Covid: est-il vrai que 93% des morts liés au sous-variant BA.5 au Portugal ont plus de 80 ans?


Covid: est-il vrai que 93% des morts liés au sous-variant BA.5 au Portugal ont plus de 80 ans?

Publié le jeudi 23 juin 2022 à 15:49

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Passagers masqués dans un tramway de Lisbonne

(AFP / Carlos Costa)

Auteur(s)

Florian Gouthière

Si la part des décès des plus de 80 ans au Portugal s’est accrue depuis l’apparition de BA.5, le chiffre cité par l’épidémiologiste Antoine Flahault, issu de la presse portugaise, est erroné. L’équipe portugaise qui travaille sur ces données nous confirme qu’il s’agit «d’une faute de frappe».

BA.5 est l’un des sous-variants d’omicron apparus en Afrique du Sud en début d’année. Détecté pour la première fois en France en avril, BA.5 est actuellement responsable de près d’un quart des contaminations au Covid-19 sur le territoire, en croissance constante. Dans ce contexte, plusieurs questions ont été adressées à CheckNews au sujet d’un chiffre relayé ces derniers jours par l’épidémiologiste Antoine Flahault, notamment mercredi sur France Info, vendredi dans Libération, ou encore relayé hier dans le Journal du Dimanche. Selon Flahault, au Portugal, où ce sous-variant circule depuis mars et est dominant depuis mai«93 % des décès Covid-19 BA.5 avaient plus de 80 ans».

Un taux jugé étonnamment élevé par plusieurs lecteurs, puisqu’il avoisinait seulement les 67 % durant le premier trimestre 2022, soit 25 points de moins.

Sur Twitter, l’épidémiologiste a expliqué que ce chiffre était issu d’un article publié le 13 juin dans le quotidien suisse Le Temps par le journaliste médical Marc Gozlan. L’information est également reprise le 14 juin sur le blog que ce journaliste tient sur le site du MondeFlahault précise également que ce chiffre se retrouve dans un article par le 10 juin sur le site anglophone portugais Portugal Resident. Contacté par CheckNews, Marc Gozlan nous cite lui aussi cette source, ainsi qu’un article du journal portugais Diário de Notíciaparu le 9 juin (sur lequel se fonde l’article de Portugal Resident, comme nous l’a confirmé l’auteure). Le journaliste note qu’en revanche, «dans son dernier rapport [daté] du 15 juin», la Direction générale de la santé portugaise «ne donne toujours pas le pourcentage de létalité des 80 ans et plus».

L’article de Diário de Notícias cite comme source «le mathématicien Carlos Antunes, de la faculté des Sciences de Lisbonne». On peut y lire : «lors de cette sixième vague, plus de 93 % des décès ont concerné des personnes âgées de plus de 80 ans, et la tendance des décès est toujours à la hausse, avertit Carlos Antunes.»

Erreur de transcription ou lapsus ?

Carlos Antunes est membre d’une équipe chargée de l’évolution de l’épidémie au Portugal depuis le début de la crise, en lien avec la direction générale de la santé, au côté du chercheur Manuel Carmo Gomes. Dans la journée de lundi, ce dernier a répondu aux sollicitations de CheckNews au nom de son confrère, actuellement en déplacement. Selon lui, le chiffre de «93 % pour les plus de 80 ans» est nécessairement «une faute de frappe»«Ce pourcentage vaudrait, tout au mieux, pour les plus de 70 ans. Pour les personnes âgées de 80 ans et plus, le chiffre reste autour de 75-78 % au cours des trois derniers mois.» Une information confirmée, plus tard dans la journée, par Carlos Antunes.

Qu’il s’agisse d’une erreur de retranscription par la journaliste ou d’un lapsus du chercheur lors de l’interview téléphonique (les deux hypothèses sont évoquées à CheckNews par l’auteure de l’article), le chiffre mis sous presse est faux. De fait, dans un entretien publié mi-mai dans le journal Publico, Antunes évoquait le chiffre voisin de «94 % pour les 70 ans et plus», et non pour les plus de 80 ans.

Toutefois, Manuel Gomes note que la proportion des plus de 80 ans parmi les morts du Covid était bel et bien inférieure en début d’année, lorsque d’autres sous-variants étaient en circulation (63 % en janvier, 66 % en février, 73 % en mars, et donc autour de 75-78 % depuis lors). La part des décès des plus de 80 ans a donc effectivement augmenté au Portugal depuis que les nouveaux sous-variants circulent, mais pas dans les proportions dont s’est fait l’écho Antoine Flahault (de l’ordre de 10 points, et non de 25 points).

Concernant les plus de 70 ans, d’après l’équipe de la faculté des Sciences de Lisbonne, la part des décès est passée de 85 % en janvier à 97 % en février, 91 % en mars, 92 % en avril, 91 % en mai (chiffre définitif, légèrement inférieur à celui communiqué à Publico dans le courant du mois), et avoisinerait donc les 93 % en juin.

Selon Carlos Antunes «la légère augmentation [dans la part des décès des plus âgés] depuis l’apparition de BA.5» n’est pas nécessairement imputable au virus lui-même, mais potentiellement «à une combinaison de certains facteurs, comme la perte d’efficacité du vaccin et l’augmentation de l’incidence des cas quotidiens». Manuel Carmo Gomes juge quant à lui que cette fluctuation pourrait, très prosaïquement, tenir à la dynamique de la campagne vaccinale. «Le pourcentage de décès par âge est fortement influencé par les changements dans la campagne de vaccination», explique-t-il à CheckNews. «Ainsi, lorsque le premier rappel a été introduit en octobre 21, en commençant par les personnes âgées, nous avons observé quelques semaines plus tard une diminution progressive du pourcentage de décès chez les personnes âgées (de 71% à 54%). Mais à mesure que la couverture vaccinale par le rappel s’est étendue à tous les autres âges, le pourcentage de décès chez les plus de 80 ans a de nouveau augmenté, pour revenir à 77 % en mai.» En d’autres termes, «lorsque tout le monde est protégé de manière égale (c’est-à-dire que tous ont reçu 3 doses), les plus de 80 ans sont ceux qui meurent le plus, relativement parlant, et donc leur pourcentage parmi les décès augmente. Maintenant que nous avons introduit un deuxième rappel, qui ne concerne que les 80 ans et plus, nous nous attendons à observer une diminution du pourcentage de personnes âgées parmi les décès.»

Manuel Carmo Gomes note enfin «qu’un plus grand nombre de décès» est enregistré au Portugal depuis début avril. Toutefois, «ce grand nombre de décès n’est pas dû au fait qu’omicron est plus mortel. Bien au contraire. La létalité (soit le nombre de morts divisés par le nombre de cas) est passée d’un niveau d’environ 1 % (avant omicron) à un niveau de 0,15 % (après omicron). Le problème est le nombre considérable de cas causés par omicron. L’application d’un petit pourcentage à un grand nombre de cas entraîne un nombre absolu de décès important.»

Suite à nos échanges avec Carlos Antunes, une demande de correction de l’article a été transmise au Diário de Notícias. Le texte a été mis-à-jour dans la matinée du 21 juin.