Selon Emmanuel Macron : “On passe trop par la loi dans notre République”
Selon Emmanuel Macron : “On passe trop par la loi dans notre République”
Publié le jeudi 30 mars 2023 à 11:26
(Creative commons)
- Auteur(s)
Auteurs : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Nantes Université
Se passer de la loi pour réaliser les prochains chantiers présidentiels par décret, ce serait totalement illégal. Faire davantage confiance aux autres acteurs de la vie nationale comme les élus locaux ou les partenaires sociaux pour qu’ils trouvent par eux-mêmes des solutions aux problèmes, cela ne permet pas de se passer de la loi en dernier ressort, mais cela la renforce.
Préemptant l’audience des journaux de 13 heures de TF1 et France 2 de mercredi 22 mars, le président de la République a estimé “qu’on passait trop par la loi dans notre République”. Autrement dit, il faudrait passer davantage par le pouvoir réglementaire (décrets notamment), plus réactif, et moins par le Parlement. Reste que seule la loi représente en droit l’expression de la volonté générale, même lorsque les sondages vont à l’encontre de ce que décide le Parlement, et qu’elle ne peut être contournée sans risquer une violation de la Constitution. Parmi les prochains “chantiers” de réformes promis par le président de la République, la plupart devront passer par le Parlement parce que la Constitution l’exige.
LA CONSTITUTION SEULE ÉNONCE CE QUI RELÈVE DE LA LOI ET CE QUI N’EN RELÈVE PAS
La répartition des compétences entre le Parlement (pouvoir législatif) et le gouvernement (exécutif) est prévue par la Constitution.
L’article 34 énonce toute une série de sujets essentiels de la vie nationale dont seule la loi fixe les règles ou les principes fondamentaux. Il s’agit notamment de : droits civiques et garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale, la nationalité, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités, la détermination des crimes et délits ainsi que les peines, la procédure pénale, les impositions de toutes natures, les régimes électoraux, l’organisation générale de la Défense nationale, l’enseignement, la préservation de l’environnement, le régime de la propriété, le droit du travail, le droit syndical et celui la sécurité sociale.
Pour le reste, l’article 37 de la Constitution renvoie au pouvoir exécutif (le régime des contraventions de police par exemple). Le gouvernement intervient aussi pour mettre en œuvre les lois dans le détail (décrets d’application).
LES PROCHAINS CHANTIERS OUVERTS PAR LE PRÉSIDENT RELÈVENT DE LA LOI
Un exemple emblématique est celui du projet de loi immigration, dont l’examen a été repoussé, mais qui ne pourra en aucun cas être réglé par décret. S’agissant de la fin de vie, qui a donné lieu à la création d’une convention citoyenne, elle relève de la seule loi. La réforme du Revenu de solidarité active énoncée durant l’intervention du Président suppose également l’intervention d’une loi pour réformer celle de 2008 qui mit en place cette allocation. Le partage des profits dans les grandes entreprises, annoncé également lors de l’entretien par le président de la République, par son aspect à la fois fiscal et social, relève aussi de la seule loi. Enfin, l’un des projets de ce quinquennat est également de réduire les impôts de production des entreprises pour favoriser la réindustrialisation, une mesure qui devra elle aussi passer par le Parlement.
Dans tous ces domaines, intervenir uniquement par décret serait illégal. Et s’il prenait au législateur de voter des lois courtes, renvoyant systématiquement à un décret d’application, elle serait contraire à la Constitution car le Parlement doit exercer toute sa compétence.
On comprend que faute de majorité absolue, Emmanuel Macron cherche à contourner le Parlement en découvrant tout d’un coup le phénomène, assez propre à la France, d’inflation législative. Ce phénomène, très réel, n’est toutefois pas nouveau : dès 1992, le Conseil d’État déplorait une véritable ”logorrhée législative”. Résoudre ce problème bien connu n’a rien d’évident : la loi appelle la loi par un jeu de complexification croissante de l’ordre juridique.
ET EN DEHORS DE LA LOI ? LES ÉLUS LOCAUX, LES PARTENAIRES SOCIAUX…
Une fois exclu le pouvoir réglementaire de gouvernement pour décider des orientations fondamentales du pays qui relèvent de la seule loi, deux pistes s’ouvrent.
Il y a d’abord la possibilité de rendre l’action publique plus proche des citoyens, en sollicitant davantage les collectivités territoriales et leur pouvoir réglementaire. Si ces collectivités ne peuvent agir que dans les limites imposées par les lois de décentralisation, il existe une marge de manœuvre largement inexploitée, notamment les expérimentations que la loi elle-même a rendu possibles.
