Une étendue "record" de glace de mer arctique ne remet pas en cause le réchauffement climatique


Une étendue "record" de glace de mer arctique ne remet pas en cause le réchauffement climatique

Publié le lundi 29 janvier 2024 à 13:47

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Claire-Line NASS / AFP France

Depuis plusieurs années, les données montrent que la perte de glace de mer (ou banquise) arctique est l'une des conséquences déjà perceptibles du changement climatique. Pourtant, des publications très partagées sur internet assurent que puisque "la banquise arctique atteint son plus haut niveau depuis 21 ans" en janvier 2024, le réchauffement climatique serait un "mensonge". Mais il s'agit d'une interprétation erronée, comme l'expliquent régulièrement les climatologues : les données sur la banquise à un moment donné ne permettent pas d'en tirer des conclusions sur l'évolution de cette dernière, et encore moins sur le climat. La tendance est, depuis les années 1980, à la diminution de la banquise de la mer arctique, comme l'ont expliqué plusieurs scientifiques à l'AFP.

"En 2018, les médias nous racontaient que la couche de glace la plus solide de l'Arctique se brisait pour la première fois, et que c'était très inquiétant ! En 2024 ils oublient de vous dire (pourquoi ?) que la banquise arctique atteint son niveau le plus élevé depuis 21 ans", s'interroge une publication partagée plus de 700 fois sur X depuis le 17 janvier.

"Tout comme le Groenland, l'Arctique continue de défier les prophéties dogmatiques des alarmistes du climat qui prédisaient la disparition de la banquise. Il est temps d'arrêter leurs mensonges", poursuit-elle.

Le même texte a aussi été diffusé dans des dizaines de publications sur Facebook (par exemple ici ou ), vu des dizaines de milliers de fois sur Telegram ( ou ) et des internautes ont partagé les mêmes allégations en anglais.

Certaines publications renvoient aussi vers un article publié le 14 janvier blog "Notrickszone", qui a déjà relayé des assertions allant à l'encontre du consensus scientifique sur le réchauffement climatique causé par des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine.

Une autre publication sur X ayant collecté plus de 1.000 partages depuis le 17 janvier a aussi véhiculé une capture d'écran d'un article publié sur le site "The Daily Skeptic", qui a également déjà diffusé des affirmations trompeuses liées à la pandémie de Covid-19 ou du climat, traduit en français automatiquement avec Google.

Dans cet article, figure un graphique censé appuyer les propos avancés, sur lequel on peut voir les niveaux de banquise arctique chaque année depuis 2004.

Des blogs en français, comme celui-là, ont aussi repris ces affirmations.

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Capture d'écran prise surX le 24/01/2024

 

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Capture d'écran prise surX le 24/01/2024

 

Mais ces allégations sont trompeuses : si la banquise arctique varie de saisons en saisons, extraire des données de son étendue à un moment particulier ne permet aucunement de tirer des conclusions sur son évolution, ni sur le climat en général, ont déjà maintes fois rappelé des climatologues auprès de l'AFP. 

Diffuser de telles allégations trompeuses consiste en une technique répandue dans l'argumentaire de ceux qui assurent, à tort, que le réchauffement climatique n'est pas une réalité ou n'est pas lié aux activités des humains qui émettent des gaz à effet de serre. 

L'AFP a récemment consacré une fiche récapitulative au sujet des fausses rumeurs prétendant que l'existence du réchauffement climatique serait remise en cause dès qu'une étendue de banquise augmente.

Mauvaise interprétation des données

Les articles de blog mettent notamment en avant un graphique, réalisé avec des données du National Snow & Ice Data Center (NSIDC), un centre de recherches de référence basé aux Etats-Unis qui collecte des données sur la banquise arctique.

Sur le site du NSIDC, on peut retrouver un outil (lien archivé ici) qui permet de visualiser les données sur l'étendue de glace de mer arctique ("Arctic sea ice extent") année par année, en la comparant avec des valeurs moyennes sur la période 1981-2010, considérée comme référence par le NSIDC.

Les graphiques diffusés sur les réseaux sociaux ne choisissent quant à eux que de montrer que des années particulières, et ne rendent ainsi pas visibles les valeurs moyennes, qui permettent aux scientifiques de mieux visualiser des tendances à long terme.

