Affaire «WaffenKraft» : Mélenchon et Médine auraient-ils dû être prévenus qu’ils étaient ciblés par un projet terroriste ?


Affaire «WaffenKraft» : Mélenchon et Médine auraient-ils dû être prévenus qu’ils étaient ciblés par un projet terroriste ?

Publié le vendredi 19 mai 2023 à 12:17

– Mis à jour le mercredi 17 mai 2023 à 14:52

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Jean-Luc Mélenchon à Marseille, le 23 mars

(Christophe Simon / AFP)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André

L’homme politique et le rappeur se sont étonnés d’avoir appris par voie de presse l’existence d’un groupe d’extrême droite ayant projeté d’organiser des attentats visant notamment leurs meetings ou concerts.

Tous deux l’ont découvert dans la presse : Jean-Luc Mélenchon et le rappeur Médine ont été ciblés, courant 2018, par un groupe de néonazis qui échafaudait des projets d’attentats terroristes. Le musicien a été le premier à réagir, dans la foulée de la publication de l’article de Politis révélant l’existence de ce «projet WaffenKraft», mercredi 10 mai. «J’aurais bien voulu recevoir un coup de téléphone à l’époque quand même histoire de mettre un gilet pare-balles»s’est étonné Médine sur Twitter. Suivi, le lendemain, du leader de La France insoumise, qui a dénoncé la «solitude des victimes»avant d’expliquer qu’il désire «être informé des tentatives de meurtres quand elles sont découvertes pour organiser ma sécurité contre les complices»«Je me constitue partie civile pour connaître le projet d’assassinat de l’extrême droite contre moi», avance par conséquent Jean-Luc Mélenchon.

Vendredi, c’est la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, qui s’est exprimée, sur Twitter toujours, où elle a partagé une lettre adressée au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. «De récentes parutions sur cette affaire révèlent les identités d’un certain nombre de personnalités ciblées par cette cellule terroriste d’extrême droite, desquelles figure le nom de monsieur Jean-Luc Mélenchon, ancien président de notre groupe à l’Assemblée nationale […] Face à la violence de telles découvertes, nous nous étonnons d’avoir été tenus à l’écart de telles informations depuis 2018», écrit Panot. Au-delà des questions d’information, l’insoumise insiste sur l’aspect sécuritaire : «il nous semble inacceptable de n’avoir pas fait l’objet d’une stratégie de protection spécifique des forces de l’ordre».

Les individus aux desseins terroristes ont tous été interpellés, entre octobre 2018 et mai 2019, et ensuite poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste. Quatre d’entre eux seront jugés du 19 au 30 juin à Paris, par la cour d’assises des mineurs – l’un d’eux avait 17 ans au moment des faits. Ils risquent jusqu’à trente ans de prison. Un cinquième protagoniste, âgé de 14 ans lors des faits, a déjà été jugé en décembre par le tribunal pour enfants de Paris, statuant en matière criminelle, et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis, selon l’AFP. La tenue de procès criminels, d’ailleurs, est une première pour une affaire de terrorisme liée à l’ultradroite.

Laboratoire de fabrication d’explosifs

Leur leader, un certain Alexandre Gilet, avait été placé en détention provisoire dès décembre 2018. L’affaire porte le nom du groupe de discussion privé qu’il avait intégré au début de cette année-là. Sur ce canal intitulé «projet WaffenKraft», reprise d’un terme utilisé par les néonazis américains et signifiant «puissance de feu» en allemand, l’ancien gendarme – radié de l’armée en septembre 2018 – incitait à commettre des attentats. Des plans devenus plus concrets avec l’organisation, à l’été 2018, d’un week-end d’entraînement au maniement des armes réunissant les cinq personnes aujourd’hui mises en cause : Alexandre Gilet donc, mais aussi Gauthier Faucon, Evandre Aubert, ainsi que les deux mineurs de 14 et 17 ans. D’après l’ordonnance de mise en accusation, tous «adhéraient aux idées véhiculées par l’extrême droite néonazie».

Il faudra attendre un signalement sur une commande de produits rentrant dans la composition d’engins explosifs passée par Alexandre Gilet, fin août 2018, pour que le parquet de Grenoble se décide à ouvrir une information judiciaire. Quelques jours plus tard, le domicile du gendarme fait l’objet d’une perquisition au cours de laquelle les gendarmes saisissent les différentes armes qu’il détient, en partie illégalement, et découvrent un laboratoire de fabrication d’explosifs. Après une enquête plus poussée, faisant notamment apparaître «des recherches» menées par l’homme alors âgé de 22 ans «sur ce qui s’apparentait à des cibles», il est interpellé le 19 décembre 2018, et l’affaire confiée au parquet national antiterroriste.

