Apprenti militaire, lycéen, policier municipal : quel est le profil des membres du canal d’extrême droite FR DETER ?


Apprenti militaire, lycéen, policier municipal : quel est le profil des membres du canal d’extrême droite FR DETER ?

Publié le vendredi 7 avril 2023 à 16:29

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Extraits de conversation de membres de FR DETER. 

(DR)

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Service CheckNews

«CheckNews» a recoupé le profil de plusieurs membres du canal Telegram d’extrême droite «FR DETER», prônant l’ultraviolence et relayant l’idéologie nazie.

Les canaux Telegram «FR DETER» sont désormais clos. Ces différents groupes départementaux réunissant des identitaires radicaux dans toute la France, des catholiques intégristes aux néonazis, se sont évaporés. Le ministère de l’Intérieur, qui assure que le canal était sous surveillance depuis plusieurs mois, a annoncé que ses services «travaillaient aux suites judiciaires à donner, en lien avec l’autorité judiciaire». D’ores et déjà, les nombreuses captures d’écran et les bouts de discussions sauvegardés avant la fermeture des canaux permettent d’en savoir plus sur plusieurs de leurs membres, dont certains «étaient déjà connus des services de renseignement», a affirmé une source policière à l’AFP. Parmi les plusieurs milliers de participants, certains, moins précautionneux que d’autres, ont laissé traîner des éléments (photos, noms ou pseudonymes sur les réseaux sociaux, biographies) rendant possible une identification. Apprentis militaires, policiers, bénévoles ou lycéens : CheckNews a recoupé les informations disponibles sur ces «Français deter», qui cherchaient à organiser des actions violentes contre les étrangers et d’autres minorités.

Des forces de l’ordre ?

Dès ce dimanche, Tajmaât affirmait que de nombreux militaires et membres des forces de l’ordre composaient les rangs de «FR DETER». De fait, plusieurs photos de profils montrent des hommes en treillis ou en uniforme, en train de manier des armes de guerre. Il n’est pas chose aisée de vérifier formellement l’appartenance de ces membres aux forces de l’ordre, certaines images montrant, d’après les éléments visibles et les profils des intéressés, des tenues et des armes factices, notamment d’Airsoft. D’autres brandissent des photos qui ne sont pas les leurs. L’un d’eux affiche par exemple la photo de profil d’un combattant américain présent en Ukraine. Reste que dans plusieurs cas, les profils Facebook, TikTok et Instagram, retrouvés à partir des photos et des pseudos des utilisateurs, semblent trahir une activité militaire présente ou passée.

Le ministère des Armées, sollicité par CheckNews, affirme que des vérifications sont en cours quant aux «informations selon lesquelles des individus prétendraient appartenir aux armées». De son côté, dès le mercredi 5 avril, le ministre de l’Intérieur se montrait plus catégorique : interrogé à ce sujet par les députés LFI à l’Assemblée nationale, Gérald Darmanin affirmait «A notre connaissance, il n’y a pas de membres de la police nationale dans ce groupe Telegram. Aucune preuve ne le montre.»

Pourtant, au moins un profil repéré par Tajmaât et recoupé par CheckNews suggère que le ministre s’est, a minima, avancé un peu vite. Guillaume A., présent dans le sous-groupe «FR DETER» du Var, se présente comme membre d’une équipe de «police secours nuit» et indique qu’il opère au sein de «patrouilles anti-violences urbaines». Et il ne se contente pas de rejoindre le groupe en spectateur. Très impliqué, il écrit par exemple : «Aux manifs, y a que des vieux, aucun vrai antifa à se mettre sous la dent en tout cas dans le Var.» Ou encore : «Malheureusement on est bridés pour certaines actions mais c’est pas l’envie qui manque pourtant.» Et, plus loin : «Avec nos métiers malheureusement on ne peut pas trop s’afficher publiquement.»

Sur Instagram, son compte – désormais passé en privé – le montre en tenue de fonction, avec un véhicule de la Police nationale. Sur son profil Facebook, il indique en outre travailler au «Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer» et avoir rejoint la page Facebook du syndicat Alliance Police Nationale Var. Même s’il se montre très actif sur la page Facebook du syndicat, CheckNews n’a pas obtenu confirmation qu’il est bien adhérent à l’organisation. De fait, sur le terrain, l’histoire sème l’embarras. Une source policière sur place indique «essayer de démêler la situation», tout en précisant qu’il «semblerait que ce soit un policier adjoint». Anciennement appelés ADS (adjoints de sécurité), les policiers adjoints assistent les gardiens de la paix et sont des agents contractuels de la Police nationale.

