Sénégal : Macky Sall est-il vraiment « la marionnette » d’Emmanuel Macron ?


Sénégal : Macky Sall est-il vraiment « la marionnette » d’Emmanuel Macron ?

Publié le jeudi 15 février 2024 à 15:32

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Macky Sall et Emmanuel Macron, lors d'une rencontre à l'Elysée le 23 juin 2023. - Alexis Jumeau/SIPA / Alexis Jumeau/SIPA

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Emilie Jehanno (20 Minutes)

Des posts viraux accusent sans preuve le président Macky Sall d'être « la marionnette de Macron ». C'est un peu plus compliqué que cela

Des relents de la « Françafrique ». Sur X ou dans des boucles Telegram, la France est suspectée, sans que ne soient avancées des preuves concrètes, d’avoir joué un rôle dans la décision du président Macky Sall, annoncée le 3 février, de reporter l’élection au Sénégal. Sur les réseaux sociaux, Macky Sall, qui a atteint la limite des deux mandats, est présenté comme « la marionnette de Macron » et aurait agi sur décision du président français.

 

Deux affirmations sont avancées pour justifier ce report de l’élection présidentielle, qui devait avoir lieu le 25 février et a été reporté au 15 décembre par un vote du parlement sénégalais lundi. D’après ces posts, Emmanuel Macron aurait peur de perdre l’oreille d’un dirigeant proche encore présent dans la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédeao), après l’annonce en janvier du retrait du Mali, du Burkina-Faso et du Niger de cette communauté. Dans ces pays, anciennes colonies françaises, des juntes militaires ont pris le pouvoir dans un contexte de sentiment antifrançais. Le fait que Macky Sall ait été nommé en novembre envoyé spécial et président du comité de suivi du Pacte de Paris pour la planète et les peuples par Emmanuel Macron est aussi mis en avant comme preuve de ses liens entre les deux dirigeants. Des « preuves » bien minces.

« Des rumeurs parfois exagérées sur le rôle de la France »

« Rien ne permet d’attester un rôle aussi franc et massif d’Emmanuel Macron à la manœuvre », souligne Thomas Borrel, qui a codirigé Une histoire de la Françafrique, L’Empire qui ne veut pas mourir (éd. Points). Quant aux membres de la Cédeao, il note que d’autres pays ne prennent pas de positions contraires aux intérêts français comme la Côte d’Ivoire, le Bénin ou le Togo. « Simplement, poursuit-il, il ne faut pas s’étonner qu’après des décennies de mensonges sur la politique africaine de la France, cela alimente des rumeurs parfois exagérées sur le rôle que la France peut jouer dans telle ou telle décision politique. »

Elu en 2012 et réélu en 2019, Macky Sall a entretenu de bonnes relations avec le président François Hollande et son successeur, Emmanuel Macron, qui ont aussi profité de son aura de dirigeant élu démocratiquement. « Ces liens sont dans la continuité des relations très proches et anciennes entre la France et le Sénégal », souligne l’historien béninois Amzat Boukari Yabara, spécialiste du panafricanisme et qui a aussi codirigé Une histoire de la Françafrique. Macky Sall est « très lié aux intérêts politiques, économiques ou médiatiques français, mais est-ce qu’il est la marionnette de Macron ? Je n’irai pas jusqu’à utiliser ce terme-là », pointe l’historien.

Des intérêts convergents

Pour autant, les intérêts partagés des deux pays ont été régulièrement mis en avant à l’occasion de plusieurs de visites bilatérales, impliquant les présidents ou des ministres. « Emmanuel Macron n’a pas hésité à s’afficher à ses côtés, très proches, lors d’une visite où les couples présidentiels ont traversé le pont Faidherbe à Saint-Louis du Sénégal [en février 2018], ces images marquent forcément les esprits », complète Thomas Borrel. Une proximité idéologique libérale lie aussi les deux présidents, ajoute Amzat Boukari Yabara. La France est également le premier investisseur au Sénégal et son premier partenaire commercial, ainsi qu’un partenaire important en matière de coopération policière et militaire.

Ce narratif de « Macky Sall, marionnette de Macron » a été notamment diffusé par Kompromatmedia (« kompromat » signifie « dossier compromettant » en russe), un compte Telegram d’un ancien journaliste de RT France et Sputnik, relais de désinformation sur la guerre en Ukraine, le climat ou la vaccination anti Covid-19. « La Russie n’hésite pas à souffler sur les braises », relève Thomas Borrel, soulignant que la France se livre aussi à cette guerre informationnelle. Surtout, il estime que tenir la Russie seule responsable du sentiment antifrançais serait une « erreur ».

« Ce qui est bien à l’origine du ressentiment contre la France, c’est cette politique africaine menée depuis des décennies », défend-il. La France devrait, avance-t-il, davantage prendre ses distances avec Macky Sall et suspendre la coopération militaire et policière en signe de condamnation. Le 4 février, le ministère des Affaires étrangères français a exprimé dans une courte déclaration « sa vive inquiétude » et a appelé à lever les incertitudes autour du calendrier électoral.

Un précédent avec Blaise Compaoré en 2014

Enfin, le poste de président du comité de suivi du pacte de Paris proposé par Emmanuel Macron à Macky Sall serait plutôt une porte de sortie pour celui qui devait quitter normalement la présidence le 2 avril 2024. « C’est un fauteuil doré pour ne pas briguer un troisième mandat », analyse Thomas Borrel, qui est aussi porte-parole de l’association Survie dénonçant toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique.

« François Hollande avait d’ailleurs fait ça avec le dictateur du Burkina Faso, Blaise Compaoré en 2014, finalement renversé par une insurrection », poursuit-il. L’ancien président français avait adressé une lettre le 7 octobre 2014, révélée par Jeune Afrique, dans laquelle il mettait en garde Blaise Compaoré, lui conseillant d’éviter « les risques d’un changement non consensuel de Constitution » et proposant le soutien de la France pour « mettre [son] expérience et [ses] talents à la disposition de la communauté internationale ». « Ce genre de petit jeu institutionnel vise à faciliter de manière amicale la transmission du pouvoir au lieu de condamner fermement et publiquement les passages en force », regrette Thomas Borrel. Le scénario semble se répéter au Sénégal avec ce qui est vu par les opposants et des observateurs comme un « coup d’Etat institutionnel » ou un « coup d’Etat civil ».

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://twitter.com/SinedWarrior/stat...
  • Texte de la déclaration :

    1/n
    «Coup d’Etat»: Macky Sall, marionnette de Macron, annule les élections au Sénégal

    En décidant d’abroger le décret convoquant le corps électoral, le président a délibérément stoppé le processus électoral, quelques mois après les émeutes sanglantes antifrançaises d'août 2023.

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