Or, "une valeur légèrement plus élevée une année par rapport à une autre ne reflète tout simplement pas les changements climatiques, mais plutôt les changements météorologiques d'une année à l'autre", rappelle auprès de l'AFP le 23 janvier Elizabeth Thomas, professeure associée et chercheuse à l'université d'Etat de New York à Buffalo, qui étudie la paléoclimatologie (l'étude des climats passés) et la variation de l'environnement en Arctique. 

"Le climat est la moyenne à long terme des conditions météorologiques et n'est visible qu'en comparant les tendances à long terme", développe-t-elle.

"Si ce graphique présentait les données relatives à la glace de mer pour l'ensemble des relevés, depuis le début des observations, en 1979, il apparaîtrait clairement que la glace de mer diminue globalement au fil du temps. C'est pourquoi le NSIDC offre la possibilité de visualiser la moyenne 1981-2010, ce qui constitue une représentation de la 'climatologie' de la glace de mer, représentée par la zone grisée qui montre la variabilité naturelle moyenne de la glace de mer pendant une période de 30 ans", développe la spécialiste.

Or, ces dernières années, les valeurs de l'étendue de la glace de mer se trouvent dans le bas de la zone, voire y sont inférieures, "ce qui suggère des changements rapides dans les valeurs moyennes", analyse-t-elle encore.

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Capture d'écran de l'outil de visualisation de l'étendue de glace de mer arctique en janvier 2024, prise sur le site du NSIDC le 25/01/2024

 

Néanmoins, "il est vrai que la couverture de glace de mer se situe actuellement dans la fourchette interdécile de toutes les années que l'on considère. Cela se traduit en grande partie par une plus grande quantité de glace de mer dans la mer de Barents qu'au cours des dernières années", ajoute la chercheuse du NSIDC Julienne Stroeve auprès de l'AFP le 24 janvier 2024.

"Mais il n'est pas vrai qu'elle ait atteint son niveau le plus élevé depuis 21 ans. Certaines de ces 21 dernières années, la couverture de la glace de mer arctique a été plus élevée, comme en 2009. Et la couverture de cette année est similaire à ce qu'elle était en 2022", précise-t-elle, s'appuyant sur les données du NSIDC. 

Par ailleurs, se concentrer exclusivement sur des valeurs du début du mois de janvier 2024 pour en déduire des conclusions sur l'année 2024 voire sur l'évolution du climat est largement trompeur, relèvent les spécialistes interrogés par l'AFP. 

"Ce qui se passe pour l'étendue de glace en hiver n'a aucune incidence sur l'été", souligne Julienne Stroeve, illustrant que "ce n'est pas parce qu'il y a plus ou moins de glace en hiver qu'il y en aura plus ou moins en septembre. Cela peut sembler contre-intuitif, mais il n'y a pas de corrélation entre l'étendue de la glace de mer en hiver et l'étendue de la glace de mer en été".

A titre d'exemple, en 2012, année où la banquise arctique a connu un record d'étendue minimum en été, les valeurs de son étendue en hiver étaient proches de celle de l'été 2024, comme on peut le constater en visualisant les données du NSIDC.

En outre, "ces chiffres ne donnent aucune indication sur l'épaisseur réelle de la glace. Chaque hiver, la glace se reforme et la position de la limite de l'étendue de glace peut varier d'une année sur l'autre, en fonction des conditions météorologiques et océaniques", souligne aussi la chercheuse, concluant ne trouver aucune donnée "permettant d'affirmer que le réchauffement climatique ralentit dans l'Arctique".

Une diminution sur le long terme

En réalité, comme déjà détaillé dans cet article de vérification de janvier 2023, la superficie de la banquise arctique est, de façon générale, en déclin depuis les années 1980, comme le montrent d'ailleurs bien les données (lien archivé ici) du NSIDC.

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Evolution de la moyenne de glace de la banquise arctique en décembre, capture d'écran du site du NSIDC prise le 25/01/2024

 

Des scientifiques ont conclu dans plusieurs études (liens archivés ici et ) que cette tendance générale à la diminution de la banquise arctique ces dernières années.

