresse actuelle en France ? C'est trompeur


Une carte qui remet en cause la réalité de la sécheresse actuelle en France ? C'est trompeur

Publié le mercredi 21 juin 2023 à 11:34

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Alexis ORSINI / AFP France

Sur les réseaux sociaux, depuis la mi-juin, des internautes partagent une carte du "niveau actuel des cours d'eau" en France pour affirmer que le pays ne connaît pas en ce moment un épisode de sécheresse. Si cette carte, tirée du site "Information sécheresse", reflète bien le niveau récent des cours d'eau de l'Hexagone, majoritairement proche de la moyenne grâce aux récentes précipitations, elle ne remet pas en cause la sécheresse hydrologique en cours, comme le soulignent plusieurs experts à l'AFP. 66% des nappes phréatiques étaient toujours "sous les normales mensuelles" avec "de nombreux secteurs affichant des niveaux bas à très bas", selon le dernier bilan en date sur le sujet, publié mi-juin, leur recharge se faisant essentiellement l'hiver.

"Voici la réalité derrière la propagande d'une soi-disant sécheresse...", "Qui parle de sécheresse ? Certainement pas la nature", "Ah sécheresse quand tu nous tiens" : sur les réseaux sociaux, depuis la mi-juin, des internautes partagent une même carte de France. Selon eux, elle est censée démontrer l'absence de sécheresse sur la grande majorité du territoire.

Au 12 juin (lien archivé), 36 départements avaient adopté,  des mesures de restrictions des usages de l’eau.

On voit, sur cette capture d'écran du site "Info sécheresse" partagée dans les messages que nous étudions, l'essentiel de l'Hexagone recouvert de vert, avec des "cours d'eau" essentiellement en "situation normale", d'après le code couleur associé, et une partie du sud majoritairement à un "niveau très haut", "haut" ou encore "modérément haut". 

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Capture d'écran réalisée sur Twitter (à gauche) et sur Facebook (à droite) le 19 juin 2023.

 

"Voici le niveau des cours d'eau, largement supérieur aux normes de saison dans le sud de la France. A noter par exemple que dans les Alpes du Sud, comme en Haute-Provence, il faut parfois remonter à juin 1992 pour retrouver de tels cumuls pluviométriques !", soutient la légende accompagnant ces publications, relayées sur Twitter (1, 2) et Facebook (3, 4, 5, 6). 

Mais cette affirmation est trompeuse, comme l'a expliqué à l'AFP Simon Mittelberger, météorologue à Météo France, le 20 juin 2023.

"Les niveaux des cours d'eau  sont bien remontés, principalement grâce aux précipitations qu'on a depuis le milieu du mois de mai et surtout sur le mois de juin. [...] Mais la carte porte sur un type de sécheresse" alors qu'il en existe plusieurs, résumées sur le site du ministère de la Transition écologique (lien archivé) : la sécheresse météorologique ("provoquée par un manque de pluie"), la sécheresse agricole (due à un "manque d’eau dans les sols") et la sécheresse hydrologique ("lacs, rivières, cours d’eau ou nappes souterraines" à  "des niveaux anormalement bas"). 

"Forcément, avec les précipitations que l'on a eues ces dernières semaines dans le sud-est, on a des sols qui sont aujourd'hui plus humides que la normale. Cette sécheresse agricole s'est largement atténuée. Par contre, la sécheresse hydrologique, au niveau des nappes souterraines, reste très préoccupante", poursuit le spécialiste, tout en pointant du doigt une affirmation erronée de la publication sur le prétendu record de pluie observé dans le sud-est de la France : "Juin 1992 est bien le mois de juin le plus pluvieux sur le sud-est, et notamment en Provence-Alpes Côte d'Azur où on avait eu 160 mm [de précipitations, NDLR]. Mais aujourd'hui sur la région PACA, au 20 juin, on est à 80 mm."

"Quand on regarde le système global d'une sécheresse, on ne peut pas affirmer que tout va bien. [...] Sur la totalité des masses d'eaux, on est encore sur une majorité d'entre elles qui est en déficit. C'est un fait, c'est ce qui est mesuré aujourd'hui", a indiqué pour sa part le 19 juin 2023 à l'AFP Olivier Depraz, directeur général d'Imageau, l'entreprise à l'origine de la plateforme Info Sécheresse. 

Des nappes phréatiques aux niveaux "nettement plus bas" que la normale

A la date du 19 juin 2023, Info Sécheresse, qui se base sur les données publiques françaises de la plateforme Hub'Eau (lien archivé) mais aussi sur celles d'ERA5 (lien archivé), un outil du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) indiquait toujours une tendance similaire des cours d'eau avec 110 zones en vert ("niveau proche de la moyenne"), 5 en jaune ("modérément bas"), 2 en rouge ("très bas"), 29 en bleu clair ("modérément haut"), 3 en bleu foncé ("haut") et 21 en bleu pétrole ("très haut"). 

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Capture d'écran réalisée sur le site d'Info Sécheresse le 20 juin 2023.