L’autre piste serait de laisser plus de place à la négociation collective entre représentants des syndicats et du patronat. Si celle-ci ne figure pas explicitement dans la Constitution, son importance apparaît dans le Préambule de celle de 1946 qui prévoit que “tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises“.
Après tout, c’est par la voie de la négociation collective que furent institués les régimes de retraite complémentaires des cadres (AGIRC) en 1947, des non-cadres (ARRCO) en 1961, leur fusion depuis 2019, etc. Ces solutions novatrices à l’époque ont même été reprises par une loi de 1972 qui les a étendues à tous les salariés.
En droit du travail, depuis la Loi Larcher de 2007, le Code du travail prévoit qu’en cas de projet de réforme sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle, le Gouvernement engage une concertation avec les partenaires sociaux (ce qui ne l’a pas empêché en septembre 2017 de déclarer l’urgence et d’élaborer cinq ordonnances réformant le Code du travail, sans négociation).
Toutes ces possibilités ne dispensent pas de lois en dernier ressort, afin notamment d’étendre à tous le bénéfice de certains accords, ou au contraire de pallier l’absence d’accord. D’autant que ces accords interviennent aussi dans des domaines relevant du législateur, car touchant aux principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.
C’est d’ailleurs pour cela que ces accords sont parfois qualifiés de “pré-législatifs” : la loi n’est pas contournée, elle sort renforcée.
Auteurs :
Auteurs : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Nantes Université
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah
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À quoi ressembleront les prochains projets de loi transmis au Parlement après la réforme des retraites ? « Moins de textes de loi, des textes plus courts, plus clairs, pour aussi changer les choses pour nos compatriotes de manière plus tangible. » Au cours de son interview donnée aux journaux de 13 heures de TF1 et France 2, Emmanuel Macron a évoqué un « programme législatif et un programme de gouvernement », que sa Première ministre devra « bâtir », « en lien avec la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat ».
C’est en quelque sorte le retour de la nouvelle méthode annoncée par Matignon dans les premières semaines qui ont suivi les législatives. Déjà cet été, Élisabeth Borne insistait sur la nécessité de présenter des textes « courts ». « Le changement, il est dans l’apaisement, la coconstruction d’un agenda parlementaire avec l’ensemble des forces des deux chambres », a répondu Emmanuel Macron, interrogé sur sa méthode de gouvernance.
« On passe trop par la loi dans notre République »
Le projet de loi immigration, qui devait arriver au Sénat la semaine prochaine, est la première réforme à être ajournée, comme nous l’annoncions hier. Ce mercredi, Emmanuel Macron précise que la décision a été prise conjointement avec les présidents des deux assemblées. « Nous allons réagencer les choses et découper les textes plus courts », annonce-t-il. En réalité, la matière inflammable du sujet a sans doute aussi poussé l’exécutif à temporiser sur le sujet, d’autant plus que des premières divisions montaient au sein de la majorité sénatoriale, entre LR et centristes.
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Des textes plus courts, mais pas seulement. Emmanuel Macron renvoie également aux collectivités locales et surtout au pouvoir réglementaire. « Tout ne passe pas par la loi, on passe trop par la loi dans notre République », reproche le locataire de l’Élysée, qui n’a jamais caché son scepticisme sur l’inflation législative. Selon lui, « agir au service des priorités de nos compatriotes », c’est « le faire de manière très concrète, avec les élus sur le terrain, avec les services de l’État. » On imagine, sans trop prendre de risques, que ses propos risquent d’être commentés chez les parlementaires.
« Élargir » la majorité présidentielle
La réforme des retraites a par ailleurs exacerbé les faiblesses d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Dans ce contexte Emmanuel Macron appelle à nouveau sa Première ministre à « élargir » la majorité « dans les semaines à venir ». Le président de la République fait appel aux « femmes et hommes de bonne volonté qui, de droite et de gauche, ou du côté de l’écologie, sont prêts » à soutenir ses priorités. « Ce peut-être texte par texte », précise-t-il.
S’il parle de « programme de gouvernement », le chef de l’État refuse de parler d’accord de « coalition », comme l’appelle par exemple son ancien Premier ministre Édouard Philippe. « On ne l’a pas fait au début du quinquennat, ce n’est pas notre tradition politique », insiste-t-il. Dans une allusion implicite aux Républicains, Emmanuel Macron souligne d’ailleurs que certains appuis parlementaires à sa réforme des retraites n’étaient « pas la totalité d’un parti ». En revanche, « il y a des individualités prêtes à travailler avec les forces de la majorité », constate-t-il. - Facebook : CommentAction : 24
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