Dans un article (lien archivé ici) publié en 2016 sur la plateforme spécialisée dans les enjeux liés au dérèglement climatique Carbon Brief (financée par la Fondation européenne pour le climat), la chercheuse du NSIDC Florence Fetterer (lien archivé ici) déplorait qu'il n'y avait jamais eu "dans les 150 dernières années, de moment où les glaces (de l'Arctique) ont recouvert aussi peu de surface que ces dernières années".

La glace de mer varie néanmoins largement suivant les saisons, ce qui explique qu'il puisse exister des augmentations puis des diminutions temporaires de sa surface au fil des mois.

C'est pourquoi "il vaut mieux regarder les séries pour un mois donné, notamment pour le maximum annuel (typiquement à la fin de l'hiver) et pour le minimum (à la fin de l'été, en septembre)", notait Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS et chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement de Grenoble, en janvier 2023 auprès de l'AFP.

"On voit que les dernières années étaient plutôt stables, mais il ne faut jamais regarder des tendances aussi courtes (en-dessous de 20 ans) sur une région finalement assez petite (par rapport au globe entier) et sur un indicateur qui a une forte variabilité interannuelle", soulignait-il aussi.

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Evolution de l'étendue de la banquise mesurée en septembre depuis 1980

AFP

 

Tamsin Edwards, climatologue au King's College de Londres, expliquait également à l'AFP dans ce précédent article de vérification de mai 2022, que si "la glace de mer varie d'une année à l'autre, (...) la tendance générale est au déclin".

Dans un résumé (lien archivé ici) de l'un de ses principaux rapports en 2021, le GIEC (Groupement international d'experts sur le climat) écrivait qu'"entre 2011 et 2020, la superficie moyenne annuelle de la banquise arctique a atteint son niveau le plus bas depuis au moins 1850".

"Avec le réchauffement climatique, l'étendue maximale devient de plus en plus petite, tout comme l'étendue minimale qui est encore plus impactée", explicitait aussi Xavier Fettweis, climatologue à l'Université de Liège (ULiège), dans cet article de l'AFP d'août 2022.

"D'ici 20 à 30 ans, les modèles suggèrent qu'on n'aura plus de glace de mer en Arctique à la fin de l'été alors qu'en hiver, elle continuera à se reformer", détaillait-il.

"On peut interpréter les résultats comme on veut et trouver une période ou la teneur en glace remonte, mais ça ne signifie pas grand chose sur le long terme", confirmait aussi Eric Rignot, professeur à l'université américaine de Californie à Irvine et chercheur affilié à la NASA, auprès de l'AFP en janvier 2023.

"La couverture de glace continue à décroitre sur le long terme, ce n'est pas une année un peu meilleure qui va faire la différence, ni une année bien pire d'ailleurs", concluait-il.

La diminution de la banquise, conséquence du réchauffement

Cette diminution de la banquise va de pair avec le réchauffement du climat, qui lui s'accélère, contrairement à ce qui est prétendu dans les publication sur les réseaux sociaux, ont unanimement et maintes fois expliqué les scientifiques interrogés par l'AFP.

Dans le chapitre 9 de son sixième rapport d'évaluation traitant du contexte scientifique naturel du changement climatique, le GIEC écrit que "la diminution observée de la banquise arctique est un indicateur clé du changement climatique à grande échelle".

Le rapport de synthèse du GIEC indique aussi qu'"un réchauffement supplémentaire devrait encore augmenter la fonte du pergélisol [ou permafrost, NDLR] et la perte de la couverture neigeuse saisonnière, de la glace de sol et de la banquise arctique". Selon les prévisions du même rapport, la région arctique sera "pratiquement exempte de glace de mer" en septembre au moins une fois avant 2050.

François Massonnet, climatologue du Fonds de la Recherche Scientifique, affilié à l'université catholique de Louvain expliquait par ailleurs en janvier 2023 auprès de l'AFP que "les études montrent que la glace de mer arctique est réversible, si nous commençons à diminuer les émissions de gaz à effet de serre et que les températures mondiales commencent à diminuer, la glace de mer arctique va se reconstituer. Il y a une corrélation entre les émissions de gaz à effet de serre et les surfaces de banquise".

Par ailleurs, la tendance est ces dernières années à l'augmentation des températures mondiales. Les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, avait confirmé (lien archivé ici) début janvier 2023 l'Organisation météorologique mondiale.