Alexis ORSINI

 

Mais il suffit de faire basculer la même carte sur la catégorie des nappes phréatiques pour constater que l'Hexagone apparaît alors essentiellement, à la même date, en jaune (115 occurrences), une couleur correspondant à un "niveau modérément bas", avec 87 zones rouges ("très bas"), 84 zones oranges ("bas") et seulement 53 en vert ("proche de la moyenne") pour 31 en bleu clair ("modérément haut"), 8 en bleu foncé ("haut") et 6 en bleu pétrole ("très haut"). 

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Capture d'écran réalisée sur le site d'Info Sécheresse le 20 juin 2023.

Alexis ORSINI

 

Un contraste notable expliqué par Simon Mittelberger : "On est encore sur des niveaux des nappes phréatiques qui sont nettement plus bas que la normale, voire extrêmement bas. Ceci est lié au déficit de précipitations que l'on a eu l'hiver dernier car c'est durant l'hiver que les nappes phréatiques se rechargent en eau."

66% des nappes phréatiques sous les normales mensuelles au 1er juin

En France, le niveau des nappes souterraines, qui constituent des réserves d'eau à long terme, est suivi par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM - lien archivé), qui s'intéresse en particulier leur remontée pendant la saison dite "de recharge", courant entre octobre et la fin mars-début avril.

Comme nous l'expliquions déjà en mai 2023, selon le bilan (lien archivé) du BRGM début avril, "75% des niveaux des nappes phréatiques rest[ai]ent sous les normales mensuelles", contre "58% en mars 2022".

Au 1er juin, 66% des nappes étaient toujours "sous les normales mensuelles" avec "de nombreux secteurs affichant des niveaux bas à très bas", a annoncé le 14 juin le BRGM dans un communiqué (lien archivé), précisant que "les précipitations du début du printemps ont permis de ralentir la vidange des nappes sur les secteurs les plus arrosés" mais qu'"en mai, les précipitations sont restées insuffisantes pour engendrer des épisodes de recharge et améliorer l'état des nappes".

Comme l'expliquait à l'AFP début mars Agnès Ducharne, hydrologue directrice de recherche au CNRS, "il ne suffit pas d'avoir beaucoup de pluie" pour recharger les nappes : "Les sols ne sont pas capables d'absorber des précipitations très importantes. C'est pourquoi il est beaucoup plus efficace d'avoir des pluies légèrement au-dessus de la moyenne pendant tout l'hiver, ou juste normales, pour recharger les nappes, plutôt que d'escompter qu'en un mois les pluies puissent compenser le déficit des mois passés.

Selon le bilan hivernal de Météo France publié début mars 2023 (lien archivé), "les précipitations ont été déficitaires d’environ 25% en moyenne sur le pays et l’hiver 2023 se classe au 9e rang des moins arrosés depuis 1959". 

Situation "contrastée" selon les régions pour l'humidité des sols

Si, dans son bilan climatique du printemps 2023 (lien archivé), Météo France note qu'en moyenne, "sur le pays et sur la saison, le cumul de précipitations a été conforme aux normales, signant le retour de la pluie après une période sèche record en fin d’hiver avec de nombreux épisodes pluvio-orageux en mars" et que "les précipitations de mars à avril 2023 ont permis de considérablement ré-humidifier les sols qui étaient très secs pour une fin d’hiver", cette moyenne ne doit "pas masquer une situation contrastée selon les régions." 

Dans l'ouest du bassin méditerranéen, contrairement au nord du pays, Météo France observe ainsi une humidification des sols restée "faible" et ne leur permettant pas de "retrouver une situation normale pour la saison". 

"Dans le sud-est, on a des précipitations excédentaires en mai et en juin mais elles font suite à de longs mois avec des précipitations très déficitaires : depuis janvier 2022, sur un an et demi, on est sur plus de 14 mois où on est en déficit de précipitations", précise Simon Mittelberger. 

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Capture d'écran du "bilan climatique du printemps 2023" de Météo France, réalisée le 19 juin 2023.

 

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Capture d'écran du "bilan climatique du printemps 2023" de Météo France, réalisée le 19 juin 2023.

 

Le 16 juin, les préfectures du Vaucluse et du Gard ont annoncé (lien archivé) la levée partielle des mesures de restriction d'usage de l'eau dans ces deux départements du sud de la France, rendue possible par les pluies "significatives" tombées depuis la mi-mai, les services de l'Etat notant toutefois que "ces pluies de fin de printemps n'ont permis qu'une amélioration relative des nappes phréatiques". 

Mi-juin 2023, la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) dans les Bouches-du-Rhône indiquait pour sa part (lien archivé) que, si "les pluies de mai ont fait du bien", elles ne sont "pas suffisantes pour inverser complètement la tendance qu'on connaît depuis un an."

"Il ne s'agit pas de dire que tout va bien mais que la situation est un peu moins critique", concluait-elle.

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    #sécheresse suite : voici le niveau des cours d'eau, largement supérieur aux normes de saison dans le sud de la France. A noter par exemple que dans les Alpes du Sud, comme en Haute-Provence, il faut parfois remonter à juin 1992 pour retrouver de tels cumuls pluviométriques !

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