Salle d’exploration, jeux du docteur : On a vérifié des infox sur l’éducation sexuelle dans les garderies allemandes


Salle d’exploration, jeux du docteur : On a vérifié des infox sur l’éducation sexuelle dans les garderies allemandes

Publié le vendredi 8 septembre 2023 à 10:31

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Un enfant joue dans une crèche en Allemagne en 2021 (Photo d'illustration). — Ina FASSBENDER / AFP

Auteur(s)

Emilie Jehanno   (20 Minutes)

Sur les réseaux sociaux, des internautes, choqués, relaient des affirmations sur « des salles d’exploration sexuelle mises en place dans les garderies allemandes ». Mais de telles salles n’ont pas vu le jour

La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. En Allemagne, des garderies « auraient déjà mis en place des salles d’exploration sexuelle où les enfants peuvent participer à des jeux sexuels et découvrir ce qui leur plaît et explorer la masturbation », s’indigne un post. Si certains se montrent plus prudents quant à l’existence de ces salles, d’autres ne s’en embarrassent pas :  « Des garderies et des crèches ont des salles dédiées aux tripotages sexuels des enfants ! Mais où va-t-on dans cette UE décadente ? », apostrophe un post partagé plus de 2.400 fois sur X (ex-Twitter).

Capture d'écran d'un post viral relayant l'article de Fox News.

Capture d'écran d'un post viral relayant l'article de Fox News. - Capture d'écran/X

Souvent associé se trouve une capture d’écran d’un article de la chaîne américaine Fox News qui indique que « Les garderies allemandes font la promotion des salles d’exploration sexuelle où les enfants pourraient participer à des jeux sexuels », une version un chouïa plus nuancée, mais qui mérite d’être complétée. Cet article évoque trois cas de garderies (« kita », en allemand, un terme générique qui désigne différentes formes de gardes d’enfants jusqu’à 6-7 ans), dont deux en Rhénanie du Nord-Westphalie. D’après Fox News, qui s’appuie sur un papier du quotidien conservateur allemand Die Welt, le ministère de la jeunesse et de la famille de ce Land aurait expliqué que les comportements sexuels des enfants « ne pouvaient pas être empêchés » et qu’il n’avait pas l’intention de contacter ces garderies.

Mais Fox News a tronqué une autre partie des propos du ministère. Contacté, il nous a expliqué qu’il s’opposait à ce concept de salle. A la lecture de l’article de Die Welt, il apparaît que de telles salles n’existent pas en Allemagne, mais que des débats controversés sur des “concepts” d’éducation à la sexualité ont eu lieu. On fait le point.

FAKE OFF

Tout a commencé fin juin 2023 quand une crèche de l’association Arbeiterwohlfahrt (AWO) à Hanovre dans le Land de Basse-Saxe a adressé une lettre aux parents, qui a fait scandale. Révélée par le tabloïd Bild, celle-ci évoquait le projet d’une « salle d’exploration corporelle ». Dix règles étaient précisées pour son usage comme « chaque enfant décide lui-même si et avec qui il veut jouer à des jeux physiques et sexuels ». Mais le gouvernement du Land, dirigé par une coalition SPD-Verts, a stoppé ce projet, nous apprend le Spiegel le 2 juillet.

Pour bien comprendre le sujet, il faut d’abord revenir sur la définition de “concept” d’éducation à la sexualité. En Allemagne, les États fédéraux (Lander) élaborent des concepts éducatifs pour le secteur élémentaire et il est aussi recommandé que les garderies développent des concepts d’éducation à la sexualité, explique à 20 Minutes l’association ProFamilia, qui peut accompagner ces dernières dans ce travail.

« Un danger » pour le bien-être des enfants

Ces concepts sont un terme qui englobe des formations, des discussions, des supports pédagogiques sur un thème destiné aux professionnels. Les concepts d’éducation à la sexualité peuvent prendre la forme d’un guide et peuvent contenir des éléments sur les aspects professionnels liés à la sexualité des enfants, des thèmes pédagogiques sur la sexualité, la gestion des enfants qui enfreignent les limites de la sexualité, le travail des parents, la formulation des règles, etc.

Le ministère de la jeunesse du Land de Basse-Saxe a estimé que le concept pédagogique de la salle d’exploration corporelle de Hanovre mettait en danger le bien-être des enfants. Et qu’il n’avait pas de raison d’être, a déclaré une porte-parole du ministère, cité dans le Spiegel.

« Il n’y a pas de pièces » d’exploration dans les crèches AWO

Par ailleurs, cette lettre n’avait pas été approuvée par l’AWO, a aussi précisé le conseil d’administration de l’association. « Dans les crèches AWO, il n’y a pas de pièces dans lesquelles les enfants sont invités ou encouragés à être nu ou à engager des jeux d’exploration corporelle », a souligné dans le Spiegel le président du conseil d’administration. Pour pouvoir poursuivre leur activité, les garderies de l’association à Hanovre vont devoir réviser leurs concepts pédagogiques, validés ensuite par l’office régional de la jeunesse.

