Est-il vrai que le taux de cotisations salariales a augmenté de 150 % en quarante ans ?


Est-il vrai que le taux de cotisations salariales a augmenté de 150 % en quarante ans ?

Publié le vendredi 9 février 2024 à 16:23

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Illustration d'une fiche de paie. 

(Nicolas Guyonnet / Hans Lucas.AFP )

Auteur(s)

Luc Peillon

A la suite de la publication d’une feuille de paie de 1986 sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes se sont offusqués d’une envolée des prélèvements sociaux ces dernières années.

Le tweet a été vu plus de neuf millions de fois. Dans un message posté le 15 janvier sur X (ex-Twitter), une internaute qui triait ses archives a relayé une de ses feuilles de paie de mars 1986. Surprise : non seulement le nombre de lignes représentant les cotisations salariales apparaît très faible, mais leur montant, surtout, semble très peu important. Sur la base d’un revenu brut de 17 205 francs, notre internaute touchait, en net, 15 400 francs. Soit 1 805 francs seulement de cotisations salariales, correspondant à un taux global de prélèvements sociaux de 10,5 %.

De quoi faire sursauter de nombreux internautes qui, en comparant avec le taux présumé actuel, estimé autour de 25 %, se sont étonnés d’une multiplication par 2,5 de ces cotisations sociales salariales. «Que s’est-il passé depuis les années 80 pour que les taux des cotisations sociales soient multipliés par 2,5 ?» interroge ainsi le magistrat marqué à droite Charles Prats sur le réseau social. «Mais qu’est-ce qu’ils font avec tout ce pognon de dingue… !» s’insurge un autre«La voracité de l’Etat… de moins en moins de retour»assène un troisième.

En se penchant d’un peu plus près sur cette feuille de paie de 1986, on peut constater que cette vendeuse devait être très performante. Avec 17 205 francs de revenu par mois, elle gagnait en effet 3,8 fois le smic de l’époque (4 549,5 francs). Conséquence : une partie de son salaire dépassait le plafond dit de Sécurité sociale (9 220 francs de revenus mensuels), au-delà duquel la cotisation vieillesse plafonnée (pour la retraite de base) n’est plus prélevée. Autrement dit, cette cotisation vieillesse de 5,7 % ne s’appliquait que sur 9 220 francs (plafond Sécu) et non pas sur l’ensemble du salaire.

Ce qui fait mécaniquement baisser son taux de prélèvement global, quand on ramène le montant total de ses cotisations à l’ensemble de sa rémunération brute. En additionnant ses taux de cotisations, inscrits dans la colonne «taux», on arrive d’ailleurs à un total de 13,14 % de prélèvements (au niveau du plafond Sécu) et non pas de 10,5 %.

Il semble également manquer sur cette feuille de paie la cotisation Assédic (chômage), qui s’élevait pourtant à l’époque à 2,3 % jusqu’au plafond Sécu (2,8 % au-delà). Sur une ligne tout en bas de la photo, mais qui semble coupée, apparaît bien le mot Assédic, mais sans que l’on puisse apercevoir ce qui est écrit. En réintégrant cette cotisation, on atteint alors un taux de cotisations salariales global d’environ de 15,3 % au niveau du plafond Sécu. Ce qui est davantage raccord avec le tableau historique de l’Insee, qui estime que le taux de cotisation pour les salariés était, à l’époque, de 15,74 % au plafond Sécu.

Prendre également en compte les cotisations employeurs

Quant au taux de cotisations salariales actuel (au niveau du plafond Sécu, soit 3 864 euros par mois), l’Insee considère qu’il est de 20,84 % (hors mutuelles), et non pas de 25 %. Le taux de prélèvement de cotisations salariales (CSG et CRDS comprises) est donc passé d’environ 16 % en 1986 à près de 21 % en 2021 (dernier chiffre connu). Soit une multiplication par 1,3 (ou +30 %) et non pas par 2,5 (+150 %).

Par ailleurs, pour observer l’évolution des prélèvements sociaux (finançant la protection sociale, et souvent considérés comme du salaire différé) par rapport à ce qui est alloué par l’employeur au facteur travail, il est plus pertinent de prendre également en compte les cotisations employeurs. C’est-à-dire de rapporter l’ensemble des cotisations salariales et patronales au coût total d’un salaire pour l’employeur.

Or le total de ces prélèvements (hors mutuelles et certaines contributions comme le transport) ont évolué de façon très différente ces dernières décennies en fonction des niveaux de revenus, avec la mise en place des baisses de «charges» sur les bas salaires dans les années 90, et sur les salaires plus élevés ces dernières années.

Augmentation prélèvements sociaux

Au niveau du smic, on peut constater que le taux de prélèvement sur le travail pour financer la protection sociale est devenu inférieur en 2021 à ce qu’il était en 1960 (22,6 % contre 25,8 %). Et qu’il a aussi baissé de plusieurs points pour les revenus plus élevés, notamment depuis 2019 pour les salaires jusqu’à 2,5 smic, suite à la transformation du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) en baisse de cotisations patronales.

Reste qu’il y a bien eu une augmentation des prélèvements sociaux, hors smic, sur les quatre dernières décennies. Et notamment de 30 % pour les cotisations salariales, comme évoqué plus haut. Pourquoi ? Essentiellement en raison de l’évolution de la pyramide des âges. «Les boomers, alors en âge de travailler, étaient tellement nombreux à l’époque qu’on pouvait se permettre des taux de cotisations bas pour financer les besoins en santé et retraites des générations plus âgées qui étaient moins nombreuses, explique l’économiste Patrick Aubert, de l’IPP (Institut des politiques publiques). Par ailleurs, les nouvelles cotisations ou leur hausse correspondent aussi à de nouveaux droits, notamment pour les retraites complémentaires, qui n’existaient pas ou dans une moindre mesure dans les années 80.»

En témoigne l’évolution des cotisations salariales dédiées à la retraite (base et complémentaires), passés de 7,83 % en 1986 à 10,45 % en 2021, tandis que la part des dépenses de retraites dans le PIB passaient de 10 % à 14 % sur la même période.