Le ministre de la Santé a-t-il raison de dire qu’«il n’y a pas de fermetures d’urgences»?


Le ministre de la Santé a-t-il raison de dire qu’«il n’y a pas de fermetures d’urgences»?

Publié le mercredi 10 août 2022 à 12:53

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Le ministre de la Santé François Braun, ici à Paris le 3 août, se voit reprocher a minima un arrangement sémantique avec la vérité.

(Julien De Rosa/AFP)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André

Selon une enquête diligentée par Samu-Urgences de France, plusieurs dizaines de services d’urgences ont dû provisoirement fermer leurs portes au cours du mois de juillet.

En déplacement au CHU de Nantes le 3 aout dernier, François Braun, le ministre de la Santé et de la prévention, a visité le service des urgences adultes et pédiatriques. Visite à l’issue de laquelle il a déclaré, face aux caméras et aux micros : «Il n’y a pas de fermetures d’urgences. Je crois qu’il faut arrêter avec ce terme, qui est tout le temps utilisé, qui fait peur. Il n’y a pas de fermetures, il y a un accès régulé […] vers les services d’urgences, dans les endroits où il n’y a plus les moyens pour faire tourner [les services] sans cette régulation. Et cette régulation, elle n’apporte pas une dégradation des soins, mais au contraire une meilleure orientation des patients en fonction des besoins.»

Or, le même jour, Samu-Urgences de France (SUdf) rapportait, dans une enquête sur la situation des services d’urgences en juillet 2022, que «42 établissements ont été contraints de réaliser une fermeture totale de nuit de leur SU [service d’urgences, ndlr] pour un nombre cumulé de 546 nuits en juillet. De jour ce sont 23 établissements qui ont réalisé une fermeture totale pour un nombre cumulé de 208 jours». Des fermetures qui découlent, selon SUdf, directement des conclusions de la mission flash sur les urgences commandée par le gouvernement. Parmi les recommandations pour cet été 2022, figurait la proposition suivante : «Autoriser la suspension d’activité partielle» dans les services d’urgences, «dans une logique territoriale».

Pour rappel, cette mission, dont les résultats ont été rendus en juin, avait justement été pilotée par un certain… François Braun, lorsqu’il présidait encore SUdf.

«Flagrant délit de mensonge»

Ce décalage entre les propos du ministre et les observations des professionnels a fait bondir Christophe Prudhomme, médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis et conseiller régional apparenté La France insoumise. «Le ministre de la Santé pris en flagrant délit de mensonge», a-t-il écrit sur Twitter. «Il ment face à des éléments qui sont fournis par l’organisation qu’il présidait il y a encore quelques semaines», renchérit-il auprès de CheckNews.

Marc Noizet, qui a pris la suite de François Braun à la tête de Samu-Urgences de France, évoque lui aussi une «contradiction évidente» avec le discours ministériel sur l’absence de «fermetures d’urgences». Qu’il explique toutefois par une «question de sémantique» : le terme «fermeture» est généralement utilisé dans les cas de fermetures définitives (comme celles de maternités par exemple), alors qu’il s’agit ici de fermetures temporaires. «Aucun service d’urgence n’est fermé à titre définitif», confirme le président de SUdf.

«François Braun est dans son rôle de ministre de la Santé, il se doit de rassurer une population française inquiète», poursuit Marc Noizet. «Tandis que nous [à SUdf], on a un rôle de terrain qui est de dire quelle est la réalité de la situation.»

Sur le fond, Christophe Prudhomme regrette des «fermetures non régulées, qui mettent les Français en danger»«Il suffit de lire la presse régionale, il n’y a pas un jour sans qu’un service d’urgences ferme ses portes en France», déplore le président de l’Association des médecins urgentistes de France.

De son côté, Marc Noizet nuance : «Un certain nombre de services d’urgences ont fermé complètement leur accès, donc n’accueillent personne. Mais pour autant, les patients ne sont pas laissés seuls face à leurs difficultés. Chaque fois qu’une fermeture a eu lieu, les établissements [de santé] ont fait de l’information pour indiquer au patient vers qui se tourner.» En outre, «s’il y a une urgence vitale»les services hospitaliers «savent gérer : soit le Smur [pour structure mobile d’urgence et de réanimation] prend en charge, soit un service de l’hôpital prodigue les premiers soins en attendant le Smur», pointe le chef du Samu-Smur du Haut-Rhin.

Toujours «pour des raisons de ressources humaines»

Quelles que soient les adaptations prévues, la crise des urgences «a atteint un niveau jamais connu auparavant», souligne Marc Noizet. Qui cite par exemple la situation critique dans le département d’Ille-et-Vilaine, qui dénombre pas moins de «quatre services fermés».

La situation parait d’autant plus grave qu’au niveau national, le nombre exact de services d’urgences contraints de fermer leurs portes n’est pas connu à ce jour. En effet, les chiffres de SUdf – qui pour juillet, a recensé 42 services ayant fermé la nuit et 23 ayant fermé le jour, dont «certains sont les mêmes» – ne sont pas exhaustifs. SUdf reste une association professionnelle conduisant des enquêtes auxquelles les hôpitaux et autres cliniques ne sont pas tenus de répondre : pour la dernière, «331 établissements ayant un SU ont adressé une réponse, soit environ la moitié des SU du territoire national». Seule certitude : quand «on dit qu’on ferme une nuit, trois jours, une semaine», c’est toujours «pour des raisons de ressources humaines».

Sollicités, ni le ministère de la Santé, ni la Direction générale de la Santé n’ont pour l’instant répondu à nos questions.