Attention à ces affirmations sur le jeûne intermittent et la perte de poids


Attention à ces affirmations sur le jeûne intermittent et la perte de poids

Publié le mardi 20 décembre 2022 à 17:23

– Mis à jour le mardi 20 décembre 2022 à 17:23

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Elsa Gavinet

Dans une vidéo TikTok vue des dizaines de milliers de fois, un homme s’appuie sur une étude de la régulation du glycogène (énergie stockée dans le foie) pour affirmer l’efficacité du jeûne 16/8 dans la perte de poids. Une pratique qui consiste à concentrer la prise de repas sur une fenêtre de 8h et à ne pas ingérer de nourriture les 16 heures suivantes. L’étude en question est une simulation de résultats et ne permet pas de tirer des conclusions sur l’existence de bénéfices à la pratique du jeûne 16/8 chez l’humain. À ce jour, aucune donnée scientifique n’établit de liens entre jeûne intermittent et bienfaits durables sur la santé. Pour tout régime amincissant, les professionnels recommandent d’être suivi et encadré par un médecin.

Cette vidéo de trois minutes a été postée le 19 août 2022 sur TikTok. Un homme sans formation médicale, se revendiquant « expert en nutrition », annonce expliquer aux visionneurs ce qui se passe dans le corps humain lors d’un jeûne 16/8 et pourquoi il est nécessaire de se priver de nourriture durant environ 16 heures pour « voir la magie opérer », en d’autres termes perdre du poids.    

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Capture d’écran prise sur TikTok le 2 octobre 2022

Pour cela, il s'appuie sur une étude américaine datant de 2011 intitulée : A Whole-Body Model for Glycogen Regulation Reveals a Critical Role for Substrate Cycling in Maintaining Blood Glucose Homeostasis (Un modèle du corps entier pour la régulation du glycogène révèle un rôle critique pour le cycle du substrat dans le maintien de l’homéostasie glycémique). Elle est publiée sur le site gouvernemental National Library of Medicine, qui recense des travaux de recherche en biologie. Trois des cinq auteurs sont rattachés à l’École de médecine de l’Université de Caroline du Nord. Ils y exposent les résultats d’une étude dite in silico, c’est-à-dire un modèle mathématique établi sur ordinateur pour simuler la réponse théorique du système de maintien du taux de glycémie (source d’énergie) d’un corps à la privation de nourriture. L’étude a pour but de simuler des résultats à partir de données de la littérature scientifique. Mais, interviewée le 14 octobre, Carole Knibbe, cheffe du département de biosciences de l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon (INSA) et membre du laboratoire INSERM Cardiovasculaire, Métabolisme, Diabétologie et Nutrition (CarMeN) met en garde : « Ce travail de modélisation n'inclut pas de comparaison quantitative avec des données cliniques de cinétique de glycémie, d'insulinémie ou de concentration de glycogène ». Autrement dit, le modèle mathématique présenté dans l’étude n’intègre pas assez d’études menées sur des humains et ne prend pas en compte assez de paramètres pour que ses résultats soient considérés comme prédictifs de la réaction d’un corps réel sous l’effet d’un jeûne.

Pas de projection sur le long terme

Plusieurs autres éléments indiquent que sa portée est extrapolée par l’auteur de la vidéo, qui se concentre sur un graphique (figure 3), sans préciser qu’il s’agit d’une simulation et non d’une observation. Comme l’explique Pr Christophe Magnan, rattaché à l’unité de biologie fonctionnelle et adaptative (BFA) de l’université Paris-Diderot, dans un échange datant du 14 octobre 2022 : « On ne peut rien tirer de cette étude sur l'effet à long terme d'un jeûne intermittent sur une perte de masse grasse ». Car contrairement à ce qui est affirmé par l’auteur de la vidéo, la figure 3 (ci-dessous) le corps ne passe pas « du mode brûleur de sucre à brûleur de graisse » après 10 heures. « Il n’y a rien sur cette figure qui montre une diminution de la masse grasse », recadre le Pr Christophe Magnan. Selon lui, la figure 3 indique uniquement que « durant un jeûne de nombreux mécanismes se mettent en route pour maintenir stable la glycémie, qui se stabilise à nouveau autour de 12h mais rien sur l'impact sur la masse grasse ». 

