La France a-t-elle voté avec l’Ukraine contre une résolution de l’ONU condamnant le nazisme ?


La France a-t-elle voté avec l’Ukraine contre une résolution de l’ONU condamnant le nazisme ?

Publié le mardi 8 novembre 2022 à 17:31

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Vassili Nebenzya, représentant permanent de la Russie à l'ONU, à la tribune de l'Assemblée générale le 2 novembre.

(YUKI IWAMURA/AFP)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André

Comme 51 autres Etats, la France s’est prononcée contre un projet de résolution visant à «lutter contre la glorification du nazisme». Ce texte, présenté par la Russie, est dénoncé comme servant de prétexte à Moscou pour légitimer son invasion de l’Ukraine.

Le vendredi 4 novembre, un vote était organisé au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), autour d’un projet de résolution portant sur la «lutte contre la glorification du nazisme, du néonazisme et d’autres pratiques qui contribuent à alimenter les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y sont associées».

Plusieurs personnalités ont pointé du doigt la position de la France, l’Ukraine ou encore des Etats-Unis, qui se sont prononcés contre ce texte, comme l’affirment notamment François Asselineau, fondateur de l’UPR (parti politique pro-Frexit), et Charles-Henri Gallois, président du mouvement Génération Frexit.

Le vote portait sur le projet de résolution portant le numéro L.5, examiné lors de la 77e session de la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies – d’où son référencement en «A/C.3/77/L.5». Cette résolution est d’abord voulue par la Russie, mais également portée par plusieurs de ses alliés tels que Cuba, le Pakistan ou le Venezuela (16 Etats en tout). «En vertu de ce projet de résolution présenté par la Fédération de Russie, et adopté par 105 voix pour, 52 voix contre et 15 abstentions, l’Assemblée générale se déclarerait profondément préoccupée par la glorification, quelle qu’en soit la forme, du mouvement nazi, du néonazisme et des anciens membres de l’organisation Waffen-SS», résument les Nations Unies sur leur site.

«Comble de l’hypocrisie»

Pour rappel, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies – contrairement à celles votées par le Conseil de sécurité – sont des textes dont la portée relève uniquement de la déclaration d’intention, sans caractère juridiquement contraignant. Néanmoins, elles conservent une forte valeur symbolique et peuvent servir d’argument aux gouvernements dans leur action internationale.

Parmi les 52 voix contre figurent bien celles de la France, comme des 26 autres pays membres de l’Union européenne, du Royaume-Uni, du Canada, des Etats-Unis ou encore du Japon. Les débats à la Troisième Commission ont été retransmis, en anglais, par la Web TV des Nations Unies (les prises de parole des représentants des Etats débutent à 1:32:44, avant l’ouverture du vote à 1:48:52).

Interrogé par CheckNews sur les raisons de son vote, le quai d’Orsay nous a donné cette explication : «C’est parce que la France fait de la lutte contre antisémitisme et le racisme une priorité, y compris de politique étrangère, qu’elle ne saurait soutenir un texte qui manipule grossièrement cette notion à des fins de justification d’une agression armée et des crimes qui l’accompagnent, dont certains pourraient être constitutifs de crimes contre l’humanité, comme l’a relevé la Cour pénale internationale. La résolution présentée par la Russie dans le cadre de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies, intitulée «Combattre la glorification du nazisme, du néonazisme et d’autres pratiques qui contribuent à alimenter les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée» adopte une approche sélective et révisionniste du combat contre le racisme et l’antisémitisme. Cette instrumentalisation de la lutte contre les discriminations dans le contexte de la guerre d’agression déclenchée par la Russie contre l’Ukraine est inacceptable. C’est pourquoi la France, comme l’ensemble des Etats membres de l’UE, a voté contre ce texte porté par la Russie, en rappelant qu’elle condamne fermement l’agression de la Russie contre l’Ukraine et l’instrumentalisation cynique de la lutte contre le nazisme à des fins de justification de sa guerre d’agression.»

Cette position française n’est pas isolée. A l’écoute des diplomates, on comprend mieux les motifs ayant conduit certains pays à voter contre le projet de résolution russe. La délégation ukrainienne aux Nations Unies y a vu le «comble de l’hypocrisie», estimant «que ce projet de texte n’a rien à voir avec l’intitulé de la résolution, mais est, au contraire, un prétexte utilisé par la Russie pour justifier sa guerre brutale contre son pays et les crimes abjects commis contre l’humanité», détaille le site des Nations Unies. «Le Canada et les Etats-Unis ont, de leur côté, exprimé leur opposition à ce projet de résolution qui vise, selon eux, à légitimer un discours basé sur la désinformation. Ils ont été appuyés par le Japon et le Royaume-Uni, ce dernier constatant que le «régime de Poutine» est en train de se livrer aux actes les plus dévastateurs, semblables à ceux de certains des pires régimes du XXe siècle. […] La Croatie a dit avoir voté contre ce texte «pour la première fois en dix ans». A son tour, la Slovénie a exprimé son rejet de l’approche défendue par le texte, de même que l’Islande, qui, au nom d’un groupe de pays, a rejeté une «instrumentalisation» destinée à justifier une agression contre un pays souverain.»

