Covid-19 : est-il vrai que lors des premières vagues en France, 50% des décès concernaient des immigrés ?


Covid-19 : est-il vrai que lors des premières vagues en France, 50% des décès concernaient des immigrés ?

Publié le mardi 4 janvier 2022 à 17:29

Auteur(s)

Jacques Pezet

L’affirmation figure dans la «Revue française des affaires sociales». L’Insee a publié un démenti. Mais la plus grande surmortalité de la population immigrée en 2020 est bien avérée.

Votre question fait référence à l’affirmation, parfois relayée ces derniers mois, selon laquelle la moitié des morts du Covid lors des premières vagues concernerait des immigrés. On en trouve trace sur Europe 1 le 5 avril. Et plus récemment dans la Revue française des affaires sociales, comme l’a noté sur Twitter le compte «Bob de l’ARS» : «Dans la dernière livraison de la Revue française des affaires sociales, un papier de Marguerite Cognet me renvoie à une stat Insee que j’avais ratée et qui glace le sang : en France sur les vagues 1 à 3 de l’épidémie, 50 % de l’ensemble des décès Covid concerne des personnes immigrées.» Une statistique, de fait, frappante, sachant qu’en 2020, les immigrés représentaient 10,2 % de la population française.

Le compte Twitter fait référence à l’article «La fabrique des inégalités de santé, une réalité sociale trop souvent tue», publié dans la Revue française des affaires sociales du 15 décembre. Dans ce texte, Marguerite Cognet, enseignante-chercheuse spécialiste des relations ethniques appliquées au domaine de la santé à l’Université de Paris, revient sur l’impact de la pandémie du Covid-19 sur les populations défavorisées et immigrées. La sociologue note alors que «si l’épidémie de Covid-19 a particulièrement touché la population des communes les plus pauvres de l’Ile-de-France, elle a frappé de plein fouet la population immigrée. Pour l’année 2020, le taux de décès a augmenté de 17 % pour les personnes nées étrangères à l’étranger [définition d’une personne immigrée, ndlr], de 21 % pour celles nées dans un pays du Maghreb et de 36 % pour les personnes originaires d’un pays d’Afrique subsaharienne, contre 8 % pour la population française née en France. Selon les dernières données de l’Insee, les immigrés comptent pour 50 % de l’ensemble des décès dus à l’épidémie de coronavirus.» En note de bas de page, elle source ses informations en renvoyant vers une publication de l’Insee du 16 avril 2021, un communiqué rapportant une hausse des décès en 2020 «plus forte pour les personnes nées à l’étranger que pour celles nées en France, surtout en mars-avril».

«Une erreur dans la reproduction»

Lundi, l’Insee a démenti sur Twitter être à l’origine d’une statistique expliquant que la moitié des décès du Covid concerneraient des personnes immigrées. Contactée par CheckNews, la sociologue Marguerite Cognet a reconnu «une erreur dans la reproduction» de son article.

De fait, les publications de l’Insee sur le sujet, les 16 avril 2021 et 25 novembre 2021 ne comportent pas cette statistique. Sur Twitter, l’institut précise qu’«entre 2019 et 2020, les décès toutes causes confondues ont augmenté de près de 56 000. Environ un quart de cette hausse est dû au surplus de décès des personnes nées à l’étranger». Dans sa publication d’avril 2021, l’Insee indiquait notamment avoir enregistré 40 100 décès en 2020 contre 33 300 en 2019 pour les personnes nées au Maghreb (soit près de 7 000 décès de plus), 7 400 décès contre 5 400 (+ 2 000) pour les personnes nées dans un autre pays d’Afrique, ou 6 300 décès contre 4 900 (+ 1 400) pour les personnes originaires d’Asie.

On pourrait être tenté d’en déduire qu’un quart des décès (et non la moitié, donc) a concerné les personnes nées à l’étranger, ce qui serait déjà considérable. Sauf que ce serait un peu hasardeux. En effet, les chiffres de surmortalité de l’Insee portent sur l’évolution des décès toutes causes confondues. S’ils donnent une indication sur l’impact de la mortalité du Covid, ils ne peuvent être confondus avec un décompte rigoureux des victimes de l’épidémie. Comme nous l’avions expliqué, l’étude de la surmortalité toutes causes confondues a été un indicateur largement utilisé pour essayer de mesurer la mortalité liée à la pandémie, mais elle comporte des limites.

Si le chiffre évoqué par la Revue française des affaires sociales l’a été par erreur, le fait que la population immigrée ait été davantage touchée par l’épidémie est en revanche bien avéré. Dans son étude publiée en avril, l’Insee notait ainsi que les décès de personnes nées à l’étranger avaient «augmenté deux fois plus que ceux de personnes nées en France : +17 % contre + 8 %». L’institut expliquait que cette surmortalité «peut provenir de multiples causes, notamment de caractéristiques sociodémographiques, d’états de santé, de conditions de vie ou encore d’une répartition géographique différenciés. Par exemple, les personnes nées en Afrique, dont la surmortalité est particulièrement élevée, résident plus souvent dans les régions les plus affectées par la Covid-19, notamment l’Ile-de-France et plus particulièrement en Seine-Saint-Denis». La surmortalité des immigrés peut aussi s’expliquer, selon l’Insee, pour des raisons professionnelles : «Les personnes nées en Afrique ont notamment été parmi les plus exposées au risque de contamination en première vague, exerçant plus souvent des professions dont l’activité s’est poursuivie pendant le premier confinement», soulignait l’institut.

L’Insee citait enfin le travail de l’enquête «Epidémiologie et conditions de vie sous le Covid-19» (EpiCov), mené par Josiane Warszawski et Nathalie Bajos de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui montrait que «la séroprévalence de la Covid-19 à l’issue de la première vague est deux fois plus élevée chez les personnes immigrées nées hors de l’Europe, mais disparaît complètement lorsque les conditions de vie socio-économiques et d’habitat sont prises en compte». Dans une interview accordée au Monde en octobre 2020, la sociologue Nathalie Bajos soulignait que s’il existe une différence «frappante» entre les familles d’immigrés non européens et les immigrés européens, «il n’y a plus d’effet immigré» quand «on tient compte de la structure professionnelle, des revenus, des conditions de logement, qui sont ici documentés».

Affirmation à vérifier

L'Insee aurait écrit que les immigrés représentent 50% des décès durant les trois premières vagues du Covid-19 en France.

Conclusion

L'Insee a démenti être à l'origine de ce chiffre.