L’ordonnance signée en mai 2022 par les magistrats instructeurs relève ainsi qu’Alexandre Gilet avait «proposé différents projets d’attaques contre des personnalités ou des communautés». Parmi les «cibles et dates précises» mentionnées au cours des échanges entre membres du canal privé, ou dans les manifestes rédigés par leur leader («Tactiques et opérations de guérilla», suivi de «Reconquista Europa – opération croisée – communiqué de guerre»), figurent «des meetings» de l’ancien candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon, «avec un projet assez précis de tir de sniper dissimulé dans un coffre de voiture». Alexandre Gilet évoque aussi le passage de Médine au Bataclan, pour deux concerts prévus en octobre 2018, finalement reportés à une autre date et dans un autre lieu, et les dîners du Conseil représentatif des institutions juives de France. Par ailleurs, il se renseigne sur la position géographique de plusieurs mosquées, ou encore l’accès aux bâtiments de différentes institutions politiques, dont les ministères de la Justice et de l’Intérieur. D’autres participants du «projet WaffenKraft» suggèrent d’incendier les bureaux de la Ligue internationale contre le racisme et l’anti­sémitisme (Licra).

«Protéger l’intérêt général»

La Licra, contactée par CheckNews, indique qu’elle n’avait été mise au courant ni des faits, ni de l’ouverture d’une information judiciaire, et affirme qu’elle se constituera partie civile. Elle se joint ainsi à Jean-Luc Mélenchon. Le renvoi devant le tribunal ayant déjà été prononcé, tous deux devront attendre la première audience en juin pour faire leurs demandes de constitution de partie civile.

Si aucune des cibles évoquées n’a reçu, en amont du procès, un «avis à victime», l’avisant de son statut de victime, et lui permettant de se constituer partie civile, c’est parce qu’aucune autre infraction que l’association de malfaiteurs terroriste n’a été caractérisée. Or, il s’agit d’«une infraction obstacle (interrompue, elle empêche la commission des autres) qui, par nature, ne cause aucun préjudice personnel et direct à une personne en ce qu’elle a pour unique but de protéger l’intérêt général qui relève du seul intérêt public et non pas des intérêts privés», souligne le parquet national antiterroriste, sollicité par CheckNews. Le droit français considère, en effet, qu’il ne peut y avoir de victime individuelle dans l’infraction d’association de malfaiteurs. Ainsi, «les personnes simplement citées comme l’une des nombreuses cibles potentielles d’une association de malfaiteurs terroriste ayant pour but de commettre une action violente» n’en sont pas informées.

En revanche, les constitutions de partie civile des individus sont donc recevables, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation (constante depuis 1993), si d’autres infractions sont poursuivies et les concernent directement. «Dès lors que les projets sont plus ciblés, plus élaborés, et que des menaces pèsent sur des personnes ou des institutions précises, d’autres qualifications peuvent être ajoutées à l’association de malfaiteurs et entraîner la délivrance d’un avis à victime», note le PNAT. Les juges n’ont pas conclu, en l’espèce, à l’existence d’éléments suffisants pour caractériser d’autres infractions. L’hypothèse se présente plutôt lorsque ont été commis des assassinats ou tentatives d’assassinats. Les personnes ayant «souffert d’un préjudice direct, personnel et certain, résultant de l’infraction» doivent alors se voir adresser un avis «dès le début de l’information» judiciaire, comme le prévoit le code de procédure pénale.

«L’action civile appartient à ceux qui ont personnellement souffert, directement», avait à ce propos rappelé la magistrate du parquet Saliha Hand Ouali, requérant le rejet de la constitution de partie civile de Jean-Luc Mélenchon, lors du procès des membres du groupuscule Organisation des armées sociales, en septembre 2021.

«Protection adaptée»

Au-delà des règles sur les avis à victime, une autre contrainte limite l’information des personnes ciblées par des projets d’attentats : le secret de l’instruction, principe posé par le code de procédure pénale, qui implique que rien ne peut être divulgué à des tiers à la procédure. Les seules exceptions sont strictement énumérées par la loi. Le même code prévoit ainsi qu’en cas de délit à caractère sexuel ou de crime (quel qu’il soit), le juge prenant une ordonnance de placement sous contrôle judiciaire est tenu de transmettre une copie de cette décision aux autorités scolaires lorsque la personne mise en examen est scolarisée. Le magistrat peut également la transmettre à la personne chez qui le mis en examen établit sa résidence. Ces dispositions, introduites en 2012, «ont pour objet de permettre un partage de l’information susceptible de prévenir la commission de nouvelles infractions», explique une circulaire ministérielle diffusée après adoption de la loi. Mais l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste n’est, a priori, pas concernée.

Reste un dernier moyen pour les «cibles» de prendre connaissance des intentions terroristes qui les visent. Le parquet national antiterroriste assure que «toute menace (dont le degré doit être évalué au cas par cas) qui apparaît à l’occasion d’une procédure judiciaire, dès lors qu’elle est suffisamment actuelle – ce qui n’est plus le cas, en règle générale, après l’arrestation des protagonistes – fait l’objet d’une information aux services du ministère de l’Intérieur compétents, chargés de l’évaluation de la menace susceptible de porter sur les personnalités. Le cas échéant, ces services mettront en œuvre la protection adaptée des personnes menacées.» Il revient à l’exécutif, et non à la justice d’organiser la protection des personnes, et c’est pour cela que les critiques de La France insoumise, portées par Mathilde Panot, se destinent au ministère de l’Intérieur.