«Mourir à 32 °C» : à partir de quelle température mesurée au «thermomètre mouillé» est-on en danger ?


«Mourir à 32 °C» : à partir de quelle température mesurée au «thermomètre mouillé» est-on en danger ?

Publié le mercredi 2 août 2023 à 10:43

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En Arizona aux Etats-Unis le 15 juillet, touchés par une importante vague de chaleur depuis plusieurs semaines.

(Brandon Bell / AFP)

Auteur(s)

Elsa de La Roche Saint-André et Alix Garcia

Cet indicateur, qui tient compte de la température de l’air mais aussi de son humidité, n’est pas toujours bien compris. Il est pourtant décisif car, au-delà d’un certain seuil, un corps humain (même en bonne santé) ne peut plus se refroidir.

«Les Etats-Unis viennent de dépasser les 32 °C au thermomètre mouillé. Dans ces conditions, [si] vous n’avez pas la clim, vous mourrez… Peu importe ce que vous buvez, vous ne pouvez juste plus vous refroidir. Vous cuisez littéralement sur place…» alerte un tweet viral partagé mardi 18 juillet. En commentaires, de nombreux internautes s’interrogent sur ce que signifie ce «thermomètre mouillé». Un autre rétorque : «Je me souviens de vacances dans le Sud-Ouest, il faisait 35 °C, on n’avait pas de clim. Demain au Brésil à Marabá, il fera 34 °C, comment font les gens pour survivre ? Ils ont tous la clim ?»

Pour comprendre l’enjeu derrière ce tweet, il faut d’abord rappeler le lien, pour l’homme, entre température et humidité.

Indicateur mixant température et humidité

Quand il fait chaud, le corps se refroidit en transpirant. «L’évaporation de l’eau a un effet refroidissant, rappelle Camille Risi, chercheuse au Laboratoire de météorologie dynamique jointe par CheckNewsC’est pour ça qu’en sortant du bain, on a froid. C’est aussi pour ça qu’on transpire.» Or plus l’air est chargé en humidité, plus le corps a du mal à transpirer et donc à se refroidir. A température équivalente, il sera ainsi beaucoup plus difficile de se rafraîchir dans un contexte où l’humidité dans l’air est importante. Voire impossible si la température extérieure atteint la température du corps (37 degrés) et que l’air est proche de 100 % d’humidité.

Dès lors, la température mesurée «au thermomètre mouillé», ou «TW» (w abrège le mot anglais «wet» qui signifie humide), ne correspond pas à une température sèche, avec laquelle elle est souvent confondue (et évaluée à l’aide des thermomètres habituellement utilisés).

Le TW est un indicateur mixant température et humidité : il mesure la température à laquelle l’évaporation de l’eau peut refroidir l’air (et donc le thermomètre). Il est ainsi nommé en raison de l’outil initialement utilisé : un thermomètre dont le bulbe est recouvert d’un tissu humide. Même s’il est désormais possible de calculer la «température humide» à partir d’une formule appliquée à la température sèche, mais aussi de la relever à partir de données satellitaires.

Concrètement : moins l’air est humide, plus l’eau contenue dans le tissu s’évapore rapidement, ce qui fait baisser la température au thermomètre mouillé. Parce qu’elle est refroidie, la température mesurée au TW est donc en-deçà de la température sèche, sauf dans le cas où l’air est saturé d’humidité. En revanche, plus la température au thermomètre mouillé s’approche de la température du corps (37 degrés), plus elle devient dangereuse pour l’homme, qui ne pourra plus exsuder.

«Le corps ne peut plus se rafraîchir»

L’intérêt du thermomètre mouillé est donc d’évaluer si la température s’approche d’un seuil au-delà duquel le corps humain n’est plus capable de transpirer, et donc de se refroidir. «Dans des conditions chaudes, le corps doit libérer de la chaleur pour maintenir un équilibre thermique. L’effet de refroidissement dû à l’évaporation de la sueur par la peau devient un facteur important», mais «une humidité élevée réduit l’efficacité de cette évaporation de façon significative», résume Météo France à CheckNews. Robert Vautard, météorologue, climatologue et directeur de recherche au CNRS, complète : «En ce qui concerne la santé, la température humide est un indicateur plus significatif que la température sèche. Une forte température sèche peut évidemment entraîner des problèmes chez les personnes vulnérables mais, pour la plupart, il suffit de se rafraîchir. Alors que si l’air est saturé en humidité, on risque d’étouffer.»