La préfecture du Var, sollicitée, renvoie vers l’Intérieur. De nouveau interrogé à ce sujet, l’entourage de Darmanin indique cette fois qu’une enquête est en cours et ne veut faire aucun commentaire. De fait, suite aux annonces du ministère de l’Intérieur, le parquet de Paris confirme que le «signalement est en cours d’analyse au pôle national de la lutte en ligne».

Au-delà de ces quelques membres des forces de l’ordre, les profils, professions et âges sont variés. Dans les nombreux profils que CheckNews a pu vérifier, se trouve une très large majorité d’hommes ; les femmes se comptant, elles, sur les doigts d’une main. Pour la plupart, ils sont jeunes, voire très jeunes, encore au lycée ou à peine majeurs. On trouve ainsi des étudiants en lettres ou en IUT «métiers du multimédia et d’internet», des actifs aux prémices de leur carrière, comme ce stagiaire commercial en «B to B» ou ce conseiller dans un grand groupe bancaire. En outre, nombreux sont ceux qui mettent en avant leurs activités sportives ou leurs hobbys : ils se disent souvent licenciés dans des clubs de boxe, de MMA, ou se revendiquent Hooligans.

CheckNews a également relevé la présence d’un mineur évoluant dans la section associative d’un club de Top 14. Le club nous explique s’être entretenu avec le jeune garçon et sa famille. Pour sa défense, ce dernier explique avoir atterri contre son gré dans le canal Telegram, en recherchant via TikTok des renseignements sur l’armée et le moyen de rejoindre l’équipe de rugby de la Marine.

Parmi les jeunes, beaucoup affichent leurs ambitions de devenir militaire ou du moins leur passion pour ce domaine. Dans les canaux, certains arborent des photos de soldats qui ne sont pas les leurs, d’autres ont simplement fait des stages, à l’image de l’un d’eux qui affiche fièrement sa «préparation Militaire Terre» de cinq jours. Un autre se dit être actuellement élève en lycée militaire, dont la devise est visible sur sa photo de profil. Contactée, la direction de l’établissement n’a pas donné suite.

Chants hitlériens

Chez les membres un peu plus âgés, les profils sont largement hétéroclites. On retrouve ainsi un médiateur culturel, un conseiller en rénovation énergétique, un responsable d’exploitation, un menuisier /charpentier ou encore plusieurs commerçants. Les photos de profil des membres, où ils sont nombreux à s’afficher avec des symboles nazis – croix gammée, croix celtique, soleil noir, ou encore «Totenkopf», la tête de mort dont les SS se sont servis comme insigne – rendent compte de leur positionnement idéologique.

Par ailleurs, comme le relevait Tajmaât, plusieurs sont des militants politiques, habitués des actions groupées. A travers les échanges, on comprend que ce canal a aussi pour but de «rediriger» vers les groupuscules déjà existants. Ainsi, dans le sous-groupe du Var, un membre du canal qui se présente comme adhérent de La Cocarde, syndicat étudiant d’extrême droite, incite à rejoindre le mouvement. «Tu peux nous envoyer un message sur Insta», écrit-il, le dirigeant vers la page de la section de Montpellier . De la même manière, d’après nos informations, certains pseudos affichés correspondent à ceux utilisés par des membres du GUD, mouvement étudiant d’extrême droite connu pour ses actions violentes, ou par des membres de la division Martel, mouvement identitaire parisien.

Dans le sous-groupe du Doubs, un membre exhibe une banderole siglée «BDL VSK». Elle correspond à la formation «Vandal besak», dont les membres ont déjà été repérés en août dernier, dans le centre-ville de Besançon, en train de scander des «chants hitlériens» et de faire «saluts nazis visibles», selon la presse locale.

D’autres, enfin, se revendiquent du canal Ouest Casual, une autre boucle Telegram réunissant cette fois des photos et vidéos de groupes néonazis et suprémacistes à travers l’Europe. Là encore, des administrateurs de «FR DETER» incitent à créer des ponts avec les structures existantes, en précisant que les actions menées doivent être filmées et transférées à Ouest Casual, afin d’en assurer la publicité.