Une résolution semblable chaque année depuis 2005

La délégation représentant l’Union européenne a également publié un communiqué pour expliquer les raisons justifiant l’opposition de ses Etats membres à cette résolution. Ce communiqué revient d’abord sur le contexte dans lequel s’inscrit le vote sur la résolution : «Aujourd’hui, sous le prétexte de lutter contre le nazisme, la Russie a ramené les horreurs de la guerre en Europe, tout en rappelant que la paix ne peut être considérée comme acquise. Nous condamnons fermement l’utilisation abusive de l’argument de la lutte contre le nazisme, et rejetons l’utilisation inexacte et inappropriée du terme «dénazification» par la Russie pour justifier sa guerre d’agression inhumaine, cruelle et illégale contre l’Ukraine.» Puis affirme que la position de l’UE, qui «plaide depuis des années pour que la lutte contre l’extrémisme et la condamnation de l’idéologie méprisable du nazisme ne soient pas détournées et cooptées à des fins politiques qui cherchent à excuser de nouvelles violations et de nouveaux abus des droits de l’homme», l’obligeait à voter contre.

Si l’opposition à cette résolution s’est donc renforcée dans le contexte de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, elle ne date en réalité pas d’hier. Comme le rappelait CheckNews dans un article publié en mars, la Russie soumet inlassablement au vote des 193 membres de l’Assemblée générale de l’ONU, chaque année depuis 2005, des résolutions ayant le même objet. Le texte visait initialement à proclamer le «caractère inacceptable de certaines pratiques qui contribuent à alimenter les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée», et ce n’est qu’en 2012 que la condamnation de la «glorification du nazisme» a fait son apparition dans son intitulé.

L’«inquiétude» de l’Australie devant le texte russe

Dans notre article de mars, nous soulignions déjà, analyses d’historiens et spécialistes du monde slave à l’appui, que la soumission de projets de résolution au vote des Nations Unies est au cœur d’une «guerre des mémoires» entre la Russie et les anciens Etats de l’Union soviétique, dans laquelle le pouvoir russe essaie de se donner le meilleur rôle. Ainsi, ces textes porteraient une rhétorique plaçant tous les opposants au stalinisme du côté des collaborateurs du nazisme. En parallèle, depuis 2013, le contenu des résolutions est devenu plus coercitif, exhortant les Etats à prendre «des mesures pour lutter contre toute manifestation organisée à la gloire de l’organisation SS et de l’une quelconque de ses composantes». Une formulation susceptible de justifier que la Russie, au nom des valeurs défendues par les Nations unies, entre en conflit avec ses voisins, à la fois l’Ukraine et les Etats baltes.

Les Etats-Unis ont été le seul pays à voter systématiquement contre chacune de ces résolutions. En 2014, dans la foulée de l’annexion de la Crimée par la Russie, ils ont été rejoints par l’Ukraine. Jusque-là, l’Union européenne, dont la France, préférait s’abstenir. Ses Etats membres n’avaient voté contre qu’en 2011. Episodiquement, la ligne étasunienne a aussi été suivie par d’autres membres des Nations Unies, à l’instar du Canada entre 2011 à 2015, mais aussi du Japon en 2005 et 2006.

A noter qu’en plus de se prononcer contre le texte, des Etats ont cherché cette année à en modifier le contenu. Ainsi, préalablement au vote sur le projet de résolution dans son ensemble, l’Australie (soutenue par le Japon, le Liberia et la Macédoine du Nord) a présenté un projet d’amendement, référencé «A/C.3/77/L.52», visant à ajouter dans le texte un paragraphe selon lequel l’Assemblée générale des Nations Unies «constate avec inquiétude que la Fédération de Russie a cherché à justifier son agression territoriale contre l’Ukraine en invoquant l’élimination du néonazisme, et souligne qu’invoquer le néonazisme comme prétexte pour justifier une agression territoriale compromet sérieusement les mesures prises pour combattre réellement ce fléau». Le projet d’amendement a finalement été adopté par 63 voix pour, 23 voix contre et 65 abstentions.