Raison pour laquelle les températures humides de 32 °C qui auraient été enregistrées aux Etats-Unis, d’après ce tweet du 18 juillet, soulèvent des inquiétudes légitimes. Même si, en l’occurrence, la carte sur laquelle se fonde ce tweet (une reprise d’une note de blog publiée le 1er juillet qui s’appuie sur des mesures du National Weather Service) se réfère à un autre indicateur, légèrement différent : la température au thermomètre-globe mouillé (ou «WBGT», «wet-bulb globe temperature» en anglais). Celle-ci, incluant d’autres paramètres comme la vitesse du vent ou la couverture nuageuse, est utilisée notamment par les sportifs et les militaires pour évaluer le stress thermique auquel ils sont soumis.

Reste que les mesures au thermomètre mouillé – pour l’instant peu développées en France – commencent à faire parler d’elles, illustrant la menace directe du changement climatique sur la santé humaine. «A une température sèche de 40 degrés mais dans un air très sec avec 10 % d’humidité relative, il suffit de boire et de transpirer pour maintenir la température du corps à 37 degrés», expose Robert Vautard. «Mais à une température mouillée de 35 degrés, il est impossible de transpirer même en s’hydratant, le corps ne peut plus se rafraîchir. A partir de 37, il est strictement impossible de se refroidir.» Dans ce cas, indique la Nasa«vous vous déshydratez. Vos organes sont sollicités, en particulier votre cœur. Le sang se précipite vers la peau pour tenter de libérer la chaleur, ce qui affame les organes internes. Les résultats peuvent être mortels».

Risques d’hyperthermie

Depuis une étude de 2010, il est communément admis que, pour être supportable, la température mesurée au thermomètre mouillé ne doit pas excéder 35 °C. Les auteurs, deux professeurs dont les recherches s’axent sur le changement climatique, estiment que cet indicateur, contrairement à d’autres (dont la température au thermomètre-globe mouillé), fixe une limite claire «sur le transfert de chaleur qui ne peut être surmonté» par des adaptations telles que «les vêtements, l’activité et l’acclimatation». «Des températures cutanées soutenues supérieures à 35 °C» peuvent engendrer des hyperthermies, «même pour des individus acclimatés et en bonne forme physique», détaillent-ils. «On peut donc s’attendre à ce que des périodes suffisamment longues de TW [supérieure à] 35 °C soient intolérables.»

Mais des chercheurs de l’université de Pennsylvanie se sont aperçus, dans leur étude publiée en 2021«que le stress thermique insupportable dans les environnements humides se produit chez les jeunes adultes en bonne santé à des températures au thermomètre mouillé nettement inférieures à 35 °C», en moyenne autour de 30,5 à 31 °C.

Or ces situations sont déjà une réalité dans certaines parties du monde. Une étude conduite en 2020 par trois chercheurs spécialisés en sciences de l’environnement a révélé «que certaines régions subtropicales côtières ont déjà enregistré une TW de 35 °C et que la fréquence des chaleurs humides extrêmes a plus que doublé depuis 1979». Ce qui n’avait pas été mis en évidence jusque-là car ces phénomènes restaient très localisés «à la fois dans l’espace et dans le temps».

«Ce que l’on craint, avec le changement climatique, c’est que ces seuils soient dépassés beaucoup plus fréquemment et entraînent des conditions de vie difficiles, plus particulièrement dans les pays où l’économie est basée sur le travail en extérieur, comme l’agriculture», souligne Robert Vautard. Parmi les zones les plus exposées aux dépassements du seuil des 35 °C mouillés, dans un horizon de trente à cinquante ans, figurent au premier rang «l’Asie du Sud, le golfe Persique et la mer Rouge», suivies par «la Chine orientale, certaines parties de l’Asie du Sud-Est et le Brésil», note la Nasa. Mais la menace est déjà concrète : en avril, le réseau international de scientifiques World Weather Attribution s’était inquiété des «chaleurs humides extrêmes» qui frappaient alors «de nombreuses régions du Bangladesh, de l’Inde, de la Thaïlande et du Laos».