Un mois et demi plus tard, c’est en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dirigé par une coalition CDU-Verts, que des concepts pédagogiques proches sont mis en lumière par un député de l’AfD, le parti d’extrême-droite. L’article du quotidien Die Welt, publié le 21 août et repris en partie par Fox News le 24 août, évoque les règles fixées dans les concepts pédagogiques de deux garderies, une à Kerpen et une à Rheinberg.

Des règles qui ont choqué

A Kerpen, celles-ci indiquent que les enfants doivent pouvoir « se retirer dans un espace protégé » pour « se découvrir et se satisfaire physiquement », la crèche « offre aux enfants des espaces de liberté pour expérimenter la sexualité enfantine ». « La masturbation est quelque chose de normal » et son autorisation dans les garderies est « d’une grande importance ».

A Rheinberg, il est écrit, dans le quotidien, que les jeux du docteur « sont préparés dans des pièces annexes - mais avec des règles pour les petits : "Ils choisissent avec soin l’enfant qui joue avec eux". Et au préalable, "on explique aux enfants qu’aucun objet ne doit être introduit dans les ouvertures du corps (par ex. les organes génitaux)". » Nous avons contacté les garderies en question, mais elles n’ont pas répondu pour l’heure.

« Les salles pour l’exploration ne font pas partie de la pratique »

Ces salles séparées ont-elles été mises en place ? Non. Contacté, le ministère de la jeunesse et de la famille de Rhénanie-du-Nord-Westphalie affiche une opposition ferme. Il ne considère pas « les salles séparées pour l’auto-exploration sexuelle dans les structures d’accueil de jour pour enfants comme faisant partie de la pratique pédagogique », indique un porte-parole auprès de 20 Minutes, et celles-ci « ne sont pas prévues ». « Un tel projet serait également empêché par les services délivrant les autorisations d’exploitation auprès des offices de la jeunesse du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie », complète-t-il.

Les concepts promus par ProFamilia ont été évoqués dans le cas de la garderie de Hanovre. Mais, souligne l’association, « nous ne créons pas des salles séparées ». La porte-parole tient à rappeler que l’association « travaille avec les concepts généralement acceptés d’éducation à la sexualité », selon les standards de l’OMS. Les enfants confrontent les parents, mais aussi les professionnels à leur curiosité et à leur envie d’explorer, pointe-t-elle, ajoutant que l’exploration du corps « n’a rien à voir avec les actes sexuels des adultes ». L’association voit dans cette controverse une tentative de « discréditer l’éducation à la sexualité en déformant ou en dénaturant les faits ».

Un concept « susceptible de franchir la limite de la sexualisation »

Les enfants « découvrent leur corps, jouent aux "jeux du docteur", s’embrassent et se câlinent, posent des questions sur tous les sujets liés à la sexualité et dépassent parfois les limites, détaille-t-elle. Il est donc nécessaire d’adopter une approche professionnelle, élaborée en collaboration avec l’équipe de la garderie ». Pour que ces règles soient bien comprises par les enfants, il faut qu’elles soient très précises (comme ne pas mettre tel objet dans la bouche ou les organes génitaux). Par exemple, poursuit Pro Familia, « il n’est pas interdit aux enfants d’explorer leur corps et de jouer au docteur, mais il faut veiller à ce que certaines règles soient respectées dans un cadre protégé », mais cela « ne doit pas nécessairement être une pièce séparée ».

Le ministère de la jeunesse de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, quant à lui, prend ses distances avec le concept d’éducation sexuelle de la garderie de Kerpen, car « il est susceptible de franchir la limite de la sexualisation », indique-t-il. Des formulations comme un « espace protégé où les enfants peuvent se "retirer" pour "se découvrir et se satisfaire physiquement" sont totalement inappropriées et inacceptables », précise le ministère, soulignant qu’une « telle formulation, et a fortiori un tel aménagement, sont inacceptables ». « Il faut s’opposer résolument à toute forme de sexualisation des enfants ou du quotidien de la garderie », souligne le ministère.

Une éducation sexuelle « adaptée à l’âge de l’enfant » doit permettre d’abord de le protéger des abus : « Les enfants qui savent ce qu’est la sexualité et où elle se situe peuvent reconnaître plus facilement une agression sexuelle et obtenir de l’aide », défend ProFamilia, quand le ministère de la jeunesse et de la famille souligne qu’il est très important de permettre aux enfants « d’être en mesure de reconnaître et de parler des comportements abusifs ».

 

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://twitter.com/LaureGonlezamar/s...
  • Texte de la déclaration :

    ALLEMAGNE : Des garderies et des crèches ont des salles dédiées aux tripotages sexuels des enfants ! 😳

    Ils se tripotent entre eux, nus ou à moitié nus, et la règle c'est "qu'aucun objet ne doit être introduit dans un orifice" 😳😳😳

    MAIS OU VA-T-ON DANS CETTE UE DÉCADENTE ? ⤵️

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