Des bénévoles, dont un ancien combattant du Donbass

Aux côtés de ces militants chevronnés, certains profils semblent présenter des engagements au service de la population ou de la sécurité publique. Deux membres indiquent ainsi sur leurs réseaux sociaux appartenir à la protection civile d’une part, à la Croix-Rouge d’autre part. Les deux institutions ont déclaré à CheckNews qu’elles procédaient à des vérifications. «Nous n’étions pas au courant de l’existence de ce canal», nous répond la protection civile de Gironde, où le jeune homme est bénévole. Bien qu’il soit décrit comme une personne «volontaire, sportive et qui n’a jamais fait de vagues», l’association explique qu’il va être reçu et qu’un avis va être demandé à la préfecture, concernant son maintien ou non dans l’équipe.

Quant au membre de la Croix-Rouge de Guadeloupe qui affiche son visage (ainsi que son gilet floqué au nom de l’association) sur Telegram, ce n’est pas un simple bénévole. Celui-ci se présente comme étant Guillaume Lestradet, un homme connu pour avoir combattu dans le Donbass pour la république séparatiste autoproclamée de Donetsk contre l’Etat ukrainien en 2014 avec d’autres membres de l’extrême droite française. Une «activité» qu’il ne dissimule pas, même s’il préfère parler d’une mission d’infirmier militaire. On retrouve de nombreuses photos de Guillaume Lestradet armé de fusils d’assaut ou d’un fusil-mitrailleur sur ses réseaux sociaux.

Autre cas frappant, un policier municipal, qui avait affiché son prénom, sa ville et sa fonction sur le sous-groupe Telegram du Val-d’Oise. Il a été suspendu par son employeur suite aux révélations. Contactée par CheckNews, la mairie de Franconville, en Ile-de-France, a indiqué que la décision avait été prise dès le lundi 3 avril, «après avoir pris connaissance de cette information».

Procédure disciplinaire engagée pour un étudiant

Quid des initiateurs du canal ? CheckNews n’a, pour l’heure, pas pu identifier le principal gérant du canal. Chaque sous-groupe départemental était géré par une poignée d’administrateurs. L’un d’eux, étudiant en école de commerce, fait actuellement l’objet d’une procédure disciplinaire de la part de son établissement, qui indique à CheckNews prendre «le sujet très au sérieux». Le dénommé Mathis D. a été épinglé par Tajmaât comme «administrateur et ami du cofondateur» de «FR DETER». Joint par CheckNews, il confirme et explique : «Mon nom est sorti sur Twitter, mais je ne suis absolument pas le gérant, le créateur, le fondateur, ou que sais-je. Mon rôle était uniquement, et je n’étais pas le seul, d’être un des administrateurs du canal 92 [Hauts-de-Seine, ndlr].»

Pour appuyer sa défense, l’étudiant rappelle l’existence d’au total «101 canaux», avec des fonctionnements différents, et poursuit : «Mon canal en tout cas, celui que je gérais, était plutôt bien géré et il n’y a pas eu de débordement […] Il n’y avait aucun appel au meurtre. Des choses ont pu passer mais on a supprimé.» L’étudiant, qui réside dans une commune des Hauts-de-Seine, juge donc «déplorable que des informations sur [lui] soient sorties, sachant [qu’il n’a] absolument rien dit ou fait de condamnable ou de pénalement qualifiable».

Dans un enregistrement diffusé par Tajmaât, on l’entend expliquer : «L’idée c’est de faire gonfler les rangs du milieu, pour que vous intégriez des structures avec des gens qui s’y connaissent et qui… enfin voilà pour des actions.» Dans un message posté un peu plus loin, il renvoie à un sujet vidéo de TF1 qui évoque l’agression par le GUD, samedi 25 mars, d’étudiants réunis devant leur fac du XIIIe arrondissement de Paris.

Sur la procédure engagée par son école, le jeune homme confirme avoir «échangé» avec la direction, qui l’a «écouté». De son côté, l’Essca School of Management explique qu’elle «traite actuellement cette situation avec toute la vigilance et la gravité qui s’imposent. Pour cela, l’école est accompagnée par Egae, un cabinet spécialisé dans la prise en charge de la violence sous toutes ses formes. En concertation avec les équipes de l’école, cette structure a engagé une enquête interne afin d’en savoir davantage sur le groupe impliqué ainsi que sur l’éventuelle participation de l’un de nos étudiants. Suite à cette instruction, et en cas de faits avérés, l’Essca tiendra un conseil de discipline extraordinaire qui prononcera les sanctions adaptées.» Sanctions qui pourraient aller, nous dit Mathis D., jusqu’à son exclusion.

Ce fact-check a été également publié par CheckNews - Libération.