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Figure 3 extraite de la modélisation de l’étude A Whole-Body Model for Glycogen Regulation

Reveals a Critical Role for Substrate Cycling in Maintaining Blood Glucose Homeostasis (2011)

Second élément à relativiser, la durée du cycle observé. Le graphique mobilisé dans la vidéo s’étend sur 24 heures. Les effets à long terme sur l’Homme du suivi d’un jeûne 16/8 sont peu connus, ce qui invite la communauté médicale et scientifique à avancer avec beaucoup de précaution. Interviewée le 12 octobre 2022, Vanessa Cotter, présidente de la Fédération française de nutrition (FFN) et épistémologiste MCU-PH Nutrition à l’UFR des Sciences de santé de Dijon, insiste, citant le rapport NACRe sur le jeûne : « On manque de données chez l’Homme et rares sont les études avec un suivi suffisant pour connaître l’observance et les effets à long terme ». En résumé, selon les scientifiques consultés, il n’est pas possible d’affirmer pour l’heure que le jeûne intermittent, dont le 16/8, soit bénéfique d’une quelconque manière sur le long terme.

    
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Captures d’écran du site BMoove faites le 18 octobre 2022.

Les affirmations présentes sur le site BMoove, mettant en avant les bienfaits du jeûne sur la santé, ne sont donc appuyées sur aucune conclusion scientifique. Le nombre d’études ayant été faites sur le sujet étant trop limité.

Consulté le 3 octobre 2022, Damien Vansteene, oncologue spécialisé en nutrition à l’Institut de cancérologie de l’Ouest avertit : « Ce type de régime est délétère chez des personnes présentant déjà des pathologies. Si vous n'êtes pas en bonne santé, ne vous lancez pas dans un jeûne, ça ne fera que vous affaiblir davantage. » Il alerte également sur les risques psychosociaux qui peuvent s'ajouter à des troubles du comportements alimentaires (TCA) déjà présents. « Le repas est un moment de sociabilité, sauter un petit-déjeuner ou un dîner peut aboutir à un isolement, un retrait partiel et progressif de la vie sociale. Avec des TCA préexistantes, on empire la focalisation de l’attention sur la nourriture. »

Des rythmes de perte de poids nocives pour la santé

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Agglomération de captures d’écran prise sur TikTok le 2 octobre 2022

Dans la section commentaire des vidéos du compte, plusieurs internautes vantent des pertes de poids rapides et conséquentes, saluées par le créateur de contenu. Co-fondateur du site BMoove, Wilfried Launay propose des programmes amincissants pour une centaine d’euros. Dans l’espace à propos du site, il dit avoir « une formation scientifique » et se présente comme « expert en nutrition, coach, formateur et conseiller scientifique», sur sa page de présentation. Des termes évasifs qui ne renvoient pas à des diplômes reconnues par l’État. Wilfried Launay n’est pas un professionnel de santé et n'est donc pas habilité à donner des conseils médicaux.

Pour rappel, le portail PasseportSanté recommande pour une démarche saine et respectueuse de sa santé, de ne pas chercher à perdre plus de 1kg par semaine.

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Capture d’écran de PassportSanté.net, le 1er octobre 2022

Le domaine de la santé est l’un des terrains favoris des infox et des fausses nouvelles. Cette vidéo s’inscrit dans un mouvement plus large de promotion du jeûne intermittent par des influenceurs fitness qui cumulent plusieurs millions d’abonnés. Dans son rapport de 2017, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) soulignait déjà son inquiétude face au « développement d'offres potentiellement sectaires dans le domaine de la santé, du bien-être et du développement personnel. »

Pour trouver de la documentation et des informations de santé fiables en ligne, le réseau CHU a répertorié les sites de confiance du web santé.

Ce fact-check a été également publié par Ecole de journalisme de Sciences Po.

Ce contenu a été réalisé dans le cadre d'un enseignement de l'Ecole de journalisme de Sciences Po.