Richard Ferrand a-t-il posé devant un papier peint imitant une bibliothèque pour se donner une image d’homme lettré ?


Richard Ferrand a-t-il posé devant un papier peint imitant une bibliothèque pour se donner une image d’homme lettré ?

Publié le mercredi 21 juin 2023 à 12:05

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L'ancien président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, à Paris, en juin 2022. 

(Xose Bouzas/Hans Lucas via AFP)

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Elsa de La Roche Saint-André

La photo illustrant une interview de l’ex-président de l’Assemblée nationale a beaucoup fait jaser sur les réseaux sociaux. Ce mur décoré se trouve dans les locaux du «Figaro».

La photo a presque autant fait parler d’elle que le contenu de l’interview. Dimanche 18 juin, le Figaro publiait sur son site une interview de Richard Ferrand (parue ce lundi dans la version imprimée du journal). Dans cet entretien, l’ancien président de l’Assemblée nationale déplore «la limitation du mandat présidentiel dans le temps». Ce qui a été immédiatement interprété comme l’expression d’une volonté de modifier la Constitution pour permettre à Emmanuel Macron de briguer un troisième mandat, et a provoqué de vives réactions, amenant Ferrand à préciser ses propos. Mais au-delà du fond, c’est aussi l’illustration de l’interview qui a fait réagir : Richard Ferrand pose devant ce qui semble être une bibliothèque de livres anciens. Sauf qu’à y regarder de plus près, il s’agit en fait d’un papier peint imitant une bibliothèque. Le choix de ce visuel a valu de nombreuses critiques à ce retraité de la politique, qui désormais préside un cabinet de conseil.

«Ferrand qui pose devant une bibliothèque… en papier peint. On ne fera pas plus belle allégorie du macronisme», a ainsi tweeté Boris Vallaud, chef de file des députés du Parti socialiste. Quand l’historien Eric Anceau juge, lui, que Ferrand se donne ainsi «un vernis de culture». Une autre publication, depuis supprimée, évoquait une «supercherie» destinée à «renvoyer l’image impeccable d’un lettré».

Ce thread Twitter émanant de Pierre Téqui, chargé de la conservation de la bibliothèque à la Maison de Chateaubriand, dans les Hauts-de-Seine, est encore visible dans le cache Google (archivé ici par nos soins). Dans cette suite de tweets, Pierre Téqui s’attelait à l’«analyse d’un coup de com raté». Il établit un parallèle avec les photos des anciens présidents de Gaulle, Pompidou ou Sarkozy devant la bibliothèque de l’Elysée, et écrit : «Poser devant sa bibliothèque chargée de vieux livres, c’est une image habituelle : l’homme politique cherche à se présenter comme lettré. Il est un lecteur, un penseur. Temporairement à l’écart du monde politique, Richard Ferrand goûte à une retraite intellectuelle.» Plus loin, il s’interrogeait : «Cette pièce se trouve-t-elle chez Richard Ferrand ? Dans les bureaux du Figaro ou ailleurs encore ? Nous l’ignorons.»

«C’est nous qui avons amené Richard Ferrand là-bas»

En réalité, il est difficile de l’ignorer, tout simplement car le lieu du «shooting» est mentionné dans la légende accompagnant le cliché : «Richard Ferrand au Figaro.» Légende qui n’a pas bougé depuis que l’article a été mis en ligne, comme en témoigne une archive effectuée à peine une heure après sa publication. Le journaliste du Figaro Louis Lecomte a donc répondu à Pierre Téqui, en indiquant : «Ce mur décoré se trouve dans les locaux du Figaro, boulevard Haussmann, dans une salle qui sert à interviewer nos invités. Ferrand a dû se lever pour la photo, il est mis face à la lumière des fenêtres.» Si la rédaction du Figaro a récemment déménagé pour se répartir en deux lieux (dans le IXe arrondissement de Paris pour les journalistes, dans le XVe s’agissant des métiers «hors carte de presse»), elle a toujours accès à ses anciens locaux du boulevard Hausmann car le bail continue pour l’instant de courir, explique à CheckNews Arthur Berdah, chef adjoint au service Politique du quotidien et auteur de l’entretien avec Richard Ferrand. Dans cet immeuble se trouvent plusieurs «plusieurs salons», espaces «régulièrement utilisés pour réaliser des photos», dont l’un situé «dans une aile du Figaro Magazine» et décoré du fameux papier peint.

A en croire le journaliste, Ferrand n’a nullement choisi le lieu où il s’est fait tirer le portrait, ce qui l’absout a priori de l’accusation d’avoir voulu jouer les hommes de lettres. «C’est nous qui avons amené Richard Ferrand là-bas. Ce n’était pas du tout une demande de sa part parce que, par définition, il ne connaissait pas ce lieu avant que nous l’y amenions», rapporte Arthur Berdah. Au moment de choisir une illustration pour publier l’interview sur le Web, le journaliste a fait sa sélection «sur des critères esthétiques». Dans la série d’images photographiées par son collègue Paul Delort, le journaliste politique avait aussi le choix avec «une photo prise devant un mur blanc mais où la lumière ne rendait pas bien, ou une autre dans l’encadrement d’une porte mais qui me semblait trop sombre».

Sticker et papier peint

Arthur Berdah se souvient qu’il a «toujours connu ce salon avec le papier peint sur ce mur» depuis son arrivée au Figaro en 2014. Se disant «certain [que sa rédaction] a déjà publié des photos avec ce mur en fond», il précise avoir déjà lui-même «fait poser des sujets d’interview devant ce mur-là», et notamment Loïc Signor, porte-parole de Renaissance depuis septembre 2022 – même si une photo prise dans un autre décor a finalement été retenue.

On apercevait ce même papier peint dans une vidéo de juin 2019, pour un épisode de «la Dictée du Figaro» avec le romancier Bernard Minier, assis à la même table que celle derrière laquelle Ferrand se tient debout sur la photo dont il est ici question. On retrouvait encore la «fausse bibliothèque» en une du Figaro TV magazine, le 13 janvier, pour un numéro mettant à l’honneur le comédien Laurent Stocker, qui campe le rôle d’un ministre de l’Agriculture dans la série Jeux d’influence. Il en était de même de la photo transmise, un mois plus tard, au média spécialisé The Media Leader dans le cadre d’une interview accordée par Marc Feuillée, directeur général du groupe Figaro. En amont, celui-ci avait posé devant l’objectif d’un photographe du quotidien, dans le salon orné du papier peint exhibant des étagères remplies de vieux livres.

Comme repéré par Pierre Téqui, une recherche d’image inversée sur Google permet de retrouver l’origine de la bibliothèque ayant servi de modèle pour ce papier peint. Photographié par Jose Ramon Pizarro Garcia, photographe pour l’Ecole d’art de Séville (Espagne), dans une librairie en 2013, le cliché a ensuite été partagé via ses comptes sur des banques photo libres de droits – Shutterstock ainsi que Dreamstime. Accessible gratuitement, l’image a ensuite été réutilisée pour être déclinée sous forme de sticker au format d’une porte ou encore, donc, de papier peint.