Gérald Darmanin ordonne aux préfets d’interdire systématiquement les manifestations propalestiniennes


Gérald Darmanin ordonne aux préfets d’interdire systématiquement les manifestations propalestiniennes

ILLEGAL

Publié le vendredi 20 octobre 2023 à 22:55

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Gérald Darmanin

(Creative Commons)

Auteur(s)

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, Université de Picardie Jules Verne

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucun

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

C’est au préfet de décider d’interdire ou non une manifestation. Chaque interdiction doit être décidée au cas par cas, sous le contrôle du juge qui vérifiera que les risques de troubles invoqués par le préfet sont avérés selon les circonstances de lieux et de temps.

Dans un contexte d’intensification du conflit au Proche-Orient et à la suite des massacres perpétrés par le Hamas en Israël, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a passé la consigne aux préfets d’interdire les rassemblements en soutien aux Palestiniens. Un ordre illégal : on ne peut pas interdire des manifestations par principe, nous avons déjà surligné le ministre sur un sujet similaire.

UN MINISTRE NE PEUT ORDONNER AUX PRÉFETS D’INTERDIRE DE FAÇON SYSTÉMATIQUE

Le Code de la sécurité intérieure (article L. 211-4) prévoit que “si l’autorité investie des pouvoirs de police (et donc le préfet en l’occurrence) estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu”. La loi confère donc au seul préfet le pouvoir de vérifier qu’une manifestation déclarée est susceptible de provoquer des troubles à l’ordre public, et de l’interdire s’il “estime” que tel est le cas. 

Le risque de trouble s’apprécie donc par le seul préfet sur le terrain, au cas par cas, après analyse des faits au moment où ils se produisent, et pas à l’avance, par principe. Donc le ministre de l’Intérieur, en ordonnant aux préfets d’interdire systématiquement et par principe les manifestations pro-palestiniennes, non seulement empiète sur les pouvoirs légaux des préfets, mais leur donne une instruction illégale. 

LES PRÉFETS N’INTERDISENT UNE MANIFESTATION QU’EN CAS DE RISQUE AVÉRÉ DE TROUBLES

“La liberté est la règle, la restriction de police l’exception” : cette célèbre formule date de 1917, sous la plume d’un conseiller d’État. Donc il n’est pas possible d’interdire par principe une manifestation, ce serait une atteinte à la liberté d’expression, dont fait partie la liberté de manifestation.

L’interdiction ne peut être prononcée que si trois conditions sont réunies : elle doit être nécessaire au vu des circonstances locales, ce qui se décide au cas par cas. L’interdiction doit être la seule mesure adéquate, au sens où elle doit permettre d’éviter le trouble (ce qui est le cas lorsqu’est interdite une manifestation porteuse de troubles). Surtout, l’interdiction doit être proportionnée au sens où elle serait le seul moyen d’éviter le trouble à l’ordre public. Autrement dit, était-il possible de laisser la manifestation se dérouler, avec des mesures moins strictes comme une limitation du parcours (contourner certains lieux), ou un encadrement très serré par les forces de l’ordre ? Cette proportionnalité s’évalue là encore au cas par cas, jamais de façon systématique comme l’a ordonné le ministre. 

Une interdiction sous contrôle du juge

Si des préfets de police et de départements interdisent par principe des manifestations en suivant les ordres du ministre, le juge, s’il est saisi, suspendra tout arrêté d’interdiction qui ne démontre pas les risques de trouble. En somme serait déclarée illégale toute interdiction qui ne serait basée que sur une émotion – comme c’est le cas en l’occurrence -, et non sur des risques précis et argumentés de troubles telles que des agressions ou des déprédations, ou encore des incitations à la haine raciale ou de l’apologie du terrorisme. 

Ces risques existent au demeurant, le tribunal administratif de Paris l’a récemment reconnu face au préfet de police qui avait interdit une manifestation pro-palestinienne censée se tenir ce jeudi 12 octobre. Saisi d’un référé par une association pro-palestinienne afin qu’il suspende cette interdiction, le tribunal administratif, par une décision du même jour, a rejeté ce référé et donc confirmé l’interdiction de manifester. Motifs : le “contexte géopolitique particulièrement tendu suite à l’attaque terroriste d’ampleur lancée par le Hamas”, les “risques avérés d’infiltration de la manifestation par des groupuscules violents proches de l’idéologie du Hamas, à même de proférer des slogans et des actes à connotation antisémite”. Le tribunal s’appuie également sur “des antécédents en ce sens [qui] se sont produits le 13 juillet 2014, à l’issue d’une manifestation en soutien à Gaza”, qui ont donné lieu à des “heurts avec les forces de l’ordre et des groupes de défense juive” ainsi que de “nombreuses dégradations”, et cela d’autant que sont déjà relayés des appels à manifester au sein des quartiers sensibles, à quoi s’ajoute enfin l’absence de service d’ordre interne à la manifestation.

On le voit, le dossier est lourd à Paris, justifiant aux yeux du juge l’interdiction. Mais on ne saurait en déduire que toutes les manifestations pro-palestiniennes doivent être interdites par principe partout en France et en toutes circonstances. Ce sera au préfet de démontrer les risques de troubles à l’ordre public au cas par cas.

Contacté, le ministre de l’Intérieur n’a pas répondu à nos sollicitations

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://www.francetvinfo.fr/monde/pro...
  • Texte de la déclaration :

    Le ministre de l'Int\u00e9rieur ordonne l'interdiction des manifestations propalestiniennes, "parce qu'elles sont susceptibles de g\u00e9n\u00e9rer des troubles \u00e0 l'ordre public", dans un t\u00e9l\u00e9gramme adress\u00e9 aux pr\u00e9fets, jeudi 12 octobre, consult\u00e9 par franceinfo. "L'organisation de ces manifestations interdites doit donner lieu \u00e0 des interpellations", pr\u00e9cise G\u00e9rald Darmanin.A Paris, un arr\u00eat\u00e9 pr\u00e9fectoral interdit une manifestation d\u00e9clar\u00e9e par CAPJPO-Europalestine pour le jeudi 12 octobre de 17h30 \u00e0 20 heures, sur la place de la R\u00e9publique, en raison\u00a0"des risques de troubles \u00e0 l'ordre public". L'association a, en r\u00e9action, saisi\u00a0le juge des r\u00e9f\u00e9r\u00e9s pour lui demander de suspendre cet arr\u00eat\u00e9 pr\u00e9fectoral. Mais le tribunal administratif a rejet\u00e9 cette requ\u00eate "au regard notamment du contexte d\u2019une extr\u00eame violence caract\u00e9risant actuellement le conflit isra\u00e9lo-palestinien".D'autres pr\u00e9fectures ont interdit des rassemblements en soutien au peuple palestinien, mais certains se sont tenus malgr\u00e9 les interdictions, comme mercredi soir \u00e0 Nantes (Loire-Atlantique), N\u00eemes (Gard) et Bordeaux (Gironde), ou encore \u00e0 Lyon, lundi. Ces rassemblements, qui ont rassembl\u00e9 plusieurs dizaines de personnes, se sont d\u00e9roul\u00e9s dans le calme et sans incident, avant d'\u00eatre dispers\u00e9es, parfois par les forces de l'ordre.

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