Les six principaux jeux de données internationales compilés par l'OMM pointent tous les mêmes coupables : "les concentrations toujours plus élevées de gaz à effet de serre et la chaleur accumulée", soulignait l'organisation, corroborant les conclusions du programme européen sur le changement climatique Copernicus et celles de l'office météorologique des Etats-Unis (NOAA) et la Nasa.

En 2022, la température mondiale moyenne était d'environ 1,15 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels, c'est-à-dire avant que l'humanité n'introduise des quantités massives de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, relève l'OMM.

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Ecart entre les températures mondiale moyenne de chaque jour et la température mondiale à la même date à l'ère préindustrielle (1850-1900), de 1940 à 2023

AFP

 

L'Arctique se réchauffe plus vite que prévu

Selon une étude (lien archivé ici) publiée début août 2022 dans la revue Communications Earth & Environment du groupe Nature, la région arctique s'est réchauffée (lien archivé ici) près de quatre fois plus vite que le reste du monde lors des 40 dernières années.

Le réchauffement intense de l'Arctique, en plus d'un sérieux impact sur les habitants et sur la faune locale, qui dépend de la continuité de la glace de mer pour chasser, aura aussi des répercussions mondiales.

"Le changement climatique est causé par l'Homme et à mesure que l'Arctique se réchauffe, ses glaciers vont fondre, ce qui aura une incidence globale sur le niveau des mers", avait rappelé auprès de l'AFP Antti Lipponen, membre de l'Institut finlandais de météorologie et coauteur de l'étude, en août 2022 (liens archivés ici et ).

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Pourcentage de banquise en plus ou en moins par rapport à la période 1981-2010 entre 1979 et 2023

AFP

 

La fonte de la calotte glaciaire est le principal moteur de la hausse du niveau de la mer, devant la fonte des glaciers et l'expansion de l'océan sous l'effet du réchauffement de l'eau (sous l'effet de l’augmentation de la température, l'eau se dilate et son volume augmente). 

La fonte de la banquise, elle, ne fait pas monter le niveau de la mer : en vertu du principe de la poussée d'Archimède, comme cette glace qui flotte sur l’océan déplace un volume d'eau de mer d'un poids égal à celui de la glace, l'eau de fonte occupera exactement le même volume d'eau de mer glacée, comme expliqué dans cette fiche réalisée par l'AFP.

Mais elle contribue au réchauffement climatique, car l'océan se met alors à absorber le rayonnement solaire qui était auparavant réfléchi par la banquise blanche. 

En termes de superficie, la calotte glaciaire du mois de juin en Arctique a diminué en moyenne de 13,4% par décennie entre 1967 et 2018, "soit une perte totale d'environ 2,5 millions de kilomètres carrés, en raison principalement de la hausse de la température de surface de l'air", indique le rapport spécial du GIEC sur l'océan et la cryosphère de 2019 (lien archivé ici).

Surtout, le rythme de la fonte annuelle moyenne de la calotte arctique s'est clairement accéléré : elle a perdu 39 gigatonnes sur la période 1992-1999, 175 gigatonnes sur 2000-2009 et 243 gigatonnes sur 2010-2019, selon le chapitre 9 du rapport du groupe I dans le cadre du 6e rapport du Giec (lien archivé ici).

Et, toujours selon le GIEC, le niveau de la mer est monté de 20 cm depuis 1900. Or le rythme de cette hausse a presque triplé depuis 1990 et, selon les scénarios, les océans pourraient encore gagner 40 à 85 cm d'ici la fin du siècle.

Des interprétations trompeuses liées à la banquise de mer arctique sont régulièrement relayées sur les réseaux sociaux, et l'AFP en a déjà vérifiées dans plusieurs langues, dont l'anglais (123), le français (1, 2, 3) ou encore le finnois.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://twitter.com/silvano_trotta/st...
  • Texte de la déclaration :

    En 2018 les médias nous racontaient que la couche de glace la plus solide de l'Arctique se brisait pour la première fois, et que c'était très inquiétant !
    En 2024 ils oublient de vous dire (pourquoi ?) que la banquise arctique atteint son niveau le plus élevé depuis 